Comment l'exploitation des nappes phréatiques provoque la dérive de l'axe de rotation de la Terre
On sait que la Terre tourne sur elle-même depuis le Ve siècle avant Jésus-Christ, et les découvertes de l'astronome grec Philolaos de Crotone. Mais cet axe de rotation qui relie le pôle Nord au pôle Sud n'est pas immuable : d'après une étude menée par des chercheurs de l'université de Séoul (Corée du Sud) et publiée jeudi 15 juin dans la revue Geophysical Research Letters (document PDF), les activités humaines peuvent le faire bouger.
Selon ces travaux, l'homme a décalé de près d'un mètre l'axe de rotation de notre planète en près de 20 ans. Et cette variation a même d'autres conséquences inattendues sur notre environnement. Explications.
Le prélèvement des eaux souterraines accélère la dérive
Le fait que la position de l'axe de rotation de la Terre évolue n'est pas une découverte. En 2018, des scientifiques de la Nasa avaient identifié des mécanismes responsables de cette dérive. "L'explication traditionnelle est qu'un processus, le rebond glaciaire, est responsable de ce mouvement de l'axe de rotation de la Terre", exposait alors Surendra Adhikari, l'un des auteurs de cette étude.
La fonte des calottes glaciaires, accélérée par les activités humaines, entraîne en effet un soulèvement des terres arctiques et antarctiques qui modifie l'agencement des pôles et affecte la position de cet axe. En 2021, déjà dans la revue Geophysical Research Letters, des scientifiques avaient ainsi prouvé que la fonte des glaciers due au réchauffement climatique avait déplacé les deux pôles de 4 mètres depuis 1980.
Cette fois, les chercheurs de l'université de Séoul affirment que l'activité humaine joue un rôle encore plus direct dans la manière dont la Terre tourne sur elle-même. Leurs travaux pointent non seulement le rôle de l'accélération de la fonte des calottes polaires et des glaciers de montagne dans cette dérive, mais ajoutent un nouveau facteur : le pompage des nappes phréatiques. "L'axe de rotation de la Terre oscille naturellement, mais l'homme peut l'influencer, et depuis un moment, on voit qu'il bouge plus rapidement. La planète vacille", commente auprès de Libération Kristel Chanard, de l'Institut de physique du globe de Paris.
Le "deuxième facteur" de variation de l'axe de rotation
En se basant sur le chiffre de 2 150 gigatonnes d'eau extraites des réservoirs souterrains entre 1993 et 2010, issu d'une étude datant de 2010, les chercheurs ont calculé que le pôle de rotation de notre planète s'était déplacé de près de 80 centimètres vers l'est sur cette même période. Soit environ 4 centimètres de décalage par an, contre près de 7 centimètres causés par la fonte du Groenland, par exemple. "On le soupçonnait, mais on ne savait pas à quel point cela était significatif. Là, on se rend compte qu'il s'agit du deuxième facteur de dérive rapide de l'axe de rotation de la Terre", détaille Kristel Chanard dans Libération.
"Comme si l'on ajoutait un tout petit peu de poids à une toupie, la Terre tourne un peu différemment lorsque l'eau est déplacée", illustrent les auteurs de l'étude. Ces milliers de gigatonnes d'eau sont en effet prélevées dans les nappes phréatiques pour irriguer les terres agricoles, abreuver le bétail, approvisionner l'industrie ou encore fournir de l'eau potable à l'humanité.
Ce pompage atteint des niveaux préoccupants dans certaines régions en particulier. "Le nord-ouest de l'Inde et l'ouest de l'Amérique du Nord montrent des diminutions significatives du stockage des eaux souterraines", notent ainsi les auteurs de l'étude. Or, si cette eau est restituée à la Terre, elle ne l'est pas forcément sous la même forme, ni au même endroit.
Le pompage contribue à la montée des eaux
"Je suis très heureux d'avoir identifié la cause inexpliquée de la dérive du pôle de rotation", a commenté Ki-Weon Seo, géophysicien à l'université de Séoul, qui a dirigé l'étude. "D'un autre côté, en tant qu'habitant de la Terre et père de famille, je suis inquiet et surpris de voir que le pompage des eaux souterraines est une autre source d'élévation du niveau de la mer", a-t-il ajouté.
Car outre la dérive de l'axe de rotation, le prélèvement dans les nappes phréatiques accélère la montée des eaux. Ainsi, en près de 20 ans, cette surexploitation a contribué à augmenter le niveau de la mer de 6,24 millimètres, contre près de 11 mm pour les glaciers de montagne, environ 7 mm pour la calotte glaciaire du Groenland et 2 à 8 mm pour celle de l'Antarctique.
Les auteurs de l'étude assurent que les "efforts déployés pour ralentir les taux d'épuisement des eaux souterraines (...) pourraient théoriquement modifier l'évolution de la dérive, mais seulement si ces [mesures] sont maintenues pendant des décennies". "Ce phénomène risque de ne pas évoluer dans le bon sens à l'avenir, il faut le surveiller et mieux le comprendre, met en garde Kristel Chanard dans Libération. Le pompage dans les nappes est plus intense à cause des sécheresses, l'impact est de plus en plus marqué avec le changement climatique. Cela contribue à accélérer le cycle de l'eau." Un prélèvement trop rapide et trop important des nappes phréatiques pourrait aussi les empêcher de se remplir à nouveau.
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