COP27 : pourquoi l'accord final ne mentionne-t-il pas la sortie des énergies fossiles, principale cause du réchauffement climatique ?
Les experts du climat pointent un accord peu ambitieux sur le front de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et déplorent que le texte négocié à Charm el-Cheikh n'acte pas la volonté d'abandonner le pétrole et le gaz, en plus du charbon.
Cruelle ironie. La 27e Conférence de l'ONU sur le climat s'est achevée par un accord tiède. A la COP27, organisée à Charm el-Cheikh, en Egypte, les pays les plus vulnérables ont obtenu la création d'un mécanisme, afin de les aider à assumer les coûts des "pertes et dommages" causés par le réchauffement climatique. Mais pour ce qui est de réduire les émissions de gaz à effet de serre, la cause même de cette hausse des températures aux conséquences aussi catastrophiques que coûteuses, la COP a raté le coche. "Aucune avancée n'a été obtenue sur la nécessité de faire des efforts supplémentaires de réduction des gaz à effet de serre et sur la sortie des énergies fossiles", a réagi dimanche 20 novembre la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, concluant : "C'est une vraie déception."
Car si la science a établi la nécessité d'abandonner au plus vite l'exploitation du charbon, du pétrole et du gaz, pour limiter la hausse des températures à +1,5 °C à la surface du globe, la politique et la diplomatie peinent à mettre en œuvre cette solution. Pourquoi a-t-il été si difficile d'inscrire dans l'accord cette déclaration de principe, pourtant évidente aux yeux des experts du climat ?
Parce que certains pays veulent continuer à exploiter l'or noir
En 2021, à la COP de Glasgow, en Ecosse, le texte avait mentionné pour la première fois l'objectif d'une réduction de l'usage du charbon. Jusqu'aux dernières heures de cette COP26, les pays les plus dépendants à cette source d'énergie la plus émettrice en gaz à effet de serre, comme l'Inde et la Chine, avaient bataillé pour que l'accord n'évoque pas une "sortie" du charbon mais plutôt une "baisse."
A la COP27, un bras de fer identique s'est joué dans les couloirs, repoussant au milieu de la nuit la publication du document. A la manœuvre, on retrouve à nouveau l'Inde. Accusé d'avoir tiré vers le bas les ambitions de l'accord de Glasgow, voici que Bombay milite pour un texte qui ne stigmatiserait pas uniquement le charbon mais appellerait à sortir de toutes les énergies fossiles, pétrole et gaz inclus. Pour le Hinduistan Times (lien en anglais), il ne s'agit pas tant d'accélérer la transition énergétique que d'exiger des efforts équitables, alors que les pays en développement sont très dépendants du charbon. "Stigmatiser une énergie fossile n'est pas acceptable, a expliqué au quotidien un négociateur. Le gaz et le pétrole contribuent aussi au réchauffement climatique."
Cette position a été ralliée par de nombreux Etats, dont l'Union européenne et les pays les plus vulnérables face à la hausse des températures. Mais ce point a été "édulcoré au dernier moment", s'est désolé le Britannique Alok Sharma, président de la COP26. Selon un délégué de Papouasie-Nouvelle-Guinée cité par l'AFP, ce coup de frein a été orchestré par les "suspects habituels". A savoir, les pays les plus dépendants économiquement de l'extraction du pétrole et du gaz, parmi lesquels l'Arabie saoudite, l'Iran ou encore la Russie et même l'Egypte, le pays organisateur. "Quand on sait que la prochaine COP va avoir lieu à Dubaï l'année prochaine, qui est également un pays producteur de pétrole et de gaz, ça peut nous laisser un peu inquiets sur la suite du processus", a réagi dimanche la coordinatrice des programmes du Réseau Action Climat, Anne Bringault, dans une interview à TV5 Monde.
Parce qu'il faut trouver un consensus entre 193 Etats aux intérêts (très) divers
Les pétro-Etats et notamment les pays du Golfe sont, à juste titre, accusés de freiner la transition des quatre fers. Mais d'autres participants notent que certains pays, s'ils ne s'opposent pas frontalement à ces objectifs, souffrent d'un manque d'ambition qui tranche avec les beaux discours prononcés à la tribune. Ainsi, le ministre des Finances des Tuvalu, un archipel menacé par la montée des eaux, a fait part de sa frustration face à l'attitude de l'Australie et de son nouveau gouvernement travailliste et officiellement climato-ambitieux. Selon Seve Paeniu, cité par le Sydney Morning Herald (lien en anglais), si Canberra voulait vraiment être un allié de ses voisins du Pacifique, "il rejoindrait notre appel pour que la sortie des énergies fossiles soit incluse dans le texte final", a-t-il relevé à l'issue de la COP.
Cité par The Independent (lien en anglais), Tom Evans, du "think tank" E3G, pointe lui aussi un décalage entre la position affichée publiquement par certains pays et ce que leurs délégations ont promu dans les couloirs de la COP. Le quotidien britannique rapporte l'exemple des Etats-Unis, un pays qui se veut au premier plan de la lutte contre le réchauffement climatique, tout en exploitant sur son territoire des gaz de schiste, ensuite exportés partout dans le monde et notamment en Europe.
Obtenir le consensus dans ces conditions impose de ménager les sensibilités, à coups de tours de passe-passe rhétorique. Plutôt que de demander la sortie des énergies fossiles, le texte final évoque la fin des "subventions inefficaces aux carburants fossiles" et, pour la première fois, le développement des énergies renouvelables et des énergies à "basses émissions". Une expression ambiguë qui désigne généralement le nucléaire mais est parfois étendue au gaz, une énergie fossile moins émettrice de CO2 que le charbon et le pétrole, et que beaucoup de pays envisagent comme une énergie de transition.
Parce que les lobbyistes des énergies fossiles étaient partout à la COP27
Cette COP égyptienne a été marquée par la présence d'un nombre record de lobbyistes des énergies fossiles, ont déploré les délégués à l'issue de la conférence. "L'influence du secteur des énergies fossiles était omniprésente", a noté l'économiste et diplomate Laurence Tubiana, l'une des architectes de l'Accord de Paris, en 2015. Ces représentants étaient 636 à la COP27, contre déjà 503 à la COP26. En 2021 déjà, l'ONG Global Witness relevait que le lobby des énergies fossiles était ainsi mieux représenté dans les couloirs de la conférence à Glasgow que les pays les plus durement touchés par les conséquences du réchauffement climatique.
Dans ces conditions, les appels se multiplient pour demander l'exclusion de ces acteurs du secteur des négociations climatiques. En août, une coalition de groupes représentant la société civile alertait les Nations unies (PDF en anglais), dénonçant "l'influence" d'entités dont les "intérêts polluent" les négociations.
"L'industrie des énergies fossiles et les élites qu'ils ont dans la poche ont pris le contrôle à la COP27, a embrayé Catherine Abreu, fondatrice et directrice de l'ONG Destination Zéro. C'est le dernier coup d'hommes désespérés qui ont commencé par nier les sciences du climat, puis ont retardé les prises de décisions politiques et qui, aujourd'hui, veulent imposer de fausses solutions." Et de conclure : "C'est une déception que cette COP ne soit pas cohérente scientifiquement avec l'objectif de 1,5 °C, en s'occupant de la cause des crises climatiques – le charbon, le pétrole et le gaz. Mais ne vous méprenez pas : leurs actions n'entraveront pas l'inévitable abandon des énergies fossiles au profit d'énergies renouvelables efficaces."
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