On vous explique pourquoi le charbon est une bombe énergétique et climatique
Avec l'arrêt des livraisons de gaz russe à l'Union européenne, de nombreux pays, dont la France, se tournent vers ce combustible qu'ils s'évertuaient jusqu'alors à bannir de leur mix énergétique.
Les crises climatique et énergétique sont entrées en compétition. En guise de représailles aux sanctions imposées par les Occidentaux après l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe, Moscou a coupé le robinet de son gaz à l'Union européenne. Depuis, les Européens craignent de manquer d'énergie. Pour éviter les coupures d'électricité, l'Allemagne et l'Autriche ont annoncé la relance des centrales à charbon mises en sommeil. Les Pays-Bas sont revenus sur une loi adoptée cinq mois plus tôt, qui limitait le fonctionnement des centrales à charbon à 35% de leur capacité. Quant à la France, elle a confirmé, dimanche 24 juin, qu'elle prévoyait de relancer la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle) l'hiver prochain.
Italie, Pologne, Bulgarie, Royaume-Uni, Grèce… En quelques jours, tous ont admis à contrecœur se garder la possibilité de recourir si besoin au charbon, la source d'énergie la plus dévastatrice pour le climat, en contradiction avec leurs engagements en faveur d'une diminution des émissions de gaz à effet de serre. Même revêtu de sa cape de héros embarrassant de la crise énergétique, le charbon en tant que source d'énergie n'en reste pas moins le grand méchant de la crise climatique. Un meilleur ennemi toxique que l'humanité ne parvient pas à tuer.
La source d'énergie la plus émettrice de CO2
Au niveau mondial, l'énergie est le secteur qui génère le plus d'émissions de gaz à effet de serre, comme en attestent les données rassemblées par Our World in Data*. Or ce secteur doit tout au charbon. La combustion de cette roche génère une énergie phénoménale, disponible en abondance et peu coûteuse. Quand son exploitation prend son essor, au tout début du XIXe siècle en Grande-Bretagne, "cette source d'énergie se veut écologique : il ne reste quasiment plus de forêts, et le charbon va permettre de les préserver, explique l'historien François Jarrige. Il règle aussi les problèmes de l'énergie d'origine hydraulique, soumise aux aléas du gel ou de la sécheresse." Bref, il "permet de s'émanciper des contraintes du lieu où l'on se trouve".
Revers de la médaille : lors de sa combustion, le charbon, riche en carbone, émet du dioxyde de carbone (CO2), un gaz qui est le principal acteur du réchauffement climatique. Au fil des décennies, d'autres combustibles fossiles sont exploités, comme le pétrole et le gaz, mais aucun n'atteint le degré de nuisance du charbon. En 2021, le charbon gardait ainsi le titre de première source d'émissions de CO2 liées à l'énergie, selon l'Agence internationale de l'énergie* (AIE), quand bien même il était la deuxième source d'énergie, juste derrière le pétrole. Par conséquent, c'est lui que blâme l'AIE* dans la hausse de 6% des émissions de gaz à effet de serre enregistrée l'année dernière. Davantage de charbon a été brûlé à cause "des conditions météorologiques et des conditions de marché de l'énergie défavorables", et ce, "malgré la plus forte croissance jamais enregistrée par la production d'énergie renouvelable". Sur les 36,3 gigatonnes de CO2 supplémentaires émises par le secteur de l'énergie en 2021, le charbon en a généré 40% à lui seul.
Outre sa combustion, l'exploitation aussi vient libérer dans l'atmosphère des gaz qui accélèrent le réchauffement de la planète. En se penchant sur les émissions des centrales à charbon des Appalaches, aux Etats-Unis, la société Kayrros a relevé une hausse des émissions de méthane, a rapporté le Washington Post*. Quelques jours plus tôt, une autre entreprise traquant les fuites de méthane par satellite, GHGSat, avait déclaré avoir identifié une fuite de près de 90 tonnes de méthane par heure dans une mine du sud de la Russie. Un incident courant, selon le PDG de GHGSat, Stéphane Germain, cité par CNN*. "Les émissions [de méthane] liées aux mines de charbon ont augmenté de manière significative sur l'année écoulée. Nous l'avons observé en Chine, en Russie, aux Etats-Unis, en Australie. Et systématiquement, pour nous, cela signifie qu'il y a une hausse de la production de charbon", expliquait-il. Or le pouvoir réchauffant du méthane sur l'atmosphère est 80 fois supérieur à celui du CO2.
Un combustible dont le monde n'arrive pas à se passer
Pour le Groupe international d'experts sur le climat* (Giec), se passer complètement de l'usage du charbon est un impératif pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Forts de ces connaissances, institutions financières*, pays ou organisations annoncent régulièrement leur intention de rompre avec le charbon. En 2021, pour la première fois de l'histoire des négociations climatiques, l'accord de la COP21 mentionne explicitement le combustible. Mais à la dernière minute, à la demande de l'Inde, "sortir du charbon" devient "réduire le charbon". Car faire disparaître le charbon du mix énergétique n'est pas chose facile.
En dépit des discours, la production électrique tirée du charbon a bondi de 9% en 2021, selon le dernier rapport du Global Energy Monitor*. Certes, des centrales ont été fermées – 25 gigawattheures au total –, mais leur disparition est compensée par la production des nouvelles centrales en construction rien qu'en Chine. Et de nouvelles installations ont vu le jour dans 34 pays. Une étude publiée en mai dans la revue Energy Policy* révélait que 230 mines de charbon, dont 93 à l'état de projet, avaient le potentiel de relâcher encore dans l'atmosphère 536,2 gigatonnes de CO2. Soit presque autant que le budget carbone alloué à l'humanité pour espérer avoir 50% de chance de maintenir les températures sous la barre des 1,5 °C, selon les calculs du Giec. Quelque 130 de ces "bombes climatiques" se trouvent en Chine.
"En Europe, nous avons l'impression que le charbon, c'est de l'histoire ancienne. Mais paradoxalement, la consommation de charbon dans le monde n'a jamais autant augmenté que depuis que son utilisation a été largement abandonnée ici", explique François Jarrige. L'historien souligne le rôle du consommateur français dans les émissions mondiales de charbon. Ce combustible a certes disparu de nos paysages, mais "dès que l'on importe un bien fabriqué en Chine, on importe aussi le charbon qui a servi à le fabriquer. Le charbon est omniprésent dans notre quotidien de façon indirecte."
Une ressource refuge en temps de guerre
"L'usage du charbon a systématiquement été propulsé par la guerre, que ce soit la guerre de Sécession aux Etats-Unis ou la Première Guerre mondiale", énumère François Jarrige. Déjà en 1914, des lois adoptées pour limiter l'usage du charbon avaient été abandonnées pour permettre aux industries de répondre à la demande accrue en énergie, relève l'historien. En 2022, la crainte de manquer d'électricité après la fermeture du robinet énergétique russe met en suspens les engagements des Etats, partout dans le monde. "Du côté européen, on ne réfléchit plus d'un point de vue climatique en ce temps de guerre", confirme Damien Ernst, professeur à l'université de Liège et spécialiste de l'énergie, cité par la RTBF. "L'Europe veut à tout prix sauver son économie. Les priorités sont ailleurs et on ne va plus se préoccuper du climat."
Sans ces bouleversements géopolitiques lourds de conséquences, "en France, nous n'aurions jamais imaginé revenir sur la fermeture d'une centrale à charbon", illustre François Jarrige. Or, ici comme chez nos voisins, l'exécutif promet que le retour "temporaire" du charbon sera sans répercussions sur la lutte contre les émissions de CO2. "La sortie du charbon en 2030 n'est pas du tout vacillante", assure un responsable allemand, commentant la prolongation de centrales en activité "jusqu'en 2024". En France, le redémarrage possible du site de Saint-Avold "s'inscrit dans le plan de fermeture" des centrales à charbon, un plan qui "demeure inchangé", pour le ministère de la Transition écologique. Pas un recul, tout juste un pas de côté.
Un minerai qui a forgé notre mode de vie
Ces difficultés à tirer un trait sur ce minerai révèlent notre dépendance à une énergie abondante et bon marché sans laquelle le monde dans lequel nous vivons n'aurait pas été possible. "Le charbon a modelé les pratiques de consommation, il a initié l'industrialisation. Nos modes de vie les plus intimes, les plus ordinaires, les plus quotidiens, sont liés à cette énergie ou dépendent de ce combustible", poursuit François Jarrige. Selon l'historien, "depuis deux siècles, nous vivons dans l'illusion que nous disposerons toujours d'une source d'énergie (…) largement disponible et que le but du jeu consiste à inventer des outils permettant de toujours mieux l'exploiter pour générer des profits", en tentant de combattre les nuisances associées au charbon.
Dès le XIXe siècle, dans une Grande-Bretagne aux villes envahies par le smog, un brouillard de pollution, "on propose des solutions techniques pour faire accepter le charbon, malgré les doutes et les protestations qui ont toujours accompagné l'utilisation de ce combustible", explique François Jarrige. "On construit des cheminées plus hautes, pour repousser la fumée plus loin, pour qu'elle se dilue" au-dessus de nos têtes. "Plus tard, on met au point des filtres", espérant rendre le charbon plus "propre".
"Avec le réchauffement climatique, on a compris que la quantité de CO2 relâchée a bouleversé de grands équilibres physiques. Ce constat s'accompagne de la réactivation du mythe de la solution technologique, comme le captage du carbone."
François Jarrige, historienà franceinfo
Or, "l'histoire montre que les bienfaits s'accompagnent toujours d'effets rebonds [une hausse de la consommation énergétique], d'effets pervers [les solutions se révèlent plus énergivores que prévu] et de conséquences que l'on découvre plus tard", poursuit-il, signalant qu'aucune source d'énergie ne peut offrir de telles performances sans contrepartie environnementale. Quant aux alternatives que sont la sobriété ou la décroissance, elles demandent "plus qu'une remise en cause d'un modèle technique. On parle de notre rapport au monde, voire de notre conception du bonheur."
* Les liens suivis d'un astérisque sont en anglais.
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