COP28 : comment les pays pétroliers s'affairent en coulisses pour torpiller les négociations sur le climat
Dubaï, ses gratte-ciel, ses centres commerciaux, ses pistes de ski climatisées et... sa conférence sur le climat. Le choix du territoire le plus clinquant des Emirats arabes unis pour accueillir la COP28, à partir du 30 novembre, a étonné – voire indigné – le grand public. Comment tenir des négociations visant à accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'origine du réchauffement climatique, largement causées par la consommation d'énergies fossiles, dans un pays qui tire sa fortune de la vente du pétrole et du gaz ? La question est légitime.
Toutefois, les pays pétroliers n'ont pas attendu de présider les conférences de l'ONU consacrées au climat pour entraver tout effort diplomatique visant à limiter l'expansion lucrative du secteur. La preuve avec ces quelques techniques maintes fois éprouvées.
L'art de faire obstruction
Cela va sans dire, les pays qui doivent leur développement à l'exploitation du pétrole et du gaz n'ont aucun intérêt à ce que le monde se passe des ressources qui jaillissent de leurs sous-sols. Ainsi, dès le début des années 1990, ils se sont alliés pour tenter d'affaiblir l'acte de naissance des COP, la Convention cadre des Nations unies sur le climat. Le compte rendu de l'ultime session de négociations organisée au printemps 1992, au siège new-yorkais de l'ONU – en vue de sa présentation au sommet de la Terre de Rio – fait mention de leur mécontentement : "Plusieurs délégations ont formulé des réserves sur certains éléments du texte et quatre d'entre elles (Arabie saoudite, Egypte, Koweït et Oman) ont soumis le libellé qu'elles auraient voulu voir adopter." En vain.
Au moment d'adopter la version finale du texte, le Koweït a de nouveau tenté de s'opposer, raconte à franceinfo Alden Meyer, vétéran des COP et directeur du groupe de réflexion sur le changement climatique E3G. "Le représentant du Koweït a levé la main pour prendre la parole. Mais le président de la séance, le diplomate français Jean Ripert, l'a simplement ignoré", relate-t-il. Pour contrer l'obstruction de certains Etats, "on peut feindre de ne pas voir une main levée, mais tout dépend de quelle main il s'agit !"
L'Arabie saoudite bénéficie ainsi d'un bien plus grand poids diplomatique. "Ils ont traditionnellement des experts qui interviennent dans les négociations et qui font de l'obstruction systématique, qui retardent toutes avancées significatives", explique l'historienne Amy Dahan, spécialiste des négociations climatiques. En 2015, à Paris, Riyad a ainsi tenté de faire disparaître la mention de l'objectif de 1,5°C dans l'accord. Sans succès.
Pendant 26 ans, les pays producteurs sont tout de même parvenus à éviter que les énergies fossiles apparaissent nommément dans les textes adoptés à l'issue des COP, quand bien même elles sont la principale cause du réchauffement climatique. Ce n'est qu'à Glasgow, en 2021, que la Conférence des Etats signataires a gravé dans le marbre l'objectif d'une réduction de l'usage du charbon. A la fin de la COP27, l'année suivante, la planète a encore dû se contenter d'un texte qui ne mentionne pas les hydrocarbures. Dépité, un délégué de Papouasie-Nouvelle-Guinée cité par l'AFP a accusé les "suspects habituels" : l'Arabie saoudite, l'Iran, la Russie et même l'Egypte, pays organisateur cette année-là.
L'art de faire diversion
Dans les pays qui doivent leur prospérité à leur rente pétrolière, "les dirigeants ont pris conscience depuis longtemps qu'il fallait assurer la transition de leur économie. Mais ils veulent s'assurer de pouvoir continuer à tirer profit de leurs ressources le plus longtemps possible", expose Alden Meyer. "L'idée, c'est de faire durer la dépendance du monde aux hydrocarbures." Cependant, la ligne climatosceptique des débuts "est devenue de plus en plus difficile à tenir, alors que les effets du changement climatique sont devenus impossibles à ignorer", note cet expert des négociations climatiques.
"Ils veulent apparaître du bon côté de l'histoire, en même temps qu'ils sont évidemment du mauvais", abonde Cédric Philibert, ancien négociateur français, puis observateur pour le compte de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Dans le cas des Emirats arabes unis, pays hôte de la COP28, l'expert pointe "un amour inconsidéré pour les CCS, les technologies de capture et de stockage de carbone". En épluchant les engagements affichés par le pays, le spécialiste trouve ainsi mention de la "capture de CO2 dans l'air". "Ça, aujourd'hui, c'est de la fiction", tranche-t-il.
Il n'empêche, depuis que le Giec a estimé, dans son dernier rapport, qu'en plus d'une réduction de nos émissions, "le déploiement de dispositifs de captation du dioxyde de carbone, pour contrebalancer les émissions résiduelles, est inévitable", les pays producteurs et exportateurs d'énergies fossiles – des Etats-Unis à l'Arabie saoudite – y voient une opportunité de prolonger encore une activité lucrative.
Le président de la COP28, Sultan al-Jaber, fait partie de ces avocats du techno-solutionnisme. Directeur de la compagnie pétrolière nationale (Adnoc), il vante ainsi la poursuite d'une activité pétrogazière "propre", grâce à l'amélioration notamment des procédés d'extraction et de transport du pétrole et du gaz, exportés vers l'étranger. Mais là encore, ces engagements détournent l'attention du problème : la plus grosse partie des émissions de gaz à effet de serre proviennent de l'utilisation en bout de chaîne des hydrocarbures.
Le mélange des genres
La diplomate Laurence Tubiana a sa petite idée pour expliquer l'échec de la COP27, organisée en 2022 à Charm-El-Cheikh, en Egypte. "L'influence du secteur des énergies fossiles était omniprésente", déplorait alors celle qui fut l'une des architectes de l'accord de Paris, en 2015. Ses représentants étaient 636 à la COP27, contre déjà 503 l'année précédente, selon le décompte de Global Witness, une ONG qui épluche la liste des participants. A Glasgow déjà, elle relevait que le lobby des énergies fossiles était ainsi mieux représenté dans les couloirs de la conférence que les pays les plus durement touchés par les conséquences du réchauffement climatique.
Ces professionnels du secteur sont d'évidents négociateurs pour les pays qui disposent de puissantes compagnies pétrolières nationales. C'est le cas du directeur d'Adnoc, Sultan al-Jaber, qui a plusieurs fois mené la délégation des Emirats arabes unis avant d'être désigné président de la COP28. En 2021, Global Witness notait que 27 pays (dont le Canada, le Brésil ou la Russie) comptaient des représentants des secteurs du pétrole dans leur délégation nationale.
Sollicité par franceinfo, un porte-parole de la COP26 avait rappelé qu'"il revient à chaque pays la responsabilité de choisir ses délégués et que la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) délivre toutes les accréditations à la COP". Quitte à exaspérer les membres de la société civile, des groupes de réflexion et des ONG, qui se contentent de missions d'observation.
Si la tendance est à la hausse, la pratique est ancienne. Cédric Philibert se souvient de la toute première COP et, déjà, de l'influente Global Climate Coalition, un groupe de pression qui pèse de tout son poids contre les avancées diplomatiques en matière de climat. "Les lobbies ont toujours été très présents", assure-t-il. La COP28 de Dubaï ne dérogera pas à la règle.
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