Canicule marine : "La Méditerranée se tropicalise", affirme Jean-Pierre Gattuso, chercheur CNRS
"La Méditerranée se tropicalise", a affirmé vendredi 21 juillet sur franceinfo Jean-Pierre Gattuso, chercheur CNRS au Laboratoire d'océanographie de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes), alors qu'une canicule marine touche le bassin méditerranéen, avec des températures allant jusqu'à 30° localement, avec des conséquences sur la faune et la flore. Pour Jean-Pierre Gattuso, deux années consécutives en canicule est "une surprise". Il alerte sur les "mortalités massives" d'espèces constatées et l'apparition de "nouveaux prédateurs" en Méditerranée.
franceinfo : Est-ce que ces températures vous surprennent et vous préoccupent ?
Jean-Pierre Gattuso : Pour la communauté scientifique, ce n'est pas une surprise. Ce qui est une surprise, c'est la rapidité. On a eu une canicule extrêmement intense en Méditerranée l'année dernière, 134 jours, avec une température record de 29,1° à Villefranche-sur-Mer. Donc on peut considérer que la Méditerranée se tropicalise. À 29°, c'est typiquement une température que l'on rencontre dans la zone tropicale. Évidemment, ça redescend en hiver. Mais même la température hivernale en Méditerranée, qui est en gros de 13° sur nos côtes, augmente elle aussi. Beaucoup moins vite, mais elle augmente aussi. On se retrouve avec consécutivement deux années en canicule, alors qu'auparavant ces canicules marines étaient espacées de plusieurs années. Donc on a l'impression d'un emballement qui nous surprend. Des collègues italiens ont signalé des températures bien plus élevées, 30°. C'est du jamais vu en Méditerranée.
"On observe ces températures dans le golfe arabo-persique. Mais en Méditerranée, c'est absolument du jamais vu. J'espère que l'on n'y arrivera pas parce que les conséquences sont vraiment catastrophiques."
Jean-Pierre Gattusoà franceinfo
Quelles sont ces conséquences ?
On observe tout d'abord des mortalités massives. On observe aussi des mouvements d'espèces, des migrations. Les espèces qui le peuvent, qui sont mobiles, se déplacent. On a par exemple une affluence de poissons d'origine de zones tempérées qui montent dans l'Arctique ou sur les côtes de l'Islande. Donc ce sont des bonnes nouvelles pour ces pays-là. En revanche, c'est une très mauvaise nouvelle pour la zone intertropicale qui voit ses populations de poissons se réduire de plus en plus. Il y a une certaine injustice parce que ce sont des pays qui ne sont pour pas grand-chose dans le changement climatique et ce sont eux qui en payent le prix en premier.
Vous parlez de mortalités, de disparition de certaines espèces. Est-ce qu'à un, deux ou trois degrés de différence, ces espèces peuvent ne pas survivre dans l'eau ?
Prenons le cas des coraux par exemple. Ils ne meurent pas tous à 100 %. Quand on parle de mortalité massive, il y a beaucoup d'individus qui meurent, mais il en reste quelques-uns, parce qu'ils ont la capacité de résister. Mais avec l'augmentation de la fréquence et de l'intensité de ces vagues de chaleur marine, l'année suivante il y a encore une fraction qui va mourir, et l'année d'après aussi. Donc on ne peut pas envisager un véritable retour à la normale si la fréquence de ces évènements est trop rapide.
Est-ce que l'on voit, à travers les migrations, apparaître des espèces dans certaines zones marines qui n'y avaient jamais été auparavant ?
Oui. On peut citer la Méditerranée. Il y a environ 1 000 espèces de la mer Rouge qui ont réussi à s'installer en Méditerranée en passant par le canal de Suez. C'est une autre manifestation de la tropicalisation de la mer Méditerranée, puisque la mer Rouge est une mer tropicale. Toutes ne posent pas de problèmes, loin de là, mais certaines entrent en compétition avec des espèces natives de la Méditerranée. Par exemple le poisson-lapin, qui est excessivement vorace, qui entre en compétition avec d'autres poissons herbivores. Cela fait de nouveaux prédateurs.
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