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Climat : on vous explique pourquoi la "pause réglementaire européenne" sur les normes environnementales souhaitée par Emmanuel Macron fait polémique

La "pause" réclamée vendredi par le chef de l'Etat sur les normes environnementales européennes a suscité des inquiétudes à Bruxelles et parmi les écologistes.
Article rédigé par Camille Adaoust, franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Emmanuel Macron fait un discours sur la réindustrialisation de la France, à l'Elysée (Paris) le 11 mai 2023. (YOAN VALAT / POOL / AFP)

"Une pause réglementaire européenne." Devant les acteurs de l'industrie française, jeudi 11 mai, Emmanuel Macron a estimé que les normes environnementales de l'UE étaient certes "les meilleures" et qu'il convenait de les appliquer, mais surtout de ne pas en rajouter, au nom d'un besoin de "stabilité". A peine prononcée, la formule a fait réagir, notamment dans les rangs de la gauche et des écologistes. L'Elysée a aussitôt tenu à clarifier les propos du chef de l'Etat : "Le président ne parle pas de suspension, mais d'exécuter les décisions déjà prises." Et la Première ministre d'insister, samedi, depuis La Réunion, en affirmant qu'"il n'y a pas du tout de pause dans l'ambition climatique" de la France.

Le chef de l'Etat a d'ailleurs affirmé, lors de son discours, vouloir "réduire les émissions" de gaz à effet de serre, causées par les activités humaines et responsables du changement climatique, ou encore "décarboner l'industrie", comme le note Libération. Voici pourquoi le terme de "pause" choisi par le président de la République soulève des inquiétudes.

Parce qu'il y a certes beaucoup de normes, mais qu'elles sont jugées nécessaires

Alors qu'Emmanuel Macron a réaffirmé, vendredi lors d'une visite à Dunkerque (Nord), qu'il ne fallait plus "ajouter" de normes environnementales, après l'application du Pacte vert de l'Union européenne, plusieurs spécialistes, comme l'avocat Arnaud Gossement, ont reconnu que le droit européen en matière d'environnement était "bavard". Aboutissant ainsi à des "normes mal rédigées, modifiées aussitôt votées ou purement symboliques" sans véritable "moyens" de les appliquer.

Toutefois, comme le remarque l'avocate et ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage dans Le Parisien, "si le Code [de l'environnement] a grossi, c'est parce que les questions environnementales ont pris de l'ampleur, que de nouvelles problématiques sont apparues comme les OGM, les biotechnologies, les éoliennes ou la dangerosité des pesticides et que les normes en matière d'environnement et de santé sont logiquement de plus en plus sévères".

Parce que le Giec met en garde contre tout "retard supplémentaire"

"Pendant cinq ans, on livre ce qu'on a prévu de livrer, et c'est déjà beaucoup, et on arrête d'en rajouter", a continué de justifier le ministre délégué chargé de l'Industrie, Roland Lescure, sur franceinfo jeudi. Cette pause de cinq ans a toutefois été vue par les militants ou les élus écologistes comme l'annonce d'une "pause écologique". Et ce en pleine crise climatique. 

"Les preuves scientifiques sont sans équivoque : le changement climatique constitue une menace pour le bien-être de l'humanité et la santé de la planète", établit ainsi de manière claire le rapport (en anglais) du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). 

"Tout retard supplémentaire dans l'action mondiale concertée et anticipée en matière d'adaptation et d'atténuation nous fera manquer la brève fenêtre d'opportunité que nous avons pour assurer un avenir viable et durable pour tous."

Le Giec

dans son rapport

Face à cette urgence, l'expression de "pause" a donc été lue comme "climaticide". "On est à un moment de l'histoire où on ne peut pas garantir aux enfants qui naissent en 2023 que la planète sera encore habitable quand ils auront 30 ans", s'est insurgée sur franceinfo Marine Tondelier, secrétaire nationale d'EELV. 

Parce qu'un moratoire sur les réglementations est déjà en discussion au Parlement européen

Si l'essentiel du Pacte vert, paquet de textes-clés de l'Union européenne sur le climat, a été adopté, comme la réforme du marché carbone ou la fin des ventes de voitures à moteur thermique, une partie fait encore l'objet de difficiles négociations. Les propos du président ont immédiatement été perçus par certains comme un alignement de la France sur les demandes de la droite européenne.

Le groupe PPE, principale formation du Parlement, réclame en effet "un moratoire" sur certains projets législatifs liés aux pesticides et à la restauration de la nature, s'alarmant d'un impact trop lourd pour les agriculteurs et de "menaces" pour la sécurité alimentaire. D'autres lois (emballages, émissions polluantes des élevages...) font l'objet d'âpres pourparlers. "Nous défendons depuis plusieurs mois l'idée d'un moratoire législatif. On va presque demander un droit de copyright à Emmanuel Macron", a réagi François-Xavier Bellamy, eurodéputé Les Républicains, cité par Le Monde.

Le président a toutefois clarifié que cette pause devrait se faire après l'adoption du Pacte vert. "La France ne défend en aucun cas un moratoire (...) Il n'y a aucun changement de cap, simplement une attention à ce que les règles soient praticables par l'ensemble des acteurs économiques", a également réfuté auprès de l'AFP Pascal Canfin, eurodéputé Renaissance qui préside la commission Environnement au Parlement européen.

Parce que les engagements de l'Europe sont considérés comme encore insuffisants

"On est devant, en termes règlementaires, les Américains, les Chinois ou toute autre puissance au monde", a justifié Emmanuel Macron jeudi. Par ces comparaisons, le chef de l'Etat a érigé l'Europe en championne des normes pour la lutte contre le changement climatique et la protection de l'environnement. 

Elle a en effet adopté une taxe carbone aux frontières, la fin de vente des voitures thermiques en 2035, l'accélération de la part des énergies renouvelables, la fin des importations issues de la déforestation ou encore la réforme du marché carbone. Mais la première place est-elle bien méritée ? "C'est à la fois vrai et faux et nous ferions mieux de balayer devant notre porte. Car la France s'est régulièrement assise sur le droit européen, notamment en matière de chasse ou d'interdiction de certains pesticides comme les néonicotinoïdes", répond au Parisien Arnaud Gossement. Interrogée par franceinfo, la chargée de campagne pour l'association Les Amis de la Terre, Lorette Philippot, s'inquiète également de "rétrograder, alors qu'on est encore bien loin en Europe et en France d'être dans nos objectifs climatiques".

Car, si les normes européennes sont "les meilleures", d'après Emmanuel Macron, elles ne suffisent toujours pas à respecter l'accord de Paris. Selon le Climate Action Tracker (en anglais), un organe créé par une communauté d'experts qui évalue les politiques climatiques, l'action et les promesses européennes ne sont pas encore suffisantes pour maintenir le réchauffement global en dessous de 2°C, selon la dernière analyse disponible datant de novembre 2022.

Parce que la décarbonation du secteur industriel est en cours

La formule ayant été prononcée face aux acteurs de l'industrie française, certains dénoncent une "erreur de communication". Simone Tagliapietra, de l'Institut Bruegel, un centre de réflexion pro-européen, y voit un risque de "donner implicitement un message erroné selon lequel les objectifs écologiques vont à l'encontre des objectifs industriels". "Il faut être très prudent, car il existe des forces, notamment des partis populistes, qui pensent de la sorte", s'inquiète l'économiste.

Pour atteindre les objectifs climatiques et freiner la hausse des températures, le secteur industriel va devoir se décarboner, alors qu'il représente 19% des émissions de gaz à effet de serre en France et 14% en Europe. La transition est en cours, assure le Haut Conseil pour le climat dans son dernier rapport. "Tous les grands secteurs émetteurs connaissent désormais une baisse de leurs émissions. La baisse est bien établie et structurelle dans les secteurs des bâtiments, de l'industrie et de l'énergie. Elle est néanmoins ralentie depuis 2015 dans ces deux derniers secteurs", peut-on y lire. Le rapport souligne par ailleurs que les feuilles de route de décarbonation établies pour "les sous-secteurs de la chimie, du ciment, des mines-métallurgie et de la papeterie, qui représentent près de 75 % des émissions de l'industrie (...) manquent d'ambition par rapport à la [stratégie nationale bas-carbone] et les actions identifiées sont peu opérationnelles".

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