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Climat : pourquoi l'Allemagne met-elle un frein au vote sur l'interdiction de la vente des voitures à moteur thermique dans l'UE en 2035 ?

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le ministre des Finances allemand Christian Lindner (à gauche) et le chancelier allemand, Olaf Scholz, lors d'une conférence de presse à Meseberg (Allemagne), le 6 mars 2023. (ODD ANDERSEN / AFP)
Les autorités allemandes ont déclaré qu'elles attendaient de la Commission européenne une proposition permettant d'avoir des véhicules roulant avec des carburants de synthèse, et ce même après 2035.

Il devait s'agir d'une formalité, pour valider une mesure clé des objectifs environnementaux de l'Union européenne. Le vote des 27 Etats membres de l'UE visant à confirmer l'interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique en 2035, prévu mardi 7 mars, a été reporté du fait du blocage de l'Allemagne, rendant impossible la constitution de la majorité requise. Les ambassadeurs des Vingt-Sept à Bruxelles ont "décidé de reporter la décision (...) à une réunion ultérieure", a annoncé en fin de semaine un porte-parole de la représentation de la Suède, Etat qui assure actuellement la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne. Les ambassadeurs "reviendront sur ce sujet en temps voulu"

Le texte vise à réduire à zéro les émissions de CO2 des voitures et camionnettes neuves au sein de l'UE, et ce à partir de 2035. Un accord avait eu lieu en octobre entre les Etats membres et négociateurs du Parlement européen, puis avait été approuvé mi-février par les eurodéputés. Le vote annoncé mardi marquait la dernière phase avant l'entrée en vigueur du texte, mais sans le soutien de l'Allemagne, l'obtention de la majorité qualifiée – le vote d'au moins 55% des Etats, représentant au moins 65% de la population de l'UE – n'était plus possible. L'Italie s'était en effet déjà opposée au texte, tout comme la Pologne, et la Bulgarie avait l'intention de s'abstenir. "Une majorité qualifiée serait ainsi empêchée et la suppression progressive des moteurs thermiques, rejetée", a déclaré l'eurodéputé écologiste allemand Michael Bloss, cité par Politico*.     

Une proposition réclamée sur les e-carburants

Pour mettre fin à ce blocage, rare si près du vote entérinant le texte, les autorités allemandes ont déclaré qu'elles attendaient de la Commission européenne une proposition permettant d'avoir des véhicules roulant avec des carburants de synthèse, et ce même après 2035. Les carburants synthétiques sont "des mélanges d'hydrocarbures" créés "à partir d'autres ressources que le pétrole", explique dans The Conversation Aurore Richel, professeure de chimie des ressources renouvelables à l'université de Liège (Belgique). Parmi ces carburants, on retrouve l'e-carburant, qui "repose sur une séquence d'étapes de production intégrant en préliminaire l'utilisation de dioxyde de carbone, capté de l'atmosphère ou de rejets industriels et d'hydrogène (H2) obtenu par électrolyse de l'eau", poursuit la chercheuse.

"Nous avons toujours dit clairement que la Commission européenne devait présenter une proposition sur la manière dont les carburants synthétiques pourraient être utilisés dans les moteurs à combustion après 2035 (...). Ce qui manque maintenant, c'est la réalisation de cet engagement", a déploré vendredi 3 mars le ministre allemand des Transports, Volker Wissing, membre du parti libéral-démocrate (FDP). "Le gouvernement est uni dans cette attente d'une proposition de la Commission européenne, visant à montrer comment les e-carburants peuvent être utilisés après 2035", a déclaré le chancelier social-démocrate allemand, Olaf Scholz, au cours d'une conférence de presse lundi, rapporte Politico*. 

Le poids de l'industrie automobile allemande

Berlin "attend de la Commission européenne qu'elle propose un plan sur la manière dont on peut utiliser des e-carburants pour une flotte thermique, après 2035. Or, du point de vue de la Commission, ces carburants seront utilisés pour une certaine flotte, comme des véhicules de pompiers. De grands véhicules à des fins très spécifiques", explique à franceinfo Marie Krpata, chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa), au sein de l'Institut français des relations internationales (Ifri). L'experte souligne, pour expliquer la position de Berlin, "l'importance de l'industrie automobile pour l'Allemagne". 

"L'Allemagne est connue comme la patrie de l'automobile. Quelque 800 000 emplois sont directement liés au secteur de l'automobile. Il y a aussi un dynamisme, à travers l'automobile, qui touche d'autres secteurs : la chimie, le textile..."

Marie Krpata, chercheuse à l'Ifri

à franceinfo

En parallèle, "l'Allemagne n'a pas pris le tournant du véhicule électrique", poursuit la spécialiste. Le pays "veut diversifier son offre, ne pas seulement miser sur le véhicule électrique" qui demande moins de main-d'œuvre, d'où son intérêt pour ces e-carburants. Ce type de carburant est "massivement développé par le groupe allemand Audi", notait Aurore Richel en 2019. Pour Marie Krpata, les constructeurs automobiles allemands "souhaitent continuer à produire des véhicules thermiques" à destination, notamment, des Etats-Unis et de la Chine après 2035. La production d'e-carburants est défendue car elle permettrait de prolonger l'utilisation de moteurs thermiques au sein de l'Union européenne après cette date. Elle est toutefois critiquée par des ONG. Selon Transport et Environnement, une organisation européenne rassemblant des ONG du domaine du transport et de l'environnement, des tests "montrent qu'une voiture roulant à l'e-fuel émet des niveaux de NOx (oxydes d'azote) toxiques aussi élevés que le carburant conventionnel E10, mais aussi beaucoup plus de monoxyde de carbone et d'ammoniac". 

Derrière ce blocage, l'intérêt politique du parti libéral-démocrate

Ce blocage de Berlin vient d'abord du parti libéral-démocrate, membre de la coalition gouvernementale avec les sociaux-démocrates et les Verts allemands. Christian Lindner, le ministre des Finances allemand, a en effet déclaré que son parti refuserait les nouvelles règles, expliquant que l'"objectif est que des voitures neuves à moteur à combustion puissent encore être immatriculées en Allemagne après 2035", en utilisant ces nouveaux carburants, rapporte Der Spiegel (en allemand). Déjà en juin, le ministre libéral-démocrate avait déclaré qu'il considérait l'interdiction de la vente de voitures à moteur thermique comme une erreur.  

Le parti libéral-démocrate, crédité de 6% des intentions de vote dans des sondages nationaux relayés par Politico*, "est le plus petit parti de la coalition", rappelle Marie Krpata. La chercheuse rappelle une récente défaite du FDP, qui a obtenu moins de 5% des voix lors d'élections à Berlin en février. "C'est très compliqué pour eux en ce moment", poursuit la spécialiste, à l'approche de deux prochaines élections régionales en Bavière et en Hesse. 

"Avec l'inflation, l'Allemagne doit mettre de l'argent sur la table (pour les ménages), donc le FDP ne peut pas mener sa politique d'orthodoxie budgétaire. Il veut se positionner comme défenseur de la compétitivité, défendre l'industrie automobile et représenter l'économie."

Marie Krpata

à franceinfo

Avec cette position sur la mesure européenne, le FDP réaffirme son positionnement de représentant des intérêts des entreprises. L'unité affichée du gouvernement sur sa position face au texte cache néanmoins des divisions, car les Verts soutiennent cette interdiction de la vente de voitures à moteur thermique. "Des diplomates européens ont parfois l'impression de parler à trois interlocuteurs quand ils parlent à l'Allemagne : le SPD, le FDP et les Verts", pointe Marie Krpata. A la tête d'une coalition inédite, Olaf Scholz a été "obligé de faire la synthèse entre intérêts économiques et ambitions climatiques". 

*Ces liens renvoient vers des contenus en anglais. 

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