: Infographies Réchauffement, maladies, insectes... Comment le dépérissement de la forêt française menace nos objectifs climatiques
La COP28, qui se déroule jusqu'au mardi 12 décembre à Dubaï (Emirats arabes unis), est l'occasion pour les pays présents de dresser un premier bilan des engagements pris en 2015 lors de la COP21 à Paris, afin de "limiter la hausse des températures à 1,5°C" et d'atteindre "le zéro émission nette". La France a affiché en 2019, dans sa loi relative à l'énergie et au climat, son intention d'atteindre la "neutralité carbone à l'horizon 2050". L'Etat a fait ainsi le pari de réduire massivement ses émissions de gaz à effet de serre, tout en compensant les restantes. Parmi les leviers mobilisés pour réussir cette compensation, figure la forêt française.
La stratégie nationale bas carbone, feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique, prévoit que près de la moitié des 80 millions de tonnes de gaz à effet de serre qui seront encore émises en 2050 seront absorbées par la forêt. La France mise d'autant plus sur son puits de carbone forestier que, depuis près d'un siècle et demi, la forêt s'étend. "C'est lié à la déprise agricole qui a commencé au milieu du XIXe siècle et qui se poursuit actuellement, surtout dans des zones moins productives ou moins faciles à exploiter, en petite ou moyenne montagne par exemple", explique Laurent Augusto, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (Inrae).
Près d'un tiers du territoire couvert de forêt
Les terres agricoles tombées à l'abandon dans les campagnes sont regagnées par la végétation. Dans le Jura ou la vallée de la Seine, la forêt a ainsi repris ses droits. "La plupart du temps, ce sont des phénomènes de reforestation spontanée", détaille le chercheur. En 2022, d'après l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), la superficie de bois représentait 17,3 millions d'hectares en France hexagonale et en Corse, soit 31% du territoire.
Ces forêts agissent comme des pompes à CO2. "Le moteur de cette pompe, c'est la photosynthèse, explique Laurent Augusto. Pour produire de la matière, l'arbre capte du CO2 de l'atmosphère." A l'inverse, il rejette aussi du CO2, lorsqu'il respire ou bien quand ses racines, ses feuilles mortes ou l'arbre dans sa totalité meurent et sont dégradés. A ce moment-là, le carbone, auparavant stocké notamment dans le bois de l'arbre, se retrouve en partie stocké dans le sol et en partie émis vers l'atmosphère. "La forêt est donc un puits de carbone quand ce qui rentre est supérieur à ce qui est renvoyé dans l'atmosphère", résume le spécialiste. C'est ce qui se produit en temps normal. Lorsqu'elle n'est pas confrontée à des événements catastrophiques, comme les tempêtes ou les canicules, la forêt joue son rôle de pompe.
C'est sur l'espoir que ce mécanisme fonctionne à plein régime que repose le calcul de la stratégie nationale bas carbone. Avec une forêt qui s'étend, celle-ci doit être en mesure d'absorber environ 40 millions de tonnes d'équivalent CO2 en 2050. Mais depuis 2013 environ, cet objectif est nettement compromis. L'état de santé des forêts se détériore et, d'année en année, leur croissance se tasse, ce qui entame leur capacité à jouer ce rôle de puits de carbone.
Plus de 600 000 hectares de forêt en train de dépérir
L'IGN estime à environ 670 000 hectares la surface de forêt dépérissante en France en 2022, soit 3,9% de l'ensemble des massifs français. Un peuplement forestier est dit dépérissant lorsque 20% des arbres qui ont accès à la lumière soit sont morts récemment, soit ont une partie de leurs branches hautes qui sont mortes. Cette superficie de forêt en train de dépérir équivaut à l'ensemble de celles touchées par des incendies depuis trente-cinq ans. Un chiffre d'autant plus inquiétant qu'il s'agit d'une estimation a minima. "Lorsqu'un arbre est dépérissant, il faut parfois agir très vite. Pour éviter la prolifération de certains insectes ou de maladies, on le coupe. Il n'apparaît alors pas dans le décompte des arbres dépérissants mais dans celui des arbres abattus", relève Nathalie Derrière, cheffe du département des résultats d'inventaire à l'IGN. Si le phénomène est global, certaines régions sont particulièrement touchées, notamment dans le Nord-Est, où les conifères ont été décimés.
Le réchauffement climatique, qui a favorisé les conditions chaudes depuis ces dernières années, est le premier responsable de ce dépérissement des forêts. Depuis 2018, la France a connu des étés exceptionnellement chauds et marqués par de fortes sécheresses, à l'exception de 2021. "Pour s'adapter à cette sécheresse, les arbres arrêtent leur croissance et stoppent la photosynthèse", détaille Isabelle Chuine, écologue terrestre et directrice de recherche à l'université de Montpellier. L'arbre cesse alors de croître et de jouer son rôle de pompe à carbone.
"La sécheresse peut mener à l'embolie, voire à la mort des branches ou de l’arbre entier."
Isabelle Chuine, écologue terrestreà franceinfo
Ce dépérissement des arbres est aussi provoqué par les pathogènes et les ravageurs qui attaquent les forêts. "Quand l'arbre est affaibli, il devient une proie pour les champignons, les maladies et les insectes", détaille la chercheuse. Qu'il s'agisse d'insectes déjà présents en France depuis longtemps ou de nouveaux ravageurs arrivés à la faveur du commerce mondial, tous ont profité de cet affaiblissement.
Une mortalité des arbres qui s'accélère
"Pour les épicéas, c'est la double peine, décrit Lilian Duband, chargé de mission changements climatiques à l'Office national des forêts de Bourgogne-Franche-Comté. Cette espèce était déjà fragilisée par la sécheresse et les scolytes ont largement profité de cela pour proliférer. D'autant que ces insectes, qui creusent des galeries sous l'écorce des arbres, sont favorisés par l'augmentation des températures."
A ces facteurs peuvent parfois s'ajouter des erreurs de gestions humaine, passées ou récentes. "Dans les années 1950-1960, à une époque où l'on n'avait pas conscience du réchauffement climatique, il y a eu beaucoup de plantations d'épicéas en basse et moyenne montagne. Mais c'est une espèce qui est adaptée à la haute altitude, pas aux sécheresses répétées, analyse Laurent Augusto. D'où le fait que ces arbres ont beaucoup souffert pendant les récentes canicules." Si les épicéas sont les arbres les plus touchés, toutes les essences ont vu leur mortalité augmenter. A cause de cette accumulation de facteurs, la mortalité des arbres a grimpé de près de 80% entre les périodes 2005-2013 et 2013-2021, d'après l'IGN.
Cette dégradation de l'état de santé des arbres et le ralentissement de la croissance de la forêt ont mis à mal la pompe à carbone forestière. Et c'est sans compter les prélèvements : les coupes de bois ont augmenté de près de 9% par an entre 2005-2013 et 2013-2021, d'après l'IGN, même si elles concernaient pour beaucoup des arbres malades.
Presque deux fois moins de CO2 absorbé
Résultat : en quelques années, la capacité de la forêt à absorber du CO2 a ainsi été divisée par deux. "Il y a environ cinq ans, les forêts captaient 50 millions de tonnes équivalent CO2. Aujourd'hui, ce puits n'est plus que de 27 millions de tonnes, alerte Mélanie Juillard, ingénieure au Citepa, l'association qui établit chaque année un bilan des flux de gaz à effet de serre en France. Cela ne laisse pas une marge de manœuvre immense et la forêt pourrait devenir une source nette de carbone si cette dynamique se poursuivait". Dans certaines régions comme la Franche-Comté, la bascule a déjà eu lieu : la forêt y émet désormais plus de gaz à effet de serre qu'elle n'en absorbe.
Cette tendance va à rebours de la planification écologique française. "La stratégie nationale bas carbone prévoyait de capter jusqu'à 80 millions en misant sur un accroissement du puits de carbone, dont les forêts sont les premières contributrices. Mais le discours change et on parle désormais surtout de sécuriser le puits existant", constate Mélanie Juillard.
“Le moyen essentiel que l'on a pour atténuer le changement climatique et arriver à la neutralité carbone nous lâche.”
Isabelle Chuineà franceinfo
Certains espèrent malgré tout trouver des moyens d'aider la forêt à s'adapter. "On sait par exemple que le fait de mettre plusieurs espèces d'arbres dans la même forêt la rend moins vulnérable aux maladies et aux agresseurs", rappelle Laurent Augusto. "Mais cela reste une course de vitesse entre, d'une part, notre capacité à aider la forêt à s'adapter et, d'autre part, l'aggravation des conditions climatiques chaudes et du stress que subissent les arbres", tempère l'expert.
Pour les experts contactés par franceinfo, la solution à privilégier pour sauvegarder les forêts hexagonales et leur capacité à absorber les gaz à effet de serre, et ainsi atteindre la neutralité climatique, est de lutter contre les émissions, dès l'origine. "Plus le puits de carbone diminue, plus il faudra augmenter les efforts de réduction dans les autres secteurs", prévient Mélanie Juillard.
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