Maladies chroniques, chaleurs extrêmes, pénuries... Dans son 8e rapport sur l'impact du changement climatique sur la santé, "The Lancet" pointe des records inquiétants

La chaleur mais aussi l'exposition accrue à des phénomènes météorologiques extrêmes affectent de différentes manières la santé et le bien-être des êtres humains tout au long de la vie et partout sur la planète, alerte ce rapport annuel.
Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Des patients sont traités dans un hôpital de Varanasi, en Inde, lors d'une vague de chaleur pendant laquelle les températures ont dépassé les 45°C, le 30 mai 2024. (NIHARIKA KULKARNI / AFP)

"Nous avons mis trop de temps à faire valoir le fait que le réchauffement climatique concerne aussi la santé", reconnaît le médecin en chef de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Jeremy Farrar. "La crise climatique est une crise sanitaire. Ce sera le cas en 2050, ce sera le cas au tournant de ce siècle", mais surtout, insiste-t-il, "c'est déjà le cas aujourd'hui." En collaboration avec l'OMS, l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et plus de 120 experts à travers le monde, la revue scientifique The Lancet révèle, mercredi 30 octobre, son 8e rapport consacré aux impacts du changement climatique sur la santé, le "Lancet Countdown" ("compte à rebours" en français).

Sur les 15 indicateurs de suivi des risques sanitaires liés au changement climatique, "dix ont atteint un nouveau record", a alerté la directrice de ce projet lancé en 2016, Marina Romanello, en présentant à la presse ses nouvelles conclusions. "Les populations du monde entier sont confrontées à des menaces sans précédent pour leur bien-être, leur santé et leur survie en raison du changement climatique rapide", a-t-elle exposé. 

La chaleur tue de plus en plus, mais pas seulement

En 2023, les décès liés à la chaleur chez les personnes de plus de 65 ans ont battu un nouveau record : +167% par rapport aux années 1990, selon The Lancet, alors qu'a température constante, la démographie aurait entraîné une hausse de 65%. "A mesure que nous vieillissons, il existe des interactions [entre le stress thermique] et différentes maladies chroniques", explique Ollie Jay, directeur du laboratoire de recherche sur la chaleur et la santé à l'université de Sydney. Les maladies cardiaques ("le premier facteur de risque en cas de canicule"), les maladies rénales, le diabète, les problèmes de santé mentale... "Tous sont aggravés, tout comme les maladies respiratoires", poursuit-il, rappelant que, si ce n'est pas la chaleur qui aggrave ces maladies, l'exposition aux températures élevées fait courir un risque bien plus grand aux personnes qui en souffrent. 

Selon le "Lancet Countdown", en 2023, une personne a été exposée, en moyenne, à 1 512 heures de "températures élevées représentant au moins un risque modéré de stress thermique lors d'une activité physique en extérieur, comme la marche ou le vélo". Soit 328 heures de plus que la moyenne annuelle au cours de la période 1990-1999. Les pays les moins développés sont ceux où l'on court le plus de risques, ajoutent les experts. Cependant, l'Europe occidentale n'est pas à l'abri, notamment pendant les vagues de chaleur de l'été.  

Nous verrons une augmentation de ces phénomènes touchant les plus vulnérables dans toutes les régions du monde. S'en occuper, ce n'est pas de la charité. Très égoïstement, c'est dans l'intérêt de chaque pays.

Jeremy Farrar, médecin en chef de l'OMS

A travers le globe, la hausse des températures a ainsi entraîné en 2023 un record de 512 milliards d'heures de travail perdues, la grande majorité de ces pertes se produisant dans le secteur agricole. Des recherches menées récemment en Amérique centrale montrent par exemple que "le risque de maladie rénale chronique augmente chez les personnes très jeunes (...) exposées à la chaleur pendant une période prolongée avec peu d'eau potable à disposition", abonde le professeur Ollie Jay.

Des événements extrêmes menacent la sécurité alimentaire partout 

Sécheresse et inondation sont les deux faces d'une même pièce. Avec le changement climatique, ces deux phénomènes se multiplient, mettant en péril l'accès à des ressources vitales. Selon les derniers chiffres disponibles, 151 millions de personnes supplémentaires ont subi "une insécurité alimentaire modérée à grave" dans 124 pays, par rapport à la moyenne relevée entre 1981 et 2010. En 2023, 48% de la superficie terrestre a été touchée par au moins un mois de sécheresse extrême, contre une moyenne de seulement 15% de la superficie terrestre touchée dans les années 1950. Soit le deuxième niveau le plus élevé jamais enregistré, poursuit le rapport. 

La sécheresse touche particulièrement "l'Afrique et notamment l'Afrique du Nord, l'Afrique du Sud et  l'Amérique du Sud", liste Marina Romanello, qui ajoute que "de toute évidence, la sécheresse menacera la sécurité alimentaire et l'accès à l'eau, augmentera le risque de transmission de maladies infectieuses et menacera la productivité agricole".

En France, 54,4% du territoire a connu au moins un mois de sécheresse extrême chaque année entre 2019 et 2023, note le rapport, qui ne dispose pas encore de données permettant de voir comment, à l'inverse, les pluies abondantes de 2024 ont elles aussi affecté le quotidien et la santé des Français, ainsi que la production agricole. Car "les risques d'inondations ont bien sûr des conséquences très graves sur la santé, poursuit Marina Romanello. Elles favorisent la transmission de maladies infectieuses, augmentent le risque de glissements de terrain et d'autres effets néfastes."

D'où l'introduction cette année d'un nouvel indicateur, permettant de surveiller l'évolution de la fréquence des événements de précipitations extrêmes. "Entre 1961-1990 et 2014-23, 61% de la surface terrestre mondiale a connu une augmentation du nombre de jours de précipitations extrêmes", poursuit le rapport. 

Des maladies se développent 

Les changements dans les précipitations et la hausse des températures favorisent la transmission de maladies infectieuses mortelles, qui touchent désormais de nouveaux territoires. C'est le cas de la dengue, du paludisme ou encore du virus du Nil occidental, transmis par des moustiques qui découvrent, à la faveur de ce nouveau climat, de nouvelles zones habitables. "Les cas de dengue dans le monde ont fortement augmenté au cours des deux dernières décennies", écrit le rapport, notamment en Europe (y compris dans l'Hexagone). A travers le monde, entre la décennie 1951-1960 et celle qui vient de s'écouler, le risque de transmission d'une maladie par le moustique tigre a globalement bondi de 46,3%. 

Carte de France interractive des départements où le moustique-tigre est installé

Certaines bactéries profitent aussi de la hausse des températures. En 2023, 88 348 kilomètres de littoral, répartis sur 83 pays, ont abrité des conditions propices à la transmission de maladies par les vibrions, "des bactéries qui génèrent des infections gastro-intestinales et des bactéries mangeuses de chair qui génèrent également des infections des plaies, avec un risque de septicémie", explique Marina RomanelloEt notamment, le choléra. Selon le rapport, ce record de surface s'est accompagné en 2023 d'un record du nombre de cas estimés de vibriose, engendrée par ces bactéries : environ 692 000, selon The Lancet. 

Dans le cas de la France, le rapport souligne que l'évolution du climat a, en vingt ans, "considérablement augmenté" le nombre de régions propices à la leishmaniose. Cette maladie, qui se traduit dans sa forme la plus fréquente par une infection cutanée, est provoquée par la piqûre des insectes appelés phlébotomes. Observées dans le sud de la France entre 2001 et 2010, les conditions climatiques propices à cette propagation s'étendent désormais jusqu'à la Côte-d'Or et au Maine-et-Loire. 

Une bonne nouvelle sur la qualité de l'air 

Au milieu de ces mauvaises nouvelles, le rapport pointe toutefois une lueur d'espoir : grâce à la réduction de l'utilisation du charbon, "les décès attribuables aux particules fines (PM2,5) en extérieur, causés par l'utilisation de combustibles fossiles, ont diminué de 6,9% entre 2016 et 2021", explique-t-il. Cela montre "le potentiel salvateur de l'élimination progressive du charbon", poursuit The Lancet.

S'adressant aux gouvernements et aux entreprises accusés "d'attiser le feu" en continuant d'investir dans les énergies fossiles, les auteurs du "Compte à rebours" appellent les dirigeants à cesser de subventionner les activités qui aggravent le changement climatique afin de "rediriger l'argent vers les énergies renouvelables propres et les activités bénéfiques à la santé, aux moyens de subsistance et au bien-être des gens."

"Cette transformation s'accompagnerait rapidement d'avantages pour la santé et l'économie par le biais d'une amélioration de l'accès à l'énergie et de la sécurité énergétique, d'une eau et d'un air plus propres, de régimes et styles de vie plus sains et d'opportunités professionnelles plus durables", assurent-ils. 


Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s'est réchauffée de 1,1°C. Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l'avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.