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Entre-t-on dans l’ère de la "déconsommation" ?

Alors que le XXe siècle a vu la consommation des objets augmenter de façon exponentielle, une étude britannique démontre que ce phénomène toucherait à sa fin. Effet de mode ou lame de fond ?

Article rédigé par Aurélie Delmas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Dans un supermarché de Londres (Royaume-Uni), le 23 décembre 2011. (REUTERS)

La consommation des Britanniques a cessé d’augmenter lors de la dernière décennie. Plus surprenant, une baisse s'est même amorcée avant le début de la récession économique. Ces conclusions d’une récente étude (PDF en anglais) effectuée par un spécialiste anglais des questions environnementales démontrent qu’un "pic des objets" a été atteint en Grande-Bretagne entre 2001 et 2003, en référence aux pics gazier ou pétrolier. Alors, phénomène isolé ou "déconsommation" en marche sur le long terme ? 

• La consommation en baisse en Grande-Bretagne

Au cours des dernières décennies, le pays aurait consommé moins d’eau, moins de papier, moins de nourriture, moins de voitures, moins de textiles, moins de déchets mais aussi d’engrais et de matériaux de construction. Ainsi le montre le graphique (en anglais) réalisé par le Guardian à partir des chiffres de l'Office des statistiques national (ONS) du Royaume-Uni et des analyses de Chris Goodall. Cet expert des questions climatiques et candidat aux élections législatives pour le Green Party, le parti écolo, met en lumière dans son étude une accélération de la baisse de la consommation en Grande-Bretagne dans les années 2000.

"Ce que les chiffres suggèrent, explique encore Chris Goodall dans le Guardian (en anglais)c’est que 2001 pourrait s'avérer être l'année où (…) le poids total de tout ce que nous utilisons, de la nourriture au carburant en passant par le mobilier, a atteint son apogée et a commencé à décliner."

Dans son étude, chaque année de la décennie voit l'achat et l'utilisation de différents biens entamer leur déclin : en 2001 le papier, en 2002 l’énergie. Dès 2003, ce sont les déchets qui débutent la décroissance, puis l’achat de voitures neuves en 2004 et les distances parcourues en 2006.

Et la baisse semble assez conséquente. Par exemple, la quantité de déchets ménagers (document en anglais) est passée de 520 kg par personne et par an en 2002 à 457 kg. Le pic d’utilisation de l’eau a eu lieu en 2003-2004, avec 12 127 millions de litres par jour, avant de tomber à 11 485 millions en 2009-2010.

Et d'autres biens sont en baisse depuis plus longtemps. C’est le cas par exemple des engrais, dont la quantité épandue diminue depuis les années 80. Ou de la consommation en termes de calories par personne qui fond depuis environ un demi-siècle. Le déclin de la consommation de viande est, lui, particulièrement marqué depuis 2003.

• Des observations différentes en France

"Si une tendance se dégageait réellement en Angleterre, on pourrait penser que la même chose arrive en France, et même au-delà, mais il faut rester prudent", estime Catherine Mathieu, macro-économiste spécialiste de la Grande-Bretagne à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Pourtant, selon l’Insee, "la consommation intérieure de matières n'a globalement pas fléchi depuis 1970, malgré les évolutions technologiques".

Et  même si on constate une diminution, elle est beaucoup moins marquée en France que dans l’étude de Chris Goodall. Alors que la consommation de papier a chuté de 15 % en Grande-Bretagne avec la révolution numérique, elle n'a chuté que de 1,3 % en France, d’après une étude Copacel-Insee. De même, alors que la Grande-Bretagne a vu la consommation de biomasse, l'ensemble des déchets d'origine végétale ou animale, chuter après un pic en 2002, celle de la France a augmenté puis stagné, toujours selon les données de l’Insee. Idem concernant l'achat de voitures neuves en France qui reste inchangé depuis 2003 (2 009 milliers en 2003 et 2 050 milliers en 2008, selon l'Insee).

"En France, la courbe de la consommation tend vers la stagnation, tempère Nicolas Siounandan, chargé d’études et de recherche au Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc). L'augmentation a simplement ralenti ces dernières années." Selon un rapport réalisée par le centre, le nombre de personnes qui affirment avoir fait des économies en consommant moins est passé de 18 % en 1997 à 24 % en 2009 puis 23 % en 2010.

"La théorie de la déconsommation est assez discutable en France car les bases [de la consommation] sont solides. Ce qu’on remarque, c’est qu’on essaie de consommer de façon plus fonctionnelle, par exemple de louer ou d’acheter d’occasion." Une tendance pourrait donc se développer, mais ses effets ne sont pas encore connus. "Il n’est pas exclu que cela se traduise par plus de consommation d’autres biens à long terme", envisage Nicolas Siounandan. Ainsi, si on opte de plus en plus pour la réutilisation, on pourrait aussi profiter des économies réalisées pour acheter d'autres objets. 

• L'impact de la crise dans la balance

Une interrogation survient alors : le ralentissement de la consommation n’est-il pas lié à celui du pouvoir d’achat ? Pour Chris Goodall, la baisse s’est sensiblement accélérée depuis le début de la crise en 2008, mais la Grande-Bretagne aurait commencé à moins acheter avant la période de récession. Cela signifie que, pendant les premières années de la décennie, les Britanniques seraient parvenus à développer leur économie sans solliciter davantage de ressources.

"En quelques années, nous sommes retournés au deuxième niveau le plus bas depuis les années 1970, analyse Chris Goodall dans le Guardian. Et, chose surprenante, la consommation semble avoir commencé à baisser dans les premières années du nouveau millénaire, alors que l'économie était encore en pleine croissance." Non seulement le PIB s’est accru, mais en plus, selon l’ONS, la population a augmenté de 2,4 % entre 2003 et 2007.

• La difficile équation croissance économique-défis écologiques 

Selon certains économistes, ce pourrait être l’aboutissement logique de la "courbe environnementale de Kuznets", sur laquelle revient un article d'Agoravox. Le principe en est relativement simple : les pays se développent dans une phase dite "cheap and dirty" ("pas chère et sale") lors de laquelle ils gaspillent les ressources et génèrent une forte pollution. Puis vient un point de basculement au-delà duquel ils commencent à investir dans des ressources plus efficaces. C’est alors que la quantité de matériaux utilisés diminue.

Une conclusion un peu rapide pour Catherine Mathieu qui relativise les résultats du travail du Britannique. "Cette étude est intéressante, mais elle est trop partielle. M. Goodall sélectionne certains produits, il ne couvre pas l’ensemble de l’économie." Et de renvoyer à une autre étude (PDF en anglais), réalisée par le ministère de l’Environnement britannique qui, contrairement à celle de Chris Goodall, prend en compte l’import-export. Celle-ci conclut que la consommation continue à suivre la courbe du PIB, sauf concernant les matériaux de construction.

Une des différences, c'est que Chris Goodall, lui, ne tient pas compte de la délocalisation des industries. Or si la consommation d’énergie est en baisse en Grande-Bretagne, celle des usines étrangères qui produisent des biens de consommation importés outre-Manche continue d’augmenter. Et globalement, l’utilisation des ressources et les émissions de carbone sont en augmentation, tandis que la surface des forêts diminue. 

"Je ne veux pas suggérer un seul instant que le monde ne doit pas faire face à des défis environnementaux énormes, se défend Goodall. Mais ces données suggèrent la possibilité, et ce n'est qu'une possibilité, que la croissance économique n’est pas nécessairement incompatible avec ces défis."

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