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J'ai marché sur les traces de l'ours dans les Pyrénées

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Un ours brun dans les Pyrénées orientales françaises, le 10 novembre 2010. (FRILET PATRICK / HEMIS.FR / AFP)

Premier volet de notre série sur les 25 plantigrades qui vivent dans le massif pyrénéen, entre France et Espagne. Pour espérer en voir un, il faut s'enfoncer dans la forêt, grimper dans la montagne et s'armer de patience. Reportage.

Mes guides m'ont donné rendez-vous à 9 heures à Saint-Girons, la capitale du Couserans, cette région de l'ouest de l'Ariège où se concentre la majorité des ours vivant dans les Pyrénées. Après trois quarts d'heure de routes sinueuses, nous arrivons à destination : la vallée du Ribérot, au pied du mont Valier, dans l'extrême sud du département. La randonnée sur la piste du plantigrade peut commencer. Elle ne va pas être de tout repos.

Jérôme Sentilles, technicien à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ouvre la marche. L'un de ses collègues, Frédérick Diard, la ferme. Iris, chienne malinoise d'à peine un an, gambade tout autour. Dressée à se coucher et à aboyer lorsqu'elle trouve une crotte d'ours, elle est leur nouveau moyen de détection de l'animal. Nous nous enfonçons dans une dense forêt de hêtres.

Que sont devenues Noisette et Fadeta ?

Les deux trentenaires sont chargés du suivi de l'ours dans les Pyrénées. En collaboration avec leurs homologues espagnols, ils collectent et étudient les traces laissées par les plantigrades : poils, déjections, photos et vidéos prises automatiquement par des appareils dans la forêt, et parfois les attaques sur les troupeaux de brebis. Ils établissent ainsi une carte du territoire des ours et observent l'évolution de leur population dans le temps, leurs âges, leurs sexes, leurs liens de parenté. 

Ils ont repris leurs travaux sur le terrain début mai, à la fin de la période d'hibernation. Avec le printemps, ils nourrissent quelques espoirs. "Il y a des femelles comme Noisette et Fadeta qu'on n'a pas détectées l'an passé. On va voir cette année si on les repère à nouveau ou pas", explique Jérôme Sentilles. Autre attente, les naissances. Surtout après la découverte d'une oursonne d'environ 4 mois retrouvée sans sa mère dans le Val d'Aran (Pyrénées espagnoles), comme le rapporte France 3 Midi-Pyrénées"Balou a été observé sur une vidéo automatique en compagnie d'une femelle au moment du rut, probablement Caramelles. Alors est-ce qu'il y a des petits d'un autre mâle que Pyros ? Il n'y a que l'analyse génétique qui pourra le dire. Mais pour ça, il faut avoir des échantillons. Ça va être la surprise."

"Notre travail, c'est de fournir à l'Etat des données techniques sur l'état de la population", explique Jérôme Sentilles. A charge pour lui de décider de la politique à suivre en matière de conservation de l'espèce : réintroduire ou non des ours dans les Pyrénées. Entre pro et anti, le technicien entend rester "impartial" et préfère "ne pas rentrer dans l'aspect politique du dossier". "L'objectif c'est de restituer les données sur la réalité de la situation pour que chacun puisse se faire sa propre opinion."

Sur le territoire de Nheu, Balou et Pépite

Nous marchons sur l'un des 48 itinéraires créés par l'ONCFS sur la chaîne pyrénéenne. Ce circuit, les bénévoles et professionnels du réseau ours brun, dirigé par l'ONCFS, vont l'arpenter dix fois au cours de l'année, jusqu'à mi-novembre. "Avec l'augmentation de leur population, les ours ont étendu leur territoire dans ce secteur. Nheu, Balou et Pépite y ont déjà été détectés", assure Jérôme Sentilles. J'ai donc des chances d'apercevoir au moins quelques traces.

Leur chemin à flanc de montagne ne ressemble même pas à un sentier. Il faut prendre garde à ne pas glisser sur l'épais tapis de feuilles mortes. Puis enjamber un tronc d'arbre tombé à terre, se faufiler sous un autre, franchir un ruisseau sans déraper sur les pierres moussues. Au bout d'une heure, je suis en nage, malgré la fraîcheur du sous-bois qui nous protège du soleil. 

Des poils de sanglier sur un tronc

Les deux hommes s'arrêtent régulièrement pour inspecter des troncs d'arbres sur lesquels quelques centimètres de fil de fer ont été fixés et de la térébenthine versée sur l'écorce. Des appâts à ours. Car l'animal est sensible à cette odeur d'essence. Lorsqu'il la flaire, il vient se frotter à l'arbre, laissant des touffes de poils dans le barbelé. Jérôme Sentilles repère des poils fichés dans l'écorce. A-t-on déjà trouvé la trace d'un ours ? Je n'ose y croire. Le technicien douche mes espoirs. "Ce sont les poils d'un sanglier qui passait par là."

Des aboiements rauques retentissent un peu plus haut dans la forêt. Je leur demande ce que c'est, espérant, comme bien des randonneurs, avoir entendu l'ours. Ce n'est qu'un chevreuil qui nous a repérés.

Jérôme Sentilles, technicien de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), verse de l'essence de térébenthine sur le tronc d'un arbre, le 15 mai 2014, dans la vallée du Ribérot (Ariège). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Après deux heures de marche, nous arrivons à un appareil photo à déclenchement automatique, attaché dans un pin à 3 mètres de haut en contrebas du sentier. A-t-il immortalisé un ours en vadrouille ? Je croise les doigts. Frédérick Diard monte à l'arbre et rapporte l'engin. Jérôme Sentilles fait défiler les clichés. On y voit nos jambes, leur chien, deux autres membres du réseau ours brun et leur épagneul, un renard et un sanglier, mais point d'ours. Nouvelle déception.

Un renard dans la nuit

Cette halte a tout de même un bon côté : elle me donne l'occasion de souffler et de bénéficier de nouvelles explications. "On arrive à reconnaître les quatre mâles adultes rien qu'avec les photos car ils ont de grosses différences morphologiques", m'explique Jérôme Sentilles. Pyros est le plus grand de tous, Moonboots est un peu plus petit que lui, Balou a encore le collier émetteur qu'il portait lors de son lâcher, Bonabé a un plus petit gabarit. "Pour les femelles, c'est plus délicat", reconnaît le technicien.

Depuis 2012, l'ONCFS expérimente un nouveau procédé. "Grâce à un modèle mathématique appliqué à la photo d'un ours prise de profil, on obtient les mesures exactes de l'animal", explique l'agent. Des appareils comme celui-ci, il y en a 49 dans les Pyrénées.

Frédérick Diard, agent de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), récupère un appareil photo automatique, le 15 mai 2014, dans la vallée du Ribérot (Ariège). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

La marche reprend. L'ascension se fait plus raide encore, les hêtres cèdent la place à un tapis de bruyère et d'herbes rases. J'ai le souffle court, les poumons qui brûlent. Mes deux accompagnateurs, eux, gardent le rythme.

Des isards et une marmotte à la jumelle

Distancé, je les rejoins sur la crête. Il est 13 heures, c'est le moment de sortir le pique-nique et de reprendre des forces. Le panorama s'ouvre sur les sommets enneigés : les estives des bergers. Entre pierriers et conifères, ces zones escarpées sont idéales pour que les ourses y aménagent leurs tanières. "C'est un peu tôt pour savoir s'il y a eu des naissances pendant l'hiver, commente Jérôme Sentilles. Les femelles restent encore près des tanières. Elles protègent ainsi les oursons de l'homme et des ours mâles qui pourraient tuer les derniers-nés pour que les femelles retombent en chaleur et qu'ils puissent se reproduire."

Plus bas, une petite dizaine d'isards traversent les pâturages entre un névé et une cabane de berger. "Ils ont peut-être été effrayés par un ours", plaisantent les deux agents de l'ONCFS. Leur travail se base aussi sur les témoignages de randonneurs. "Ils espèrent tellement voir un ours qu'ils sont persuadés d'en avoir vu un", reconnaît Jérôme Sentilles. "Une fois, quelqu'un nous a affirmé qu'il avait vu un ours debout sur ses pattes arrière et qu'il l'avait entendu siffler. C'était une marmotte... Les jumelles, ça grossit", excuse Frédérick Diard.

Jérôme Sentilles, technicien de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), le 15 mai 2014, dans la vallée du Ribérot (Ariège). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Nous reprenons la marche. "Cette fois, ça ne monte presque plus", me promettent les deux montagnards. Nous traversons la prairie et commençons à descendre. A ma grande déception, ils laissent de côté le chemin de grande randonnée et piquent droit dans la pente, s'aidant de leur bâton. Cette fois encore, je suis loin derrière. Et j'ai les cuisses qui tremblent. Direction la forêt en contrebas. 

Le crâne d'un cervidé sur le sentier 

Là non plus, les appâts de térébenthine ne donnent rien. Aucun poil coincé dans les fils de fer. Après avoir traversé une cascade, je croise un crâne de cervidé blanchi. J'ai très envie d'y voir une victime de l'ours. "Dans cet état, impossible de savoir de quoi l'animal est mort", me répond Frédérick Diard. Dans le sous-bois, une grosse pierre est retournée sur le sentier. "Un indice", poursuit-il. L'ours a-t-il cherché des larves ? Les deux hommes cherchent un poil ou une empreinte. En vain.

Après un peu plus de cinq heures de marche et plus de 600 mètres de dénivelé positif, nous revenons bredouilles. Le téléphone de mes guides sonne. Un de leurs collègues vient de relever un appareil photo sur le versant opposé. Il a capturé un cliché d'un ours la veille. Si j'ai peine à cacher ma jalousie, mes deux accompagnateurs sont, eux, ravis. Obtenir une photo d'ours, ça n'arrive pas si souvent. Quant à voir l'animal de ses yeux, c'est "une fois par an en moyenne", confie Jérôme Sentilles. Avant de nous quitter, il me glisse : "Si vous pouvez ne pas donner trop de précisions sur l'itinéraire..." Il n'a pas envie que le secteur grouille de randonneurs à la recherche du mythique ours brun des Pyrénées.

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