Rassemblement contre la "méga-bassine" de Sainte-Soline : ce que l'on sait des quatre procédures concernant des manifestants blessés
Alors que Gérald Darmanin s'explique devant les députés et les sénateurs, mercredi 5 avril, sur les récents affrontements au cours d'opérations de maintien de l'ordre ces dernières semaines en France, le procureur de Rennes a annoncé mardi qu'il était saisi de quatre procédures portant sur des manifestants blessés le 25 mars lors du rassemblement à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre la "méga-bassine". Le pronostic vital de l'un des quatre blessés est toujours engagé.
"Ce type de vérification est l'un des éléments fondamentaux qui caractérisent les démocraties libérales, c'est ce qu'on appelle un Etat de droit", a rappelé le magistrat, Philippe Astruc. Sa juridiction est spécialisée en matière militaire et donc compétente pour enquêter sur ces faits. Voici ce que l'on sait des investigations en cours et de la situation des personnes blessées.
Un trentenaire dont le pronostic vital est toujours engagé
Cet homme est le blessé le plus grave à ce jour et celui dont le cas a été le plus documenté dans la presse. Ce manifestant, né en 1990, prénommé Serge, est plongé dans le coma et souffre d'un traumatisme crânien grave et d'une fracture d'une vertèbre, a précisé le procureur, citant le certificat médico-légal et évoquant une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à 100 jours. Son pronostic vital est toujours engagé. Selon une enquête vidéo de Libération, mentionnée par le procureur pendant sa conférence de presse, Serge pourrait avoir été atteint par une grenade lacrymogène. C'est une "hypothèse de travail", il n'y a "pas de certitude", a précisé le magistrat, ajoutant par ailleurs que "deux cailloux" avaient été retrouvés dans les habits du blessé.
Invitant ceux qui "pourraient disposer de vidéos ou de photos" des événements "à en communiquer une copie", Philippe Astruc a mentionné le casque blanc que portait ce manifestant, toujours selon Libération. Une plainte contre X pour "tentative de meurtre" et "entrave à l'arrivée des secours" a été déposée par sa famille, représentée par l'avocate Chloé Chalot. Une plainte pour "violation du secret professionnel" et "détournement d'informations contenues dans un fichier de leur finalité" a également été déposée après les les divulgations dans la presse d'éléments sur le passé judiciaire et le fichage S de Serge.
Un manifestant d'une trentaine d'années sorti du coma
L'autre blessé très sérieux se prénomme Mickaël. Né en 1988, il souffre d'"une hémorragie méningée diffuse, d'un hématome de la face latérale du cou et d'une fracture du crâne", a listé le procureur. Selon les éléments de médecine légale, ces "lésions sont compatibles avec un mécanisme contondant, sans pouvoir déterminer de manière précise la nature exacte de l'agent vulnérant". Là aussi, l'ITT a été fixée à plus de 100 jours. Selon son avocate, également Chloé Chalot, Mickaël "serait sorti du coma et aurait terminé sa phase de réveil sans qu'il puisse à ce stade être apprécié d'éventuelles séquelles", a annoncé le magistrat. "Un objet fabriqué de façon artisanale qui se présente sous la forme d'un artifice" a été retrouvé sur lui et sera expertisé, a ajouté Philippe Astruc. Sa famille a également porté plainte pour "tentative de meurtre" et "entrave à l'arrivée des secours".
Un homme d'une vingtaine d'années risquant d'être mutilé de façon permanente
La troisième plainte, déposée lundi matin par la même avocate, concerne un homme né en 1995, souffrant d'"ecchymoses et d'érosions récentes" ainsi que d'un "traumatisme du pied gauche avec fracas osseux", que le blessé "impute à une grenade de désencerclement", a détaillé le représentant du parquet.
Selon le médecin légiste, ces blessures sont "compatibles avec le 'blast' d'une grenade de désencerclement". Les grenades à main de désencerclement (GMD), qui projettent des morceaux de caoutchouc, sont classées dans la catégorie A2 des armes, celle des "matériels de guerre". Le manifestant fait l'objet d'une ITT provisoire de 60 jours, avec un risque de mutilation permanente, a souligné le magistrat. Sa plainte a été déposée pour "violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente par personne dépositaire de l'autorité publique et avec arme".
Une jeune femme de 20 ans avec un "polytraumatisme facial très important"
C'est la quatrième procédure dont le procureur de Rennes a été saisi par son homologue de Niort, qui était en charge des investigations initialement. Il s'agit d'une jeune femme née en 2003, pour laquelle Philippe Astruc a dit avoir "une pensée particulière" car elle a "malheureusement fêté ses 20 ans ce samedi sur son lit de souffrance". Elle est victime d'un "polytraumatisme facial très important et de blessures aux jambes". La blessure au visage "apparaît secondaire à un mécanisme contondant à forte synergie" et les lésions aux jambes semblent liées "à un mécanisme perforant et érosif", a expliqué Philippe Astruc, sans se risquer à évoquer les armes pouvant être derrière ces traumatismes. La jeune femme bénéficie, elle aussi, d'une ITT de 100 jours, à réévaluer, et n'est pas en état de parler, "sa mâchoire ayant été rigidifiée mécaniquement par les médecins". Il n'y a pas de plainte déposée, à ce stade, dans cette procédure.
Un appel à témoins et plus de 300 vidéos à analyser
Rappelant que ces quatre victimes "n'ont que peu ou pas d'antécédents judiciaires", le procureur a justifié l'ouverture de quatre procédures différentes, confiées à l'IGPN, par le fait que les résultats des investigations seront "différents selon les victimes". A ce stade, mis à part pour Serge, "aucune donnée précise n'a été collectée" sur "la position géographique" des manifestants au moment des blessures, a fait valoir le magistrat, annonçant le lancement d'un appel à témoins, avec une adresse mail dédiée : iggn.saintesoline@gendarmerie.interieur.gouv.fr. La justice cherche aussi à recueillir le "maximum de vidéos", côté gendarmerie mais aussi côté manifestants et observateurs. Philippe Astruc a chiffré à "plus de 300" le nombre d'enregistrements à analyser et collecter. Objectif principal : déterminer l'origine des blessures.
Les enregistrements des communications téléphoniques et radio entre le Centre d'opérations et de renseignement de la gendarmerie (Corg), les pompiers et le Samu ont aussi été saisis. Plusieurs médias, dont franceinfo, ont relayé un enregistrement de la Ligue des droits de l'homme d'une conversation téléphonique entre un opérateur du Samu et un médecin. L'enquête devra notamment "éclairer les modalités de la prise en charge sanitaire des blessés", certains accusant les forces de l'ordre d'avoir retardé l'arrivée des secours sur place.
Des résultats d'investigations pas avant "quelques mois"
Huit enquêteurs sont mobilisés à plein temps sur ces investigations, qui pourront nécessiter l'ouverture d'une information judiciaire, selon le procureur. Les qualifications pénales retenues à ce stade, à savoir "violences avec ITT supérieures à huit jours par personne dépositaire de l'autorité publique" et "non-assistance à personne en danger", sont susceptibles d'évoluer en fonction des éléments recueillis dans le cadre de l'enquête et de l'évolution de l'état de santé des blessés, a-t-il reconnu.
Pour préciser l'origine des blessures, des analyses médico-légales chimiques et balistiques vont être confiées à des experts indépendants et les chefs d'escadrons qui commandaient l'opération du maintien de l'ordre ce jour-là vont être auditionnés. Le but est d'établir, une fois tous les éléments réunis, une "chronologie croisée minute par minute". Un travail qui prendra "plusieurs semaines", a averti Philippe Astruc : "Le temps judiciaire n'est pas le temps médiatique, les résultats ne seront pas connus avant quelques mois." Ces résultats seront alors "rendus publics".
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