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Pourquoi des scientifiques dénoncent-ils l'usage de pesticides à base de SDHI ?

Dans une tribune publiée dans "Le Monde", des scientifiques s'inquiètent des effets de pesticides qui affectent le processus respiratoire des êtres vivants. Ils appellent à l'arrêt de l'utilisation de ces molécules en milieu ouvert.

Article rédigé par franceinfo
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A l'entrée du village de Pollestres (Pyrénées-Orientales), un panneau porte la mention "Biodiversité préservée, moins de pesticides", le 1er novembre 2019. (VINCENT BRUGERE - CELINE ISAERT / AFP)

Le principe de précaution doit être appliqué "au plus vite". Dans une tribune publiée dans Le Monde, mardi 21 janvier, quelque 450 scientifiques et médecins réclament l'arrêt de certains types de pesticides en milieu ouvert.

A base de SDHI (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase), ces produits sont utilisés pour détruire les moisissures qui se développent sur les céréales ou les fruits. Ils agissent en bloquant une étape clé de la respiration des champignons, et sont aussi utilisés sur les pelouses de terrains de sport ou de golf.  Pourquoi des ONG ainsi que de nombreux scientifiques dénoncent-ils les effets de cette substance, jugée nocive pour l'environnement, comme, potentiellement, pour l'être humain ? Eléments de réponse.

Une "grave menace pour tout ce qui est vivant" 

"Des scientifiques français viennent de mettre en évidence que huit molécules fongicides SDHI commercialisées en France ne se contentent pas d'inhiber l'activité de la SDH des champignons (...). Ces molécules "sont aussi capables de bloquer celle du ver de terre, de l'abeille et de cellules humaines, dans des proportions variables", résume le CNRS. En clair : le processus respiratoire de cellules humaines, d'abeilles et de vers de terre est également affecté en laboratoire par ces produits. 

A l'origine de cette étude, le biochimiste Pierre Rustin, dont les données ont été publiées en novembre 2019 dans la revue américaine Plos-One. Ce chercheur émérite au CNRS, qui avait tiré la sonnette d'alarme dès 2017, explique à franceinfo le mécanisme à l'œuvre.

Les SDHI sont des substances qui viennent bloquer la respiration cellulaire de tous les êtres vivants qui y sont exposés.

Pierre Rustin, biologiste

à franceinfo

"Elles affectent forcément tous les êtres vivants, détaille le chercheur, puisque l'action des SDHI consiste à inhiber le composé central dans la respiration. Or, plantes, champignons ou êtres humains ont la même respiration cellulaire. Ce composé est identique dans tous les organismes vivants puisqu'il a été préservé au cours de l'évolution."  

Il dénonce aussi le terme "fongicide" appliqué aux produits à base de SDHI. Selon lui, ce mot prête à contresens. "Ces produits, insiste-t-il, attaquent tous les êtres vivants et pas uniquement les champignons. L'étiquette 'fongicide' est un mensonge. Les vendeurs le reconnaissent d'ailleurs implicitement puisqu'ils expliquent que ces produits tuent aussi les petits vers qui empêchent le gazon de pousser. Ils admettent donc qu'ils ne tuent pas que des champignons. Ce sont des produits très violents, notamment contre les poissons et contre certaines catégories d'insectes." En résumé, ces pesticides nouvelles générations représentent "une "grave menace pour tout ce qui est vivant", selon le journaliste spécialiste de l'environnement Fabrice Nicolino, fondateur de l'association Nous voulons des coquelicots.

"Une catastrophe sanitaire" possible

Les quelque 450 scientifiques signataires de la tribune du Monde appellent à "mettre en œuvre au plus vite l'arrêt de l'usage des SDHI en milieu ouvert". Ils estiment en effet que les dernières études "laissent prévoir le risque additionnel chez l'homme d'une catastrophe sanitaire liée à leur usage" 

Les travaux scientifiques, insistent-ils, "montrent que la toxicité des SDHI est aggravée en cas de dysfonctionnements mitochondriaux, même partiels, tels que ceux constatés dans de nombreuses maladies humaines". En termes plus simples, Pierre Rustin considère que ces substances jouent un rôle dans le développement de maladies neurologiques comme celles d'Alzheimer ou de Parkinson. Et il s'étonne – le terme est faible – de l'absence de réaction de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) vu les risques encourus, selon lui, par les humains.

L'Anses "continue ses travaux"

Mise en cause, l'Anses a publié le 21 janvier sa réponse, dans un communiqué mis en ligne sur son site. En substance : pas de retrait pour le moment des pesticides incriminés, mais les travaux de recherche se poursuivent. Elle lance "cependant un appel à la vigilance au niveau européen et international, et souligne la nécessité de renforcer la recherche sur de potentiels effets toxicologiques chez l'homme". L'agence, ajoute-t-elle, "mobilise ses experts" et s'est à "nouveau saisie de la question des SDHI. Les premiers résultats seront partagés au premier semestre 2020."

Cette lenteur exaspère plusieurs ONG pour qui il y a urgence. Trois d'entre elles ont envoyé cette semaine une lettre pour demander à l'Anses le retrait de trois produits précis. En cas de réponse négative ou de non-réponse de l'agence dans les deux mois, elles saisiront le tribunal administratif. Quant à Pierre Rustin, il dénonce l'utilisation de SDHI "à titre préventif et à une échelle monstrueuse". "On court à la catastrophe", estime-t-il. 

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