Trois questions sur ces fleuves, glaciers et forêts reconnus comme personnalités morales
La Nouvelle-Zélande avait reconnu, à la mi-mars, un statut d'entité vivante au fleuve Whanganui. L'Inde lui a emboîté le pas en accordant ce même statut au Gange et à son affluant, ainsi qu'à des lacs, forêts et glaciers de l'Himalaya. Franceinfo répond à trois questions sur ce nouveau statut.
Des espaces naturels pas comme les autres. Un tribunal du nord de l'Inde a reconnu, samedi 1er avril, les glaciers Gangotri et Yamunotri, ainsi que des lacs et forêts d'Himalaya comme des "personnalités juridiques". Le même tribunal de l'Etat himalayen de l'Uttarakhand avait accordé le même statut juridique au Gange et à son affluent, la Yamuna, le 20 mars dernier.
Quelques jours plus tôt, la Nouvelle-Zélande avait reconnu le statut de personnalité juridique au fleuve Whanganui, le troisième plus long cours d'eau du pays. Cette décision avait été décrite comme une première mondiale. Franceinfo revient en trois questions sur ce nouveau statut juridique accordé à des espaces naturels.
Pourquoi accorder ce statut ?
En accordant à un fleuve les mêmes droits qu'à une personne, le Parlement néo-zélandais a accédé à une demande des Maoris, populations autochtones, qui date des années 1870, rappelle Le Monde. "Cela marque la fin du plus long litige de l’histoire" du pays, a proclamé le ministre de la justice, Chris Finlayson, à l’issue du vote. Cette législation est une reconnaissance de la connexion profondément spirituelle entre l’iwi [la tribu] Whanganui et son fleuve ancestral."
"Notre terre est personnifiée, explique au Monde Jacinta Ruru, codirectrice du Centre de recherches maori à l’université d’Otago, à Dunedin, sur l’île du Sud. Nous nous percevons comme faisant partie de l’environnement. Notre bien-être et notre santé dépendent de ceux de notre environnement et réciproquement." La loi a "embrassé la relation des Maoris à la terre et renverse l’idée d’une souveraineté humaine", se félicite-t-elle.
Le Gange a également une dimension spirituelle importante. Chaque jour, dans ce fleuve sacré long de 2 500 km, des pèlerins hindous pratiquent les rites traditionnels ou y répandent les cendres de leurs proches. Mais ses eaux sont lourdement polluées par les rejets industriels ou d'égouts, et les gouvernements indiens successifs ont tenté en vain de les assainir. Le nouveau statut de personnalité morale du fleuve est censé appporter une solution.
A quoi ça sert, concrètement ?
La reconnaissance de ce statut permettra en fait à des citoyens de saisir la justice, au nom de ces entités naturelles, face aux pollueurs par exemple. C'est d'abord une manière de peser davantage, selon Marie-Angèle Hermitte, ancienne directrice de recherche au CNRS. "Le cas néo-zélandais est extrêmement puissant, explique cette pionnière du droit du vivant et du droit de l'environnement à France Culture, puisqu’il s’agit d’une tribu à qui l'on confie des responsabilités de gardien, au sens juridique, du fleuve. Ça n’est pas n’importe qui qui va parler au nom de ce fleuve : quand vous parlez vous-même, vous parlez avec vos mots, vos tripes, etc. Quand un peuple autochtone qui a toute sa cosmologie derrière parle du fleuve, tel que le fleuve a été construit dans son imaginaire, ça n’est pas du tout le même propos qu’une association de protection de l’environnement qui va dire 'Il y a 30 % de poissons de moins qu’il y a 10 ans'."
Par ailleurs, ce statut offre un arsenal juridique nouveau. "Le droit est un outil : reconnaître une personnalité juridique à des écosystèmes – des fleuves, mais ce pourrait être des forêts ou l’océan –, permettra de cadrer les activités industrielles que l’on n’arrive précisément pas à cadrer par le droit de l’environnement traditionnel", explique Valérie Cabanes, juriste, cofondatrice de l’ONG Notre affaire à tous, à Télérama. "En Inde, il s’agit de punir les pollueurs, particuliers ou entreprises qui seraient surpris en train de déverser des polluants toxiques dans ces rivières", poursuit-elle.
Reste à voir maintenant l'application d'un tel statut. "Attribuer le statut de personne au Gange, c'est bien, mais reste à voir s'il aura effectivement droit à la parole ou s'il sera muselé", détaille Laurent Neyret, spécialiste du droit de l'environnement à Géo. "On l'a vu en Equateur : la Constitution de 2008 reconnaît des droits à la nature, mais n'empêche pas la dégradation de l'environnement, comme en témoigne l'affaire Texaco-Chevron, poursuit-il. Au lieu de reconnaître tous les écosystèmes comme entités vivantes, je serais plutôt favorable à l'extension des devoirs de l'homme à leur égard."
Un tel statut est-il possible en France ?
En France, "la nature est essentiellement envisagée comme une entité dans le cas des grandes catastrophes écologiques, à l'image des marées noires et des accidents industriels", rappelle France Culture. Mais les choses changent, assure Valérie Cabanes. "Les décisions de la Nouvelle-Zélande et de l’Inde nous démontrent qu’il ne s’agit pas de projets romantiques, mais que, au contraire, ce sont des mesures concrètes qui peuvent être adoptées par tout un chacun", assure-t-elle.
Preuve pour elle de l'évolution des mentalités, plusieurs candidats à l'élection présidentielle proposent une reconnaissance des droits de la nature. "Jean-Luc Mélenchon demande la reconnaissance du crime d’écocide [acte de destruction de ce qui est nécessaire à l'humanité pour exister]. Et Benoît Hamon propose de constitutionnaliser les communs planétaires que sont l’air et l’eau. Jamais je n’aurais imaginé que l’on fasse évoluer ce discours en moins de quatre ans !", se félicite-t-elle.
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