Voyage au cœur de l'Amazonie, à la recherche des espèces rares
Dans le parc amazonien de Guyane, des scientifiques traquent les espèces méconnues avant qu'elles ne disparaissent. Lorraine Gublin et Mathieu Niewenglowski les ont suivi pour France Télévisions. Récit.
Il nous a fallu une journée entière pour les rejoindre, ces chercheurs que la science du vivant passionne. Une journée pour rallier Cayenne puis le cœur du parc amazonien de Guyane, un parc national français situé à la frontière avec le Brésil et le Surinam.
L’arrivée est spectaculaire : une heure et quarante minutes de vol en hélicoptère, à raser les cimes de la plus grande forêt du monde, à tourner autour de gigantesques dômes de granit, les inselbergs, qui surgissent çà et là de la forêt. Et nous voici lâchés dans le massif du Mitaraka, l’un des sites les plus reculés de Guyane, rarement exploré par les scientifiques. A bord de l'hélicoptère, Thomas Grenon, le directeur du Muséum national d'histoire naturelle, nous a expliqué que "les espèces décroissent 1 000 fois plus vite que le rythme naturel : dans 100 ans, la moitié des espèces auront disparu".
"Attention où vous mettez les pieds !"
L’hélicoptère se pose. Fin de la communication avec le reste du monde. Nos portables ne nous serviront plus qu’à prendre des photos.
A peine le temps de poser nos sacs, suspendre nos hamacs moustiquaires et, déjà, nous partons arpenter les layons taillés dans la forêt pour permettre aux scientifiques de procéder à leur inventaire. Quelques consignes : "Attention aux petits arbres taillés en biseau, si vous tombez, vous pourriez vous empaler dessus !"
Nous emboîtons le pas de Julien Touroult, entomologiste. Au cœur de cette forêt, il est comme un chercheur d’or, sauf que lui, ce sont les espèces d’insectes encore inconnues qu’il traque, "surtout les coléoptères de type longicornes : 70% des insectes en Amazonie restent à décrire". "Si je cherchais de l'or, je ne sais pas si je serais aussi heureux", précise-t-il.
Dresser un inventaire de la biodiversité, voilà l’objectif de la mission Planète revisitée : un travail très minutieux. Nous sommes épatés par la patience et l’obstination dont font preuve ces scientifiques. Parce que ces missions sont rares et coûteuses, peu de temps morts, ils enchaînent les relevés. Nuit et jour. Par tous les temps. Chaque arbre, chaque insecte, chaque reptile, chaque araignée qu’ils rencontrent (et la liste est longue) est répertoriée. Tous ces scientifiques ont déjà de nombreuses missions en forêt au compteur, mais le massif du Mitaraka, "pour un chercheur, c’est mythique".
Des conditions de travail "luxueuses"
Durant ces trois jours de tournage, difficile de savoir si nous sommes trempés à cause de la pluie ou de la chaleur. Nous passons du grand Soleil aux grosses averses à tout instant. La boue s’est accumulée dans le camp. Ce sont pourtant des conditions de travail presque luxueuses pour ces chercheurs. Rarement les missions sont aussi confortables. Le soir, le "boss camp", Serge, et les trois membres de son équipe préparent des petits plats chauds – mélange de produits frais et de conserves – et allument des feux pour éloigner les phlébotomes (des petits moucherons capables de transmettre des maladies).
Grâce au groupe électrogène, la grande table en bois du réfectoire est bien éclairée. Ces repas sont l’occasion pour les chercheurs de partager leur expérience sur le terrain. C’est comme cela qu’ils peuvent comprendre comment fonctionne la biodiversité. Comme nous le résume Sylvain Hugel, chercheur au CNRS, "c’est dans la profusion et la redondance d’espèces qui vivent au même endroit, qui mangent la même chose, qui souvent se ressemblent, qu’est le côté merveilleux et important de la biodiversité. C’est cette diversité qui assure la stabilité du système. Il y a une très forte proportion d’extinction d’espèces en ce moment et on ne sait pas jusqu’à quel point d’extinction on peut aller avec un monde vivant encore stable". L’enjeu est de taille.
Il y a dix fois plus d'espèces d'arbres qu'en Europe
Au troisième jour, nous avons marché longuement, très haut, même escaladé la roche des monts du Mitaraka. Au sommet, il n’y a pas que l’effort qui nous a coupé le souffle. De la forêt à perte de vue et même au-delà. Le panorama s’ouvre sur le Tchoukouchipan, inselberg dont le sommet est inaccessible, trop abrupt. "On se sent tout petit ici. On peut compter 600 arbres à l'hectare et 180 espèces différentes, c'est dix fois plus qu'en Europe", confie Christopher Baraloto, botaniste. Cette forêt si grande peut-elle un jour livrer tous ses secrets ? En quadrillant une vingtaine de kilomètres carrés pendant un mois, les 50 chercheurs qui se relaient sur le site de la mission contribuent à réduire l’étendue de notre ignorance.
Dans leurs petits laboratoires éphémères installés entre les hamacs et la cuisine du camp, ils ont photographié chaque espèce animale et végétale qu’ils ont trouvée. Parfois, ils prélèvent un minuscule bout de la queue d’un serpent pour en étudier l’ADN, sacrifient aussi quelques spécimens – "un seul individu par espèce inconnue", précise Nicolas Vidal, herpétologue – qui finiront au Muséum national d’histoire naturelle. Ces milliers d’échantillons prélevés dans la forêt serviront de référence à des centaines de chercheurs pendant encore plusieurs décennies.
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