Vrai ou faux Les plastiques "biodégradables" le sont-ils vraiment ?

Les sacs en plastique fins, disponibles notamment aux rayons fruits et légumes des supermarchés, ne s'altèrent que partiellement dans le sol, selon une expérience menée par un laboratoire du CNRS.
Article rédigé par Louis San
France Télévisions
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Des bananes dans un sac, sur marché de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), le 26 février 2023. (ALINE MORCILLO / HANS LUCAS / AFP)

Le temps presse. Alors qu'en Corée du Sud, les négociations patinent pour rédiger, d'ici dimanche 1er décembre, un traité international mettant fin à la pollution plastique, l'équivalent d'un camion poubelle de plastiques est rejeté chaque minute dans les océans.

Si la diminution de la production de ces matières se pose comme un élément évident pour réduire cette pollution, la démarche pourrait être aidée par d'autres leviers, comme l'emploi de plastiques dits "biodégradables". Mais le sont-ils vraiment et à quelles conditions ? Franceinfo récapitule.

Plusieurs dénominations "vertes" pour des réalités distinctes

Avant d'aller plus loin, un tri s'impose. Au sein de la famille des "bioplastiques", il faut distinguer les plastiques "biosourcés" (fabriqués en partie à partir de ressources renouvelables), les "biodégradables" (qui se détériorent sous l'action de micro-organismes) et les "compostables" (qui se désagrègent dans des conditions spécifiques). "Ce qui est biosourcé n'est pas forcément biodégradable, et ce qui est biosourcé et biodégradable n'est pas forcément compostable", précise Sophie Guillaume, directrice adjointe de l'institut de Chimie du CNRS et spécialiste des polymères.

Afin d'y voir plus clair, une équipe du CNRS a lancé une expérience de science participative baptisée Plastizen. Ce programme compare la façon dont se dégradent dans le sol des sacs très fins présentés comme biodégradables – comme ceux disponibles aux rayons fruits et légumes de supermarchés – et des sacs en plastique conventionnel.

Pour ces derniers, en polyéthylène, "on estime qu'il faut quatre cents ans pour qu'ils se dégradent dans la nature", explique à franceinfo Arthur Compin, membre de l'équipe animant Plastizen. "Mais ce sont des estimations, cela n'a encore jamais été testé puisque ces plastiques sont apparus dans les années 1950", complète cet ingénieur de recherche au CNRS au sein du centre de recherche sur la biodiversité et l'environnement.

Après trois mois dans le sol, "environ un quart des sacs ont disparu à l'œil nu"

Dans le cadre de l'expérimentation Plastizen, lancée en 2021, les participants enfouissent dans leur jardin, sous quelques centimètres de terre, un morceau de sac plastique biodégradable et un autre classique. Au bout de trois mois, ils évaluent l'état de leur délitement. "Les sacs conventionnels ne sont pas du tout dégradés, ce qui était attendu", commente Arthur Compin.

Pour les sacs biodégradables, les résultats varient. Environ la moitié sont "visuellement peu ou pas dégradés". En revanche, un quart est altéré de façon modérée, et "un quart des sacs ont disparu à l'œil nu", relève-t-il. "Que cela veut-il dire ? Sont-ils devenus des microplastiques [de minuscules fragments qui polluent les écosystèmes et nuisent aux organismes vivants] ? Nous ne le savons pas", concède-t-il.

La photo en haut à gauche montre un échantillon de sac biodégradable, utilisé dans l'expérience du CNRS Plastizen, avant enfouissement. Les trois autres clichés montrent trois échantillons, du même type de sac, après trois mois dans le sol. (PLASTIZEN / FRANCEINFO)

Le protocole de Plastizen se déroule sur une durée plus courte que celle retenue pour fixer les normes des sacs plastiques (au moins six mois), mais les conclusions montrent que les plastiques dits biodégradables "ne se dégradent pas dans tous les cas", résume Arthur Compin. "Cela dépend des conditions, surtout de l'humidité et de la température."

"Ce sont les bactéries et les champignons qui dégradent [les sacs]. Comme ce sont des organismes vivants, ils ont besoin d'une température moyenne, ni trop basse ni trop élevée, et d'humidité."

Arthur Compin, ingénieur de recherche au CNRS

à franceinfo

Si l'équipe de Plastizen n'anticipait rien de précis, le scientifique remarque que les participants s'attendaient malgré tout "à ce que la dégradation soit plus importante dans des jardins de particuliers, qui sont généralement des jardins potagers", où les organismes vivants sont nombreux.

Des sacs "biodégradable"… au sein de sites industriels

L'expérience Plastizen ne se penche que sur un type de plastique biodégradable, composé à 50% d'acide polylactique (PLA) et à 50% de copolyester. Or, il en existe toute une famille, aux caractéristiques différentes. Mais sur ce sujet en général, les spécialistes restent pour l'instant prudents. "Les plastiques biodégradables, cela ne veut pas dire grand-chose. Dans la communauté scientifique, nous sommes assez partagés sur cette question", déclarait Fabienne Lagarde, chercheuse en écotoxicologie marine au CNRS, en mai 2023 à l'Académie du Climat.

D'après elle, ces matières peuvent devenir une possibilité de "substitution dans des cas où, vraiment, nous n'avons pas d'autre solution que d'avoir le polymère [le plastique] qui va se retrouver dans l'environnement", évoquant les filets de pêche ou des films de paillage agricoles.

Le terme biodégradable peut effectivement prêter à confusion. ll "ne veut rien dire tout seul" mais est "défini par une durée et des conditions spécifiques de biodégradation", prévenait l'agence française en charge de la transition écologique (Ademe) en septembre 2019 (document PDF). Mis en avant pour son caractère biodégradable, le PLA est par exemple un "polymère biosourcé très prisé pour les contenants alimentaires", résumait le CNRS en septembre. Mais son processus de dégradation n'est possible que dans un cadre précis : quand la température dépasse les 60°C sur une longue durée.

Ces critères, bien éloignés de ceux que l'on retrouve dans un jardin, sont réunis sur des sites de compostage industriel, avec des "conditions contrôlées de température, d'humidité et de présence de micro-organismes", expliquait l'unité prévention du risque chimique du CNRS en février 2021. France 3 Nouvelle-Aquitaine avait ainsi montré, sur le site de tri de Beaune-les-Mines (Haute-Vienne) que les andains, les grands tas de compost, étaient justement criblés de sondes pour suivre l'évolution de leur température.

Mises en garde sur la notion de "compostable"

Au sein de cette vaste famille, les plastiques "compostables" peuvent de prime abord paraître les plus sains. Ils ont toutefois fait l'objet d'appels à la vigilance de la part de deux agences françaises. "La mention 'compostable' ne garantit pas que cet emballage, abandonné dans la nature, parvienne à se biodégrader suffisamment vite dans l'environnement pour ne pas générer d’impact sur les écosystèmes", avait mis en garde l'Ademe dans un avis paru en mai 2023. L'agence avait même préconisé de ne pas mettre les sacs ou emballages dits compostables dans son composteur domestique, invitant à les placer dans les sacs et containers jaunes.

Même son de cloche pour l'Anses, l'agence nationale de sécurité sanitaire, qui invitait en novembre 2022 la population "à ne mettre aucune matière plastique, même libellée 'biodégradable' et/ou 'compostable', dans les composteurs domestiques et collectifs".

Sur le terrain, les consignes relatives aux bornes de collecte des déchets alimentaires peuvent varier d'une commune à l'autre, selon le traitement qui sera réservé à ces détritus. La métropole de Bordeaux y refuse tout "emballage en plastique, y compris compostable ou biodégradable", quand la mairie du 11e arrondissement de Paris écrit que "tous les déchets alimentaires peuvent y être placés en vrac, dans un sac compostable ou en kraft, mais pas dans un sac en plastique [classique]". Ces déchets ainsi collectés sont transformés en biogaz via un processus industriel de méthanisation.

A l'heure actuelle, 99% des plastiques sont issus de ressources fossiles. Les sacs issus du 1% restant sont peut-être plus vertueux, mais ne sont pas totalement sans conséquence pour l'environnement. Il ne faut donc pas les laisser dans la nature. Plus globalement, comme le martèle l'Ademe, il ne faut rien jeter dans l'environnement.

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