Terrorisme : signaler toutes les personnes qui "ont des profils psychologiques troublés n'est pas possible" assure un psychiatre
Le ministre de l'Intérieur veut mobiliser les psychiatres "de manière à essayer de parer" aux menaces terroristes. Sur franceinfo, le psychiatre David Gourion critique un projet irréaliste "au vu du secret médical".
Après les attentats en Espagne, Gérard Collomb, le ministre de l'Intérieur a indiqué qu'il envisageait de "mobiliser l'ensemble des hôpitaux psychiatriques (et) des psychiatres libéraux, de manière à essayer de parer" aux menaces terroristes individuelles.
Cette éventualité ne plaît pas du tout au psychiatre, David Gourion qui signe une tribune dans Le Monde, pour exprimer son mécontentement. Pour lui, "considérer que les terroristes sont des monstres ou des malades mentaux c'est passer à côté des choses." Selon lui, il n'est pas possible de "signaler les personnes qui ont des profils psychologiques troublés."
franceinfo : Le terrorisme et les maladies mentales sont-elles liées ?
David Gourion : Penser que les terroristes sont tous ou pour la plupart des malades mentaux, c'est faire insulte aux malades mentaux. Est-ce qu'Hitler, Goebbels, Himmler, étaient des malades mentaux ? Est-ce qu'ils sont passés par des hôpitaux psychiatriques, par des circuits psychiatriques ? Non. Considérer que les terroristes sont un peu en dehors c'est probablement passer un peu à côté des choses.
Pourquoi collaborer avec les autorités vous poserait problème ?
Nous sommes une profession extrêmement encadrée par le secret médical. Il y a des exceptions à la maltraitance pour les enfants ou les actes criminels qui vont se commettre. Si demain j'ai entre mes mains un terroriste en puissance, là j'ai le devoir de le signaler au préfet de police.
Ce que propose M. Collomb n'est pas réaliste au vu du secret médical.
David Gourion, psychiatreà franceinfo
On va demander aux psychiatres, dans les hôpitaux psychiatriques, et en libéral de signaler les personnes qui ont des profils psychologiques troublés et qui sont potentiellement en voie de radicalisation. Ce n'est pas possible parce que cela impliquerait une sorte de fichage systématique.
Quels problèmes cela peut-il poser ?
Les patients jeunes schizophrènes, quand ils rentrent dans la maladie, font souvent des bouffées délirantes aigües avec des idées très mystiques qui font partie de leur maladie. Ils ont l'impression que Dieu leur parle, leur donne une mission. C'est très caractéristique, mais ils ne sont pas dangereux. S'il est musulman et qu'il se met à dire Allah, le jihad, etc, on serait dans le cadre d'une sorte de protocole, tenu de le signaler, il y a quelque chose qui ne colle pas. Et d'un point de vue secret médical, une vaste collaboration entre psychiatres, médecins et ministère de l'Intérieur, ce n'est absolument pas possible. Il faut connaître un peu l'histoire des persécutions des malades mentaux et de ce que ça a donné quand on a collaboré avec les autorités politiques. Ce n'est pas notre rôle.
Est-ce-que la confusion entre terrorisme et psychiatrie ne vient-elle pas du fait que parfois la frontière est ténue ? Comme dans le cas de la Tour Eiffel ou de Marseille.
C'est une réalité. Je ne dis pas qu'aucun terroriste n'est un malade mental, je dis juste que on ne va pas noyauter les filières terroristes dans les hôpitaux psychiatriques. Certaines trajectoires individuelles existent. Vous imaginez bien que les cadres recruteurs de Daech, pour organiser un attentat, ne vont pas aller recruter chez les grands déprimés, chez les schizophrènes délirants désorganisés, chez les autistes. Mon propos n'est pas de dire qu'aucun terroriste n'est malade mental, mais de dire que des études montrent que la plupart ne le sont pas. Les psychiatres ne sont pas des collaborateurs du ministère de l'Intérieur. Tout simplement, je pense que les moyens alloués au terrorisme sont limités. On ne peut pas les dépenser dans toutes les directions.
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