L'Espagne rongée par la crise immobilière
Des centaines de milliers de personnes ont manifesté le 29 mars dans toute l’Espagne contre la politique d’austérité du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Ce dernier a prévu de réduire le déficit de l’Etat de 27,3 milliards d’euros en 2012. Dans le même temps a été a annoncé un projet de réforme du marché du travail. But : rendre moins coûteux les licenciements pour les employeurs et démanteler le système national des conventions collectives.
L’éclatement de la bulle immobilière
Pour la quatrième année consécutive, la patrie de Cervantes est en récession, notamment provoquée par l’éclatement de la bulle immobilière. L’immobilier est aujourd’hui un secteur en plein marasme. Cela n'a pas toujours été le cas: entre 1997 et 2005 il est passé de 11 à 17 % du PIB. Grosso modo, entre 2001 et 2009, les deux tiers des maisons construites en Europe l’ont été en Espagne! Résultat : 80% des 46 millions d’Espagnols sont propriétaires. Pendant des années, construire à tout va a été l’une des grandes préoccupations de l’Espagne : sur les côtes, mais aussi à la campagne, dans les banlieues…
Mais en 2007, l’engorgement pointe alors que commence la crise financière mondiale. Aujourd’hui, le nombre de constructions réalisées chaque année a été divisé par sept. Et l’on estime à trois millions le nombre de maisons vides dans des quartiers fantômes. Des chiffres secs qui cachent des drames humains : de 2007 à 2011, 500.000 familles auraient été expulsés de leurs logements.
Dans le même temps, les prix de l’immobilier ont chuté d’au moins 25%. Et selon certaines estimations, il faudrait qu’ils baissent encore de près de 50% pour que le marché retrouve des couleurs !
Valdeluz, une "ville fantôme" à 70 km de Madrid
BFMTV, 11-2-2010
Un quart de la population au chômage
Le reste de l’économie s’est effondré comme un château de cartes, avec des faillites en cascade et une hausse vertigineuse du nombre de chômeurs, le BTP «pesant» un tiers des emplois avant la crise. Le chômage touche aujourd’hui 23% de la population, un record en Europe, et atteint près de 50% chez les jeunes.
De leur côté, à l’époque des vaches grasses, les banques ont distribué des prêts à tout va. Résultat, avec la crise, elles ont accumulé pour 176 milliards de créances douteuses. Pour la plupart, il s’agit de crédits susceptibles de ne pas être remboursés, d’immeubles et de terrains saisis dont elles ne savent que faire. Ce que d’aucuns qualifient de système de subprimes à l’espagnol. Et le gouvernement a demandé au secteur bancaire de consacrer 50 milliards d’euros pour assainir ses actifs immobiliers. Conséquence : un assèchement du crédit qui aggrave la situation des particuliers comme des entreprises.
En parallèle, il faut aussi tenir compte de la situation périlleuse des 17 communautés autonomes (régions) qui ploient sous une dette de 133 milliards d’euros. De par la Constitution, ces communautés jouent un rôle essentiel dans ce pays très décentralisé. Employant les trois quarts des fonctionnaires, elles assument ainsi une grande partie des services scolaires, sociaux et de santé, financent les universités et les programmes de recherche.
A l’époque du boom économique, les taxes sur le secteur de la construction ont gonflé leurs caisses. L’argent a parfois servi à mettre en place un système social généreux. Certaines collectivités, notamment celles de la côte méditerranéenne, aujourd’hui parmi les plus endettées, ont largement spéculé sur l’immobilier. D’aucuns dénoncent par ailleurs des investissements (gares, aéroports, musées), dont les frais de fonctionnement pèsent aujourd’hui lourdement.
Un tour de vis insuffisant ?
Face à cet Everest de difficultés, les efforts annoncés par Mariano Rajoy seront-t-ils suffisants ? Nombre d’économistes doutent du succès des mesures: selon eux, le pays aurait besoin de trouver 20 milliards de plus...
Quoiqu’il en soit, les nouvelles autorités et les milieux économiques ne semblent pas prêts à transiger. Des pressions ont été exercées contre ceux qui participaient à la grève générale du 29 mars qui a paralysé l’Espagne. «Il n'y a pas d'autre remède que de couper» encore, estime Eduardo Martinez-Abascal, professeur à l'IESE Business School de Madrid, «car l'Espagne a besoin de toute urgence d'améliorer son image extérieure face aux marchés».
D’autres spécialistes en doutent. «Cela a été démontré dans tous les pays, il est très difficile de réduire le déficit public au milieu d'une récession, parce que celle-ci réduit les recettes et augmente les dépenses, via les prestations chômage», souligne José Carlos Diez, économiste à la maison de courtage Intermoney. «Du coup, nous ramons à contre-courant. (…) Mais au final, nous nous épuisons», commente-t-il.
La crise espagnole au quotidien
Radio Canada, 13-12-2011
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