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Non, le nationalisme catalan n'est pas une idée nouvelle, la preuve

Deux historiens reviennent sur les racines de l'indépendantisme catalan, apparu au XIXe siècle, mais qui puise dans des épisodes historiques du Moyen Age et de la guerre de Succession d'Espagne. 

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Deux personnes portent le drapeau indépendantiste catalan dans les rues de Barcelone, le 10 octobre 2017. (GONZALO ARROYO MORENO / ANADOLU AGENCY / AFP)

Les Catalans sont déterminés. Après la tenue d'un référendum, jugé illégal par la Cour constitutionnelle espagnole, le président du gouvernement de Catalogne a signé une déclaration d'indépendance "symbolique", mardi 10 octobre. Mais d'où vient cette volonté d'autonomie et cette défiance envers Madrid ? "Le nationalisme catalan est entièrement construit sur la mémoire historique", explique l'historien Benoît Pellistrandi. Franceinfo remonte le fil du récit catalan.

Pour comprendre la crise politique que traverse l'Espagne, il faut en effet ouvrir les manuels d'histoire. "Le moment clé, c'est la seconde moitié du XIXe siècle", assure Benoît Pellistrandi, auteur de Histoire de l'Espagne, des guerres napoléoniennes à nos jours (éd. Perrin, 2013). A cette époque, le mouvement de "la Renaissance" fait son apparition dans la région. "Il y a, en effet, un réveil culturel et historique autour de la Catalogne, explique l'historien. Par exemple, la langue catalane devient une langue littéraire, alors qu'elle était essentiellement orale."

Au XIXe siècle, il y a une redécouverte du Moyen Age, période à laquelle la Catalogne était une puissance importante.

Joan B. Culla, historien catalan

à franceinfo

A l'origine de la fête nationale de la Catalogne

Pour construire ce nationalisme catalan, les habitants de la région vont réhabiliter les grands événements de leur histoire. "Le romantisme du XIXe siècle va transformer ces dates historiques en fêtes nationales", explique Joan B. Culla. Par exemple, c'est en 1886 qu'est célébrée la première "Diada". Cette journée fait référence au 11 septembre 1714, jour où Barcelone tombe aux mains des troupes du roi d'Espagne Philippe V de Bourbon, petit-fils du roi de France Louis XIV. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, cette date n'était absolument pas célébrée. Elle est d'abord reprise de manière très marginale par quelques militants, puis progressivement intégrée dans le discours politique. Au point de devenir un jour férié et une fête nationale à partir des années 1980. En 2012, pour la première fois, ce sont les institutions catalanes qui appellent même à la manifestation et rassemblent plusieurs centaines de milliers de personnes ce jour-là. 

Dans le discours catalan, cette date du 11 septembre 1714 est devenue extrêmement symbolique. Mais elle divise aussi les historiens. "En 1714, la Catalogne a été battue et le roi [d'Espagne] a décidé de la punir en lui enlevant sa souveraineté politique, explique l'historien catalan Joan B. Culla. L'unification de l'Espagne s'est faite par les armes." Ce n'est pas vraiment l'interprétation de Benoît Pellistrandi. Selon lui, les indépendantistes ont "biaisé" la signification de cet évènement : "On présente ça comme l'écrasement de Barcelone, alors qu'en réalité c'est, dans la guerre de Succession d'Espagne, un épisode comme un autre, et la société catalane était divisée entre les Bourbons [partisans de Philippe V] et les Habsbourg [partisans de l'Autrichien Charles III]", explique-t-il.

Un hymne créé en 1899 et chargé d'histoire

A la toute fin du XIXe siècle toujours, la Catalogne va se doter d'un autre symbole fort : l'hymne Els Segadors, ("Les Faucheurs") composé en 1899. Encore une fois, c'est une référence à l'histoire de la région. "Cette chanson fait allusion à la révolte de 1640, rapidement écrasée par Madrid, explique Benoît Pellistrandi. Ce n'est pas du tout un hymne du XVIIe siècle, mais les Catalans reprennent un épisode de division entre l'Espagne et leur région pour réaliser un hymne qui marche très bien."

Dans le discours nationaliste, ce qui compte ce sont les chocs avec Madrid. L'idée est que l'Espagne est une puissance extérieure qui brime la Catalogne.

Benoît Pellistrandi, historien

à franceinfo

A partir du début du XXe siècle, le nationalisme catalan va véritablement éclore au niveau politique. En 1901, le premier parti nationaliste est créé. "C'est la première fois que des nationalistes catalans se présentent à des élections, raconte Joan B. Culla. C'est aussi à partir de ce moment que Madrid va parler de 'problème catalan'." Un premier statut pour la Catalogne est rédigé en 1932. Il sera rapidement balayé par la guerre civile espagnole (la guerre d'Espagne, 1936-1939) et la dictature de Franco.

Franco écrase la Catalogne 

En 1939, Barcelone est l'une des dernières villes à tomber aux mains des troupes franquistes. "La Catalogne est vraiment un point de résistance et va le payer très cher, contrairement aux Basques, qui se sont rendus en 1937, rappelle Benoît Pellistrandi. Ceci explique l'importance de la répression de Franco à partir de 1939." La Généralité (région autonome) est supprimée, des nationalistes sont fusillés.

Après cette période sombre, les Catalans reprennent le fil de leur histoire régionale. Le président en exil de la Généralité, Josep Tarradellas, est de retour en 1977. "C'est vraiment une date importante, explique Benoît Pellistrandi. C'est l'idée que le 'self government' de la Catalogne est reconnu dans le nouveau panorama politique qui s'ouvre." En 1979, un nouveau statut de la Catalogne est voté. "Il remet sur pied ce que le franquisme avait détruit", explique Joan B. Culla. 

"Madrid a cru à un mirage, il n'en est rien"

Après plusieurs années de statu quo face à un Parti populaire (droite) hostile à toute évolution du statut de la Catalogne, l'arrivée au pouvoir des socialistes semblent débloquer la situation en 2006. "Nous avons rédigé un nouveau statut, largement adopté par le Parlement catalan, mais très rapidement, le pouvoir socialiste a perdu son enthousiasme, se rappelle Joan B. Culla. A peine le texte adopté par Madrid, puis par référendum en Catalogne, il s'est retrouvé dans 'le couloir de la mort', à cause du recours du Parti populaire auprès du Tribunal constitutionnel".

En 2010, plusieurs articles très symboliques du statut sont censurés, dont la reconnaissance de la "nation" catalane et la primauté de la langue catalane. "Cette décision a été vécue comme une agression juridique en Catalogne", explique Joan B. Culla. C'est à partir de ce moment que l'idée de l'indépendance va progressivement faire surface. En 2012, des centaines de milliers de manifestants brandissant des drapeaux indépendantistes défilent pour la première fois dans les rues de Barcelone. "Madrid a cru à un mirage, explique Joan B. Culla. Mais il n'en est rien. Avec la crise économique, des gens peu politisés ont commencé à se révolter contre l'attitude de Madrid." Un dialogue de sourds entre les autorités catalanes et madrilènes a fini de faire monter le désir d'indépendance. Jusqu'à la crise politique que connaît l'Espagne actuellement.

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