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Et si le pétrole n'avait déjà plus la cote...

Les pays pétroliers, comme l'Arabie Saoudite, ont fait de la protection de leurs économies un impératif lors des dernières négociations climat. Limiter le réchauffement climatique à 1,5°– un objectif idéal mentionné dans le récent accord de Paris sur le climat – constitue pour eux une menace supplémentaire. L'industrie vit déjà des moments difficiles.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Puits de pétrole.  (AWO / Science Photo Library)

«Cet accord (de Paris) met l’industrie du combustible fossile du mauvais côté de l’Histoire», commentait le 12 décembre 2015 le directeur exécutif de Greenpeace, Kumi Naidoo, peu avant l’adoption du premier accord universel sur le climat à la fin de la COP21. Et pour cause, le texte mentionne l’ambition de limiter la hausse des températures à 1,5 degré.

Une mention à laquelle était opposé le groupe arabe mené par l’Arabie Saoudite, dont fait partie le Koweït également producteur de pétrole. «Je suis membre du Haut Comité pour le changement climatique au Koweït. Et nous travaillons pour limiter la hausse des températures à leur niveau le plus bas. Mais signer un accord, c’est autre chose», expliquait à la veille de son adoption Abdullatif Ben Nakhi, membre de la délégation koweitienne à la COP21. L’accord de Paris est légalement contraignant. «C’est un objectif qu’il faudra atteindre au bout d’un certain temps (…). L’atteindre signifie que chaque pays doit changer de comportement». Un processus qui «affectera l’économie et par ricochet le mode de vie des populations».

Dans l’univers des pays pétroliers, les opinions semblent diverger sur ce point. «C’est une mauvaise lecture de la position de notre pays», répondra la négociatrice vénézuélienne Claudia Salerno, interrogée le 12 décembre 2015 sur la similitude de ses positions avec l’Arabie Saoudite. «Notre économie n’a jamais servi de base à nos négociations. Le pétrole est une ressource naturelle dont nous disposons dans notre pays mais cela ne définit pas notre position (dans les négociations climat), à la différence d’autres pays (producteurs de pétrole)». «Nous n’avons jamais été ceux qui nous battons pour la prise en considération "d’intérêts pétroliers".» Par ailleurs, poursuivait-elle, «si quelqu’un vend quelque chose sur un marché, c’est qu’il y a quelqu’un d’autre qui l’achète. La question n’est pas exclusivement liée aux producteurs de pétrole, mais plutôt à la volonté de chacun de changer de paradigme».

Recul vertigineux 
Accord climat ou pas, l’industrie pétrolière est déjà à la peine. «Le brut a reculé de plus de 60% depuis l'été 2004, lorsqu'il dépassait les 100 dollars le baril», rappelle l’AFP. «Le marché est plombé par une surabondance générale et les incertitudes sur la demande mondiale. Il plonge encore plus bas depuis début décembre à la suite de la décision par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) de ne plus se fixer d'objectifs chiffrés.»

«L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a estimé que la chute du cours de pétrole a fait passer les revenus des pays de l’Opep de 3000 milliards par an à 550 milliards, engendrant une crise fiscale, qui dure depuis assez longtemps pour devenir géostratégique», indique The TelegraphL’Arabie Saoudite pense même à lever des impôts en dehors de la zakat (impôt religieux). Une révolution dans le royaume wahhabite qui est en grande partie responsable de la conjoncture actuelle du marché du pétrole.

«Ryad paie le prix de l’échec de sa stratégie pétrolière, a confié au Monde (article payant) un investisseur étranger, sous réserve d’anonymat. Ses responsables ont tout fait pour maintenir les cours à un prix faible, dans l’espoir d’asphyxier l’industrie du gaz de schiste aux Etats-Unis. Mais cela n’a pas marché. Ils n’ont pas anticipé la baisse du coût des techniques d’extraction et le rachat des petits producteurs par de grosses sociétés. Maintenant que les cours ne remontent pas, ils sont très embêtés.»

Une inexorable mutation
Bien que pénalisés, les Saoudiens sont restés inflexibles sur leur position lors de la dernière réunion semestrielle de l’Opep, menaçant ainsi les intérêts du cartel, selon les analystes. Leur rencontre «s'est soldée (le 4 décembre 2015) sur une décision de maintien à son niveau actuel de la production de pétrole, sans toutefois annoncer de chiffre, contrairement à son habitude», rapporte l’AFP. «La production des pays du cartel, qui pompent plus d'un tiers du pétrole mondial, dépasse actuellement son objectif théorique de 30 millions de barils par jour (mbj).»

Selon les prévisions du rapport (World Energy Outlook) 2015 de l’AIE, il faudra attendre 2020 pour que le cours du baril de pétrole avoisine les 80 dollars. C’est également à partir de cette date qu’entrera en vigueur le nouvel accord climat. Par ailleurs, la transition énergétique est déjà lancée : «Les renouvelables constituent déjà la seconde source de production d’électricité (après le charbon)», indique le document de l'AIE. L'industrie pétrolière semble être désormais contrainte à faire sa révolution. 

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