Allemagne: Pegida, ce mouvement contre l'«islamisation de l'Occident»
Les sympathisants de Pegida (pour Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes, en français Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident) défilent aux cris de «Nous sommes le peuple» («Wir sind das Volk»). Un détournement du slogan des manifestations à Leipzig (aujourd’hui dans le Land de Saxe, alors dans l’ex-RDA) en octobre 1989, lesquelles devaient amener à la chute du Mur de Berlin quelques semaines plus tard.
En bonne santé économique, l’Allemagne est désormais la première terre d’immigration en Europe avec la Grande-Bretagne. «En 2012, le pays a accueilli 400.000 migrants et la tendance devrait se poursuivre», note Le Figaro. «C’est le signe que notre pays est attractif», expliquait la chancelière Angela Merkel fin décembre, à l’issue d’un sommet sur l’intégration.
Selon les chiffres officiels, sur une population de 82 millions d’habitants, on compte «plus de 15 millions de personnes issues de l’immigration», dont 3 millions de Turcs. Lesquels forment la majorité de la communauté musulmane (4 millions de membres).
«L’islam fait partie de l’Allemagne», explique Angela Merkel. Et les non-musulmans y ont «une relation de très bonne qualité avec la majorité des musulmans», estime la chancelière, interrogée après l'attaque contre l'hebdomadaire français Charlie Hebdo. Pour autant, selon une étude de la fondation Bertelsmann et publiée sur le site de Die Zeit, 57% des 937 personnes non musulmanes interrogées considèrent l’islam comme une menace et 40% d’entre elles affirment se sentir «comme étrangers dans leur propre pays».
Un ancien braqueur
Pegida surfe donc sur un sentiment apparemment répandu dans l’opinion. Jusqu'au 20 janvier, le mouvement était dirigé par Lutz Bachmann, cuisinier de formation et propriétaire d’une petite agence de publicité. C’est aussi un ancien braqueur, condamné en 1998 à trois ans et demi de prison pour cambriolages, vols et blessures. Il avait alors fui en Afrique du Sud, d’où il avait été extradé vers l’Allemagne. Avant d’être une nouvelle fois condamné pour trafic de drogue. Ce qui le rend inéligible jusque fin février 2015. Il a dû démissionner en raison de la publication dans la presse d'une photo où on le voit déguisé en Hitler.
S’il refusait l’amalgame avec la mouvance d’extrême droite, Lutz Bachmann opérait un rapprochement avec la nouvelle formation anti-euro et anti-immigration AfD (Alternative für Deutschland). Mais il se défendait de vouloir créer un parti politique.
Il n’en a déjà pas moins publié un manifeste en 19 points. Un manifeste dans lequel il demande «la tolérance zéro à l’égard des demandeurs d’asile et migrants criminels», et «le maintien et la protection de notre culture occidentale marquée par le judéo-christianisme». Il se prononce aussi contre «le fait qu’on laisse se créer des sociétés parallèles comme les tribunaux et la police de la charia».
Le document s’oppose à la «théorie du genre». Il réclame aussi «le droit de chacun à choisir sa sexualité».
Pour Pegida, 95 % des demandeurs d’asile seraient des «réfugiés économiques». Son inspirateur dénonce ces «foyers pleins de nourriture» pour les étrangers qui arrivent en Allemagne alors que les personnes âgées allemandes «n’ont parfois plus de quoi se payer un morceau de gâteau à Noël».
Jusque-là, le mouvement, dont le message est qualifié d’«implicitement xénophobe» par The Economist, n’a pas commis d’actes violents. Ses sympathisants, qui dénoncent «la caste politique et les médias», ne tiennent pas de propos ouvertement racistes. Même si ses «manifestations attirent des néo-nazis venus de tout le pays», constate The Economist.
Les personnes qui y participent ont «le sentiment d’être abandonné par la politique, ce qui engendre amertume et méfiance», observe l’hebdomadaire allemand Die Zeit. Les observateurs ne manquent pas de faire remarquer que Pegida est né en Saxe, où à peine plus de 2% de la population est musulmane. On compte dans les rangs du mouvement «de nombreuses personnes originaires de l’est de l’Allemagne qui n’ont pas réussi à percer à l’Ouest et ont l’impression qu’elles n’ont pas voix au chapitre», précise l’universitaire Werner Schiffauer, cité par The Economist. L’est de l’Allemagne, c'est-à-dire l’ex-RDA stalinienne, dont le redémarrage après la réunification (1990) a été difficile.
Inquiétudes
Le succès du mouvement inquiète dans un pays marqué par la politique d’extermination du nazisme. La réponse des autorités a été très claire. «Je dis à tous ceux qui vont à ces manifestations: ne suivez pas ceux qui appellent à y participer ! Car trop souvent, leurs cœurs sont remplis de préjugés, de froideur, voire de haine», a déclaré la chancelière lors de son allocution de Nouvel an. «Ils disent : ‘‘Nous sommes le peuple’’. Mais en fait, ils veulent dire : ‘‘Vous n’en faites pas partie à cause de la couleur de votre peau ou de votre religion».
Jusque-là, les contre-manifestations aux marches de Pegida, appuyé par le pouvoir, ont réuni largement plus de 100.000 personnes dans toute l’Allemagne : le 12 janvier, ils étaient 30.000 à Leipzig face à 2000-3000 marcheurs anti-islam ; 20.000 à Munich ; 17.000 à Hanovre (nord) ; 9000 à Sarrebruck (sud-ouest) ; 4000 à Berlin... Deux jours plus tard, toujours dans la capitale, Angela Merkel a participé à une manifestation, organisée par la Communauté turque de Berlin et le Conseil central des musulmans d'Allemagne avec 10.000 personnes, plusieurs de ses ministres, les présidents des groupes parlementaires du Bundestag, des responsables syndicaux, politiques ou associatifs…
«Nous tous, nous sommes l'Allemagne ! Nous, les démocrates, qui sommes si différents politiquement, culturellement et religieusement», a insisté le président de la république, Joachim Gauck, sur une tribune érigée devant la Porte de Brandebourg parfois illuminée aux couleurs françaises, bleu, blanc et rouge. Un geste de solidarité après le massacre de la semaine précédente en France.
Le site de Pegida
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.