Covid-19 : en fermant ses frontières, l'Allemagne accentue la "totale cacophonie entre les Etats européens", critique un chercheur
Pour limiter la propagation du Covid-19 sur son territoire, l'Allemagne a fermé une partie de ses frontières. Sur franceinfo, Yves Pascouau, chercheur senior associé à l'institut Jacques-Delors, craint des "effets négatifs" sur la cohésion des États européens.
Face à l'épidémie de Covid-19 et à la propagation des variants, l'Allemagne a décidé, dimanche 14 février, de fermer certaines de ses frontières avec la République tchèque et le Tyrol autrichien. Invité de franceinfo, Yves Pascouau, responsable des programmes Europe de l'association Res Publica, estime que l'Allemagne "montre qu'aujourd'hui, elle décide seule, dans un contexte qui appellerait davantage de coordination et de coopération entre les États" européens. Également chercheur senior associé à l'institut Jacques-Delors, il regrette une "totale cacophonie" entre les pays de l'Union.
franceinfo : Quel effet a cette décision, et plus largement la crise du Covid-19, sur la solidité et la cohésion de l'Union européenne ?
Yves Pascouau : Les effets semblent être assez négatifs. On voit depuis un certain nombre d'années aujourd'hui que la question des contrôles aux frontières intérieures est à l'agenda politique de manière très fréquente, voire de manière très récurrente. Aujourd'hui, on franchit un pas supplémentaire et la conséquence est de deux ordres, à mon avis. Elle est d'un ordre psychologique parce qu'on voit bien que le poids psychologique de la frontière demeure très fort, à la fois dans l'esprit des citoyens et dans l'esprit des décideurs. Mais ensuite, c'est l'idée selon laquelle c'est derrière ma frontière nationale que je suis le mieux protégé.
Or, comme le dit la Commission européenne, ce n'est pas une frontière qui va empêcher un virus de changer de pays et d'ailleurs, tous les infectiologues et virologues le disent aussi. On a ici le symbole d'une frontière nationale et donc d'une souveraineté nationale très forte, alors que précisément, c'est possiblement dans la coopération, la coordination des opérations que les solutions doivent être trouvées.
"Aujourd'hui, on a une totale cacophonie entre les États européens"
Yves Pascouau, chercheur senior associé à l'institut Jacques-Delorsà franceinfo
Je serais bien heureux de trouver un citoyen européen aujourd'hui qui comprenne quelles sont les règles qui s'appliquent entre les différents États européens, entre un test PCR qui est valide, pas valide, depuis combien de temps, à partir de quand, depuis quel moment ? Tout ça donne l'image d'une cacophonie absolue et il faut en réalité, pour assurer plus de stabilité et plus de sérénité, qu'on ait plus d'Europe. Or, l'exemple qu'on a aujourd'hui, c'est moins d'Europe.
On parle d'un pays, l'Allemagne, qui est un poids lourd de l'Union européenne...
Tout à fait. Mais l'Allemagne n'est pas à son coup d'essai. Il faut être observateur de la chose pour le savoir. Ça fait depuis de nombreuses années aujourd'hui que l'Allemagne annonce des rétablissements des contrôles aux frontières intérieures, notamment en raison de la crise migratoire. Or, la crise migratoire est passée.
"Tous les chiffres montrent que le nombre d'arrivées sur l'espace européen a considérablement chuté"
Yves Pascouau, responsable des programmes Europe de l'association Res Publicaà franceinfo
L'Allemagne maintient les contrôles aux frontières intérieures en dehors des règles existantes. Aujourd'hui, elle franchit un pas supplémentaire en nous disant : "Je ferme la frontière". La différence entre les deux, c'est que pour la question migratoire, c'est un peu compliqué, on est dans le cadre d'une violation des règles de Schengen puisque le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures doit répondre à un ensemble de règles bien précises.
Or, aujourd'hui, la fermeture de la frontière telle qu'elle est présentée par l'Allemagne relève d'une disposition du traité qui est l'article 72, qui dit que les règles européennes ne portent pas atteinte à l'exercice de la responsabilité qui incombe aux États pour le maintien de l'ordre public et de la sécurité publique. Donc, l'Allemagne ici exerce son pouvoir absolu en termes de souveraineté. Mais en réalité, elle montre qu'aujourd'hui, elle décide seule, dans un contexte qui appellerait davantage de coordination et de coopération entre les États.
Le principe de l'accord de Schengen, c'est la liberté de circulation. Est-ce que ça veut dire qu'avec de telles décisions ce principe pourrait être mis en péril à plus ou moins long terme ?
Cela fait quand même de nombreuses années, depuis 2015 en réalité, que Schengen est malade, ou que Schengen souffre, parce que les États appliquent les règles un petit peu comme ils l'entendent, mais aussi parce que la Commission européenne ne fait pas son travail, il faut être assez clair là-dessus. La Commission européenne devrait demander des comptes aux États qui rétablissent les contrôles un petit peu comme ils le souhaitent.
Il y a des règles et la gardienne des traités, la Commission européenne, est censée demander aux États de leur rendre des comptes et de lui expliquer pourquoi ils rétablissent ses contrôles aux frontières intérieures. Elle ne le fait pas. La carence de l'action de la Commission européenne dans ce domaine-là amène les États à à utiliser les règles et à les appliquer comme comme ils le souhaitent. La réalité, c'est qu'il faut aujourd'hui possiblement remettre un peu d'ordre dans la maison Europe. C'est compliqué et c'est d'autant plus compliqué, comme vous le signifiez, quand c'est un des très gros poids lourds de l'Union européenne qui agit de cette manière-là.
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