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Pourquoi Angela Merkel a-t-elle changé d'avis sur le mariage homosexuel ?

Le mariage pour tous a été adopté par le Bundestag vendredi après que la chancelière Angela Merkel a abandonné son opposition de principe sur le sujet. 

Article rédigé par franceinfo - Louise Hemmerle
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Manifestation pour la journée internationale contre l'homophobie devant le Bundestag à Berlin, le 17 mai 2017.  (STEFAN BONESS/IPON/SIPA / IPON)

Le Bundestag a adopté une loi, vendredi 30 juin, instaurant le mariage homosexuel en Allemagne. Alors que cette perspective était encore difficilement imaginable il y a une semaine, Angela Merkel a créé la surprise, lundi, en se déclarant favorable à un vote "en conscience" sur le sujet, c'est-à-dire sans que les députés de son camp ne soient obligés de suivre une quelconque consigne partisane. 

Jusqu'à présent, le parti de la chancelière, l'Union chrétienne-démocrate (CDU), s'était toujours, en tant que bloc, opposé au mariage homosexuel. Mais certains députés conservateurs y étaient favorables à titre individuel, et ils se sont joints aux sociaux-démocrates, aux écologistes et à la gauche radicale pour adopter le texte, approuvé par 393 élus. Alors, pourquoi ce revirement soudain ?

Officiellement, une rencontre avec un couple lesbien lui a fait ouvrir les yeux

Depuis 2001, les couples homosexuels peuvent conclure en Allemagne des "partenariats de vie", l'équivalent du pacs français. La Cour constitutionnelle a par la suite progressivement étendu les droits affiliés à ce partenariat. "La seule différence qui subsiste aujourd'hui avec le mariage, c'est que les couples homosexuels n'ont toujours pas le droit à l'adoption", explique à franceinfo Klaus Jetz, directeur exécutif de la LSVD, l'association allemande des gays et lesbiennes.

Le droit à l'adoption a justement été pendant longtemps un point de blocage pour les conservateurs, qui soulevaient la question du bien-être de l'enfant. Lors d'un débat télévisé en 2013, un homme homosexuel dans le public avait demandé à Angela Merkel s'il pouvait espérer adopter un enfant avec son compagnon. Elle avait alors déclaré : "Je vais être honnête, j'ai des difficultés avec l'égalité complète. (...) Personnellement, je ne présenterai pas un projet de loi pour une égalité complète dans l'adoption."

Mais dans son interview au magazine féminin Brigitte (en allemand), lundi 26 juin, Angela Merkel a raconté avoir rencontré, dans son fief électoral du nord-est du pays, un couple lesbien à qui l'assistance publique a confié huit enfants. "Quand les services sociaux font confiance à un couple lesbien pour la garde de huit enfants, je ne peux plus argumenter contre l'adoption au nom du bien-être de l'enfant", a-t-elle concédé.

Officieusement, ses adversaires lui ont mis la pression sur cette question

Angela Merkel est favorite pour reprendre le poste de chancelière à l'issue des prochaines élections législatives en septembre, mais elle ne pourra a priori pas se contenter d'une alliance avec les conservateurs bavarois de la CSU. Il faudra qu'elle forme une coalition plus large.

Forts de leurs positions, "les partis potentiellement partenaires d'une coalition avaient annoncé leur prix pour y entrer", explique à franceinfo Hans Stark, spécialiste de la politique intérieure en Allemagne et chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri). A la suite des Verts et des libéraux-démocrates du FDP, le leader de la SPD Martin Schulz a déclaré dimanche que son parti ne signerait pas de contrat de coalition si celui-ci ne comprenait pas le projet de légalisation du mariage pour tous.

Angela Merkel savait que cette question allait se poser très concrètement après les élections.

Hans Stark, spécialiste de l'Allemagne

à franceinfo

C'est ce sujet que la chancelière a tenté d'anticiper en se déclarant ouverte à un vote "en conscience" des députés de son parti. Mais l'agenda s'est accéléré après la réaction de ses adversaires. Martin Schulz et Katrin Göring-Eckardt, la cheffe de file des écologistes, ont tous deux réclamé que le mariage homosexuel soit à l'ordre du jour avant la fin de la session parlementaire vendredi. "Elle ne s'attendait pas à ce que les choses avancent si rapidement. Les sociaux-démocrates l'ont prise de court, sûrement pour lui rendre un peu difficile la campagne électorale à venir en compliquant sa relation avec ses électeurs plus conservateurs", analyse Hans Stark.

Politiquement, l'opinion allemande y est largement favorable

En réalité, ce vote "en conscience" dédouane la chancelière de la responsabilité de la décision finale. Elle se soustrait à la pression de devoir personnellement imposer une ligne de conduite à son parti qui pourrait causer des remous en interne. Or en autorisant un vote "en conscience", Angela Merkel savait qu'il était très probable que le vote des députés de la CDU en faveur du mariage homosexuel permette de faire passer le texte de loi.

L'adoption du mariage pour tous lui permet de couper l'herbe sous le pied des autres partis, qui comptaient sur ce thème de campagne pour se démarquer des conservateurs et pour mobiliser leurs électeurs en vue des législatives. En Allemagne, les politologues qualifient de "démobilisation asymétrique" cette stratégie politique bien connue de la chancelière, analyse le Financial Times (en anglais).

D'autre part, la chancelière sait que la légalisation du mariage homosexuel est populaire parmi les électeurs allemands, y compris dans son propre camp. Selon le dernier baromètre de la ZDF publié sur ce sujet le 23 juin, 73% des Allemands sont favorables à l'adoption du mariage pour tous. Une opinion également majoritaire dans les rangs des sympathisants de la CDU, où cette proportion s'élève à 63%.

Pour Klaus Jetz, de l'Association allemande des gays et lesbiennes, c'est un soulagement que la loi s'aligne avec l'opinion publique, après plus de 25 ans de combat pour légaliser le mariage pour tous. "Pour les droits de l'homme et du citoyen, c'est une semaine historique", observe-t-il.

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