Attaque au camion à Berlin : pourquoi l'Allemagne ne cède pas aux sirènes sécuritaires
Alors que Berlin est touché pour la première fois par un attentat, franceinfo décrypte les positions politiques du pays en matière de sécurité.
L'Allemagne, frappée dans sa capitale. Un camion a surgi, lundi 19 décembre, sur l'un des marchés de Noël de Berlin, tuant au moins 12 personnes et en blessant au moins 48 autres. Pour la première fois, la capitale allemande est touchée par un attentat, comme l'a qualifié le ministre de l'Intérieur allemand, mardi.
Jusque-là, le pays a refusé de céder aux sirènes sécuritaires. Mais cette nouvelle attaque, très symbolique, combinée à de nombreux précédents ces derniers mois, va-t-elle changer la donne ? Comment va réagir la classe politique allemande ? Décryptage.
Un pays timoré face aux questions de sécurité
Depuis deux ans maintenant, la menace terroriste plane sur l'Allemagne. Mais vous n'y verrez pas pour autant des escadrons de militaires armés, déployés dans les rues. "A Berlin, le dispositif de sécurité était plutôt souple. Cela n'a rien à voir avec ce que l'on peut voir en France. La menace n'était pas perceptible", décrit Isabelle Maras, spécialiste des relations franco-allemandes au Centre international de formation européenne (Cife), interrogée par franceinfo. Il faut dire que la population allemande, très attachée à sa volonté de circuler en paix et ses libertés individuelles, "est réticente à une présence policière extrêmement marquée et un contrôle très robuste".
Malgré la vague d'attentats survenue pendant l'été, les autorités n'ont pas décidé de revenir sur ce point. Au niveau législatif, il n'existe d'ailleurs pas de mécanisme permettant de mettre en place un état d'urgence, comme c'est le cas en France. Seul "l'état de crise intérieure ("Innerer Notstand"), inscrit dans la loi fondamentale, vise à "écarter un danger menaçant l'existence ou l'ordre constitutionnel libéral et démocratique de la Fédération ou d'un Land", vous expliquait-on en juillet. Par tradition héritée de la seconde guerre mondiale, l'Allemagne a en effet refusé de concentrer les pouvoirs entre les mains de l'exécutif. Et le pays rechigne à employer ses militaires pour la sécurisation de l'espace public, rôle plutôt dévolu à la police.
Cela fait-il de l'Allemagne un pays peu préparé en matière de terrorisme ? Le fait est que le système fédéral rend "plus compliquée la gestion des compétences en matière d'antiterrorisme", estime Yves Trotignon, spécialiste en terrorisme cité par 20 minutes.fr. Comme le rappelle La Croix, les 16 Länders disposent tous d'un ministère de l'Intérieur, ainsi que de leurs propres services de police et de renseignement. Et cela peut poser problème à l'heure de la menace terroriste. Selon Le Figaro (accès abonné), "des spécialistes des questions de sécurité au sein de la CDU [ont ainsi dénoncé dès lundi] des manquements dans l'organisation allemande des services de renseignements", pas toujours très enclins à s'échanger les informations.
Un durcissement politique récent...
L'attentat qui a frappé Berlin en constitue la dernière preuve : la menace terroriste est désormais bien réelle, en Allemagne. Ces derniers mois, les projets d'attaques se sont multipliés. En octobre, un Syrien a été arrêté alors qu'il projetait un attentat contre un aéroport de la capitale. En novembre, un employé des renseignements a été arrêté car il était suspecté de préparer un attentat terroriste. Et début décembre, un adolescent de 12 ans a été soupçonné de préparer une attaque contre un marché de Noël.
A la fin d'un été où l'Allemagne a été plusieurs fois visée, le ministre fédéral de l'Intérieur allemand, Thomas de Maizière, a annoncé un vaste plan sécuritaire. Ce projet de loi, qui doit encore être soumis au Parlement, est censé être mis en œuvre d'ici septembre 2017. Au total, deux milliards d'euros doivent être injectés dans la lutte contre le terrorisme. Parmi les mesures annoncées : la déchéance de nationalité pour les jihadistes binationaux, une accélération des expulsions pour les étrangers concernés par des poursuites pénales, la création de 4 600 postes dans la sécurité nationale, dont 3 250 dans la police, et un renforcement de la vidéosurveillance. Les autorités fédérales songeaient même à nouer un dialogue avec les médecins afin de prévenir des risques psychologiques de certains individus, rapporte Arte.
Ce contexte tendu s'est mêlé à l'actualité politique de la rentrée. Critiquée sur sa politique d'accueil des migrants, malmenée lors des élections régionales de mars puis septembre par le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD), Angela Merkel a été "obligée de réagir" en durcissant son discours, explique la politologue Isabelle Maras. En novembre, lors du congrès du parti conservateur de la CDU, dont elle a repris la tête, "elle a annoncé qu'elle allait organiser les reconduites à la frontière, s'est dite favorable à une interdiction du voile intégral - si la Constitution le permet -, et a affirmé sa volonté de suivre une politique plus ferme", liste-t-elle. La spécialiste précise qu'auparavant, les messures antiterroristes présentées par le ministre de l'Intérieur avaient fait l'objet de vives interrogations au sein de la coalition au pouvoir.
... mais un sang-froid qui peut contenir les dérives
Pour la politologue Isabelle Maras, cette attaque constitue "une grande épreuve pour Berlin et l'Allemagne" qui va devoir endiguer la menace populiste et répondre aux inquiétudes, le tout sans froisser les citoyens allemands sensibles à leur liberté. Les prochains mois s'annoncent décisifs, surtout dans la perspective des élections régionales de fin 2017, où la chancelière briguera un quatrième mandat.
Le débat semble déjà s'installer outre-Rhin. Selon le Zeit (en allemand), plusieurs personnalités politiques ont en effet proposé des mesures plus drastiques en réponse à l'attaque de Berlin. Le ministre des Affaires intérieures de Basse-Saxe, Boris Pistorius (SPD), veut par exemple envoyer plus de policiers dans la rue. De son côté, le président de la Conférence des ministres de l'Intérieur, Klaus Bouillon, annonce que la police pourrait avoir un "équipement lourd, à savoir des armes d'épaule, armes de poing et mitrailleuses". Mais à l'image de la classe politique, partagée entre le devoir de prudence et la nécessité d'agir, il est revenu un peu plus tard sur sa déclaration, la jugeant "trop martiale". Dans sa conférence de presse, mardi, Angela Merkel a bien résumé ce dilemme :
Comment pouvons-nous vivre avec cela ? (...) Je n'ai pas de réponse simple. Mais nous ne voulons pas renoncer aux marchés de Noël, à ces belles heures d'émotion avec nos familles et nos amis. Nous ne voulons pas vivre avec la peur imposée par le Mal. Et bien que ces heures soient difficiles à supporter, nous allons trouver un moyen de vivre la vie que nous voulons en Allemagne : libres, ensemble et ouverts les uns aux autres.
Pour Isabelle Maras, l'Allemagne peut justement compter sur ce qui fait, selon elle, sa distinction avec d'autres pays comme la France : son sang-froid. "Jusque-là, les médias, les autorités, les citoyens ont tous fait preuve de mesure dans le traitement des attentats. Cette attaque-là aura valeur de test. On va voir si l'Allemagne va changer ses habitudes."
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