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Grand entretien "Adieu Birkenau" : "Il n'y a aucun mot qui puisse expliquer ce qu'on a subi", témoigne Ginette Kolinka, 98 ans, rescapée d’Auschwitz

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Ginette Kolinka, rescapée d'Auschwitz-Birkenau, dans son appartement parisien en janvier 2020. (VICTOR MATET / RADIO FRANCE)
Elle va à la rencontre des jeunes depuis plus de 20 ans pour raconter son histoire. Ginette Kolinka témoigne mardi sur franceinfo à l'occasion de la sortie de "Adieu Birkenau", une bande-dessinée qui lui est consacrée.

"Il n'y a aucun mot qui puisse expliquer ce qu'on a subi", a témoigné mardi 26 septembre sur franceinfo Ginette Kolinka, 98 ans, rescapée d’Auschwitz qui raconte son histoire dans la bande dessinée "Adieu Birkenau" publiée aux Éditions Albin Michel et Radio France Éditions. Cet ouvrage a été réalisé avec la collaboration du scénariste JDMorvan, Victor Matet, journaliste à franceinfo et les dessinateurs espagnols Efa et Cesc.

Depuis les années 2000, Ginette Kolinka est ambassadrice de la mémoire et témoigne auprès des jeunes dans les écoles et les lycées sur la Shoah. Dorénavant, Ginette Kolinka "compte sur les professeurs" pour transmettre aux générations futures.

franceinfo : Pourquoi avoir choisi le format de la bande dessinée ?
Ginette Kolinka : Il faudrait demander à ces messieurs qui l'ont faite. J'avoue franchement que quand on m'a parlé de bande dessinée, je n'étais pas contente. À mon époque, la bande dessinée, c'était Mickey, c'étaient les Pieds nickelés, des tas de choses comiques. Une histoire pareille en bande dessinée ? Après, j'ai vu que cette bande dessinée était très intéressante. Les bulles étaient intéressantes. Les jeunes n'aiment pas lire. Les bulles, c’est très bien. Comme c'est très court, ça les intéresse. Quand ils voient la bande dessinée, ils cherchent à en savoir plus.

Ginette Kolinka, rescapée d'Auschwitz-Birkenau, en septembre 2023. (VICTOR MATET / RADIO FRANCE)

On vous suit à Auschwitz avec une classe. On sent quand même qu'il y a des choses qui sont impossibles encore à dire aujourd’hui. Il y a encore de l’indicible dans l’expérience que vous avez vécu ?
Ce n'est pas que c'est impossible. Il n'y a pas de mots assez puissants pour décrire la haine. Je répète ce mot "haine" parce que c'est mon cheval de bataille. C'est par haine que Hitler a fait tout ça, la haine des juifs. C'est mon cheval de bataille. Attention, attention ! La haine a poussé les nazis. Je fais la différence entre les nazis de l'époque et les Allemands de notre époque.

"Je n'en veux absolument pas à un Allemand. Je vais rencontrer un Allemand. Il a 75 ans. À l'époque, il avait trois ou quatre ans. Il ne m'a rien fait, je ne vais pas lui en vouloir."

Ginette Kolinka, 98 ans, rescapée d’Auschwitz

à franceinfo

Mais leur père, leur grand-père, oui, parce qu’eux, ils ont réfléchi. Ça n'est pas venu comme ça d’instinct. Ils ont réfléchi à la façon dont ils allaient s'y prendre pour nous tuer. On nous a tués tout de suite, mais aussi, ils avaient besoin de nous. Alors ils ont cherché la façon de pouvoir nous utiliser jusqu'à ce qu’on en meurt. Je crois qu'il n'y a aucun mot qui puisse expliquer ce qu'on a subi.

>> "À partir de maintenant, vous êtes notre mémoire" : Ginette Kolinka, rescapée de la Shoah, part à la rencontre des jeunes

Vous allez beaucoup dans les écoles. Aujourd’hui, c'est dur parfois dans les établissements scolaires, en France. Il y a de la haine, il y a du racisme, il y a de l'identitaire. Vous le ressentez quand vous rencontrez des élèves ?
Il y a très, très longtemps quand j'ai commencé, c'était un peu comme ça, mais plus maintenant, plus maintenant parce que les professeurs préviennent les élèves. Ils les mettent au courant. Donc jamais, jamais. Beaucoup de professeurs nous disent, si seulement ils pouvaient nous écouter une demi-heure comme ils vous écoutent pendant 2 heures, on serait drôlement contents.

Vous sentez comme une urgence à témoigner auprès des jeunes ?
Je mentirai si je dis que je pense à tout ça. Non, je ne pense pas du tout à ça. On me fait venir, je viens avec plaisir. Je vois que les élèves m'écoutent d'une façon très intéressée. Ils sont intéressés, c'est vrai.

Ginette Kolinka, rescapée d'Auschwitz-Birkenau, en septembre 2023. (VICTOR MATET / RADIO FRANCE)

Dans la bande dessinée, vous dites à l’enseignante, c’est à vous de transmettre. C’est important de passer le relais ?
Oui, parce que je le pense vraiment. Ce sont eux qui vont prendre notre place. Quand on avait moins de quinze ans, on était tués. Tous les Juifs survivants avaient quinze ans à l'époque de Hitler. Alors maintenant, les plus jeunes ont 92 ans ou 93 ans. Ça fait quand même un certain âge. Quand il n’y aura plus cette catégorie de personnes, ce seront les professeurs qui vont nous remplacer. On compte sur les professeurs.

Ce qui est frappant dans la bande dessinée, c’est votre humour alors que vous évoquez un passé très dur. D’où vient-il ?
C'est mon caractère. C'est comme ça. J'ai des camarades certainement, qui ne doivent pas être très contents de me voir blaguer sur ce sujet. Mais moi, je ne joue pas un rôle, je suis là pour raconter, je suis moi et puis on ne me changera pas.

Entretien avec Ginette Kolinka, 98 ans, rescapée d’Auschwitz

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