Autriche : avec l'arrivée de l'extrême droite au gouvernement, "il y aura un nouveau bras de fer" avec l'Europe
Pour Erwann Lecoeur, politologue spécialiste de l'extrême droite invité de franceinfo samedi, l'extrême-droite autrichienne aura "énormément de poids" au sein du gouvernement, dont l'investiture est prévue lundi.
L'extrême-droite va entrer au gouvernement autrichien, lors de l'investiture prévue lundi 18 décembre. Elle a réussi à obtenir trois ministères régaliens : les Affaires étrangères, l'Intérieur et la Défense. Pour Erwann Lecoeur, politologue spécialiste de l'extrême droite, invité de franceinfo samedi 16 décembre, avec l'arrivée de l'extrême droite au gouvernement, "il y aura un nouveau bras de fer" avec l'Europe.
franceinfo : le parti de la liberté, le FPÖ, a-t-il été fondé par d'anciens nazis ?
Erwann Lecoeur : Il est fondé juste après la guerre, dans les années 1950, pour recycler des gens qui se considèrent à l'époque comme des libéraux. Libéral voulait dire principalement anticommuniste, sachant que l'Autriche est juste à côté de la Hongrie, qui fait partie du bloc soviétique à l'époque. Beaucoup de choses se jouent en ces termes-là.
Dans les pays de l'ouest de l'Europe, des partis libéraux vont être créés, pour recycler parfois d'anciens nazis, en effet, et des gens très à droite, qui ne peuvent pas forcément se déclarer comme anciens nazis.
Erwann Lecoeur, politologue spécialiste de l'extrême droiteà franceinfo
Donc on a ce parti de la liberté, ou parti libéral autrichien, qui, dans les années 1950 est d'abord très anticommuniste, et puis est repris en main par Jörg Haider dans les années 1980. Avant cela, il a déjà fait alliance avec des socialistes. Jörg Haider lui donne une teinte plus nationaliste, plus populiste. Puis à la fin des années 1990, en 1999, les scores élevés du FPÖ lui permettent déjà d'être dans une coalition avec les conservateurs. L'Union européenne s'était déjà beaucoup inquiétée de cette dérive.
Quelle est sa ligne politique aujourd'hui ?
Depuis que le nouveau président, Hans-Christian Strache, a pris la présidence du parti en 2005, succédant à Jörg Haider, son principal objectif a été une forme de populisme nationaliste, sans aucun doute extrêmement droitier, on peut même dire d'extrême droite, et surtout d'axer sa ligne sur l'anti-islamisme. C'est très clair et très propre. Ils ont demandé un référendum contre le voile, contre les minarets comme avait fait la Suisse il y a quelques années.
Il y a clairement une ligne anti-immigration et anti-islam, qui a d'ailleurs fait son succès dans les dernières élections et lui a permis d'arriver au gouvernement.
Erwann Lecoeur, politologue spécialiste de l'extrême droiteà franceinfo
Les négociations ont été rapides entre l'extrême droite et les conservateurs de Sebastian Kurz. Il va obtenir trois ministères régaliens : le FPÖ aura-t-il beaucoup de poids au sein du gouvernement autrichien ?
Oui, énormément de poids. D'abord ce sont trois ministères régaliens et très importants pour un pays comme l'Autriche, qui est un pays relativement martial. C'est un ministre FPÖ qui va discuter des budgets de la Défense, mais aussi avec l'Europe. C'est un grand changement parce que jusqu'à maintenant, l'Autriche avait toujours été difficile dans les négociations avec l'UE, mais avait été plutôt pro-européenne. Là, il va y avoir sans doute une bataille au sein de l'exécutif entre le nouveau chancelier conservateur Sebastian Kurz, qui lui, est plutôt pro-européen, et Hans-Christian Strache, qui va être vice-chancelier. Il va peut-être y avoir un clivage. Par contre, sur les autres dossiers, comme l'Islam, l'immigration, il semblerait que les conservateurs aient eux aussi évolué vers un discours du FPÖ. Ce qui fait dire, d'ailleurs, au président du FPÖ, que le gouvernement est à 75 % FPÖ aujourd'hui, puisque les conservateurs ont repris leurs idées.
L'Autriche pourrait-elle avoir des velléités de sortir de l'Union européenne ?
Elle pourrait en avoir comme sa voisine hongroise. La Hongrie est très anti-européenne, avec [Viktor] Orban et son parti Jobbik. Il y a en Autriche et en Hongrie quelque chose de l'ordre d'une volonté de reprendre son destin en main. Il faut [pour les deux pays] empêcher l'Europe de laisser les portes ouvertes aux flux migratoires et notamment les flux de l'est, c'est à dire notamment depuis les flux musulmans. Donc là, il y a bel et bien un nouveau bras de fer qui va être engagé par ce gouvernement avec l'Europe, comme le font d'autres gouvernements : on pense au Brexit, on peut penser à la Hongrie, à la Pologne, aux Pays-Bas aussi, qui ont tous connu des mouvements d'extrême droite de plus en plus forts ces dernières années.
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