Brexit : en Ecosse, un référendum pourrait en cacher un autre
On est à une quinzaine de miles de Glasgow, à la campagne, entre deux collines. Une grande cheminée : c'est une usine. A l’intérieur dans un grand tuyau transparent, un liquide jaunâtre, et ce n’est pas du whisky… "Ça, c’est le bio-diesel ! Vous voyez, il est bien clair. Il a exactement le même aspect que le carburant que vous achetez à la pompe." Un pétrole vert, qui recycle les graisses issues de cadavres d’animaux, ou encore récupérées dans les égoûts, y compris d’ailleurs ceux de Paris. C'est la première raffinerie du genre en Europe, elle a reçu un coup de pouce financier de 3 millions d’euros de Bruxelles. Ce qui fait de son patron un défenseur du vote "in".
D’autant que Jim Walker touche aussi des aides pour son autre activité, fermier. "On a reçu l’an dernier environ 200 000 euros… Ça a diminué, comme pour tout le monde, mais c’est mieux que rien du tout… En cas de Brexit, je n’ai aucune raison de penser que Londres s’occuperait par exemple des producteurs laitiers, contrairement à ce qui passe dans d’autres pays. On n’a pas eu ici depuis 15 ans d’autres aides à l’agriculture que les fonds européens."
La crainte est donc d’être moins soutenu en cas de Brexit, et surtout de perdre des marchés. Jim Walker exporte 70% de ses 3 000 brebis vers la France. Il ne veut surtout pas quitter le marché unique. Il redoute aussi de voir des barrières s’élever contre les travailleurs européens. "Dans beaucoup de fermes écossaises qui produisent des fruits et des légumes, s’il n’y avait pas de main d’œuvre d’Europe de l’Est, il n’y aurait personne pour faire le travail. Parce que les locaux ne veulent pas le faire ! Dans notre usine on a des gens venus d’ailleurs en Europe, et dont les compétences sont inestimables."
"Je veux que Glasgow redevienne Glasgow !
— Un chauffeur de taxi, pro Brexit
Une europhilie qui n’est certes pas partagée par tous les agriculteurs, mais largement répandue dans le secteur de la finance, très important en Ecosse, de même que dans le tourisme. Mais il n’y a pas que des touristes en Ecosse. Et c’est ce que regrette Alan. Il est chauffeur de taxi, à Glasgow. Il veux rompre avec le continent, il se sent envahi par les Européens de l’Est. "Ils viennent ici et profitent de tout, notamment la sécurité sociale. Moi, j’ai travaillé et cotisé toute ma vie. Un jour, j’ai eu une crise cardiaque, je n’ai pas pu travailler pendant plusieurs mois et on m’a dit 'on ne peut pas vous aider, vous n’avez pas payé assez'. Les immigrés, ils viennent et on leur donne tout ce qu’ils veulent ! C’est dégueulasse ! Je ne veux plus d’eux ici, je veux que Glasgow redevienne Glasgow."
Cette colère est partagée, et l'euro-scepticisme semble prendre de l’ampleur. Si le camp du maintien dans l’Union européenne restait majoritaire dans les derniers sondages, il a perdu du terrain. Ce qu’on entend beaucoup, à Glasgow, c’est "oui il y a des problèmes liés à l’Europe, et l’immigration en est un, mais mieux vaut rester à l’intérieur pour régler ces questions."
La "Auld Alliance" du 12e siècle en gage d'ouverture
D’autant qu’il y a aussi un vrai lien affectif à l’Europe. Beaucoup d’Ecossais évoquent la Auld Alliance, l'alliance franco-écossaise contre l’ennemi commun anglais, qui remonte au 12e siècle. Sans remonter si loin, Liam, producteur de whisky, voudrait bien, tout simplement, envoyer ses enfants étudier à Paris ou Berlin avec le programme européen Erasmus. "Les Ecossais se sentent ouverts sur le monde, pas repliés sur eux-mêmes. Si vous regardez une carte, il y a sûrement beaucoup de capitales européennes qui sont à vol d’oiseau plus proches d’Edimbourg ou de Glasgow que Londres ne l’est… Ce n’est pas qu’une question économique… c’est aussi culturel."
Culturel, mais aussi politique. Dans la perspective d’une Ecosse indépendante, comme la souhaitent 45% des Ecossais, qui l’ont dit lors du referendum il y a deux ans, l’idée d’être rattaché à une structure supranationale est vraiment importante, pour ne pas être une petite nation isolée. Plus de pouvoir à Edimbourg : même dans le camp du Brexit, on a utilisée cet argument pendant la campagne… Graham Simpson est député conservateur au parlement écossais. "Si on sort de l’Union Européenne, certaines compétences reviendront à l’Ecosse. Par exemple pour la pêche. C’est pour cela que les pêcheurs sont très favorables, à 90%, à une sortie de l’UE. Et très sincèrement j’aurais du mal à comprendre qu’un homme politique écossais ne veuille pas cela."
"Le Brexit nous donnerait le droit moral et politique de demander un nouveau référendum"
— Duncan Ross, SNP (indépendantiste)
Les indépendantistes répondent que si l’Ecosse doit sortir contre son gré de l’Union Européenne, autrement dit si l’Ecosse vote pour rester mais que la sortie l’emporte dans l’ensemble du Royaume-Uni, le SNP (parti indépendantiste) menace d’exiger un nouveau référendum pour se séparer de Londres. Duncan Ross chef de file du SNP à Glasgow est toutefois un peu plus prudent… "Ça nous donnerait le droit moral, le droit politique de demander un nouveau référendum. Mais je ne crois pas qu’il faille se presser… On peut en avoir un, et je pense qu’il y aurait un vote plus important en faveur de l’indépendance... Mais ça n’est pas sûr."
Le SNP est embarrassé, et redoute le piège politique. Les derniers sondages sur une éventuelle indépendance prédisent encore une défaite aux séparatistes en cas de nouvelle consultation… Et un deuxième échec tout de suite, après celui de 2014, enterrerait sans doute pour des décennies ce dossier de l’indépendance.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.