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De l'ado bricoleur à l'inventeur meurtrier, la vie en eau trouble de Peter Madsen, condamné pour l'assassinat de la journaliste Kim Wall

Le Danois de 47 ans, aussi admiré que critiqué, a été condamné à la prison à vie pour avoir torturé, tué et démembré dans son sous-marin cette jeune reporter suédoise en 2017.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
L'inventeur danois Peter Madsen, dans le port de Dragor, près de Copenhague (Danemark), le 11 août 2017. (SCANPIX DENMARK / REUTERS)

"Peter Madsen est un explorateur qui excelle dans l’art de faire des rêves une réalité." Pour promouvoir une conférence donnée à Vilnius (Lituanie), en mai 2017, sa biographie présente un homme "animé par l’espoir d’aller là où nul n’est allé avant lui et d’explorer le monde". Un aventurier couplé d'un rebelle, connu au-delà des frontières de son Danemark natal pour son activité de constructeur de sous-marins autodidacte et aspirant astronaute amateur. Un personnage haut en couleur et charismatique. Bref, un sujet de reportage idéal. 

Mercredi 25 avril, Peter Madsen a été condamné à la prison à perpétuité pour l'assassinat de la journaliste suédoise Kim Wall, venue l'interviewer en août 2017 dans son sous-marin. La jeune femme de 30 ans, reporter free-lance expérimentée, a été torturée – 14 plaies lui ont été infligées aux parties génitales –, tuée puis dépecée, ses membres lestés et jetés à l'eau. Forts d'indices compromettants contre l'inventeur, qui a toujours nié les faits, les enquêteurs et la presse s'interrogent sur la personnalité de cet accusé au destin hors du commun. 

Un ado qui joue avec le feu et les fusées

Né en 1971, Peter Madsen a grandi à une centaine de kilomètres de Copenhague. A Saeby, puis à Høng, il vit avec ses parents et trois grands frères, nés de précédents mariages de sa mère. Cette dernière, Annie, a 38 ans de moins que son père, Carl, un restaurateur qui, pendant la seconde guerre mondiale, a été charpentier pour l'occupant allemand. Dans sa biographie, La Fusée Madsen (2014), l'inventeur n'est pas tendre avec le patriarche, décrit comme "abusif" avec ses aînés. Il a 6 ans quand sa mère et ses frères quittent la maison. 

Quand je pense à mon père, je pense aux enfants, en Allemagne, dont le père était commandant d'un camp de concentration.

Peter Madsen

à son biographe, Thomas Djursing

Son père ne lui laisse pas de bons souvenirs mais lui transmet sa passion pour l'ingénierie, notamment en louant le travail d'un homme : l'ingénieur nazi Wernher von Braun, engagé secrètement par les Etats-Unis après la guerre pour collaborer au programme spatial Apollo. "C'est une personne complexe, dotée à la fois d'un côté bon et d'un côté sombre. Cela étant dit, il est une véritable inspiration", raconte Peter Madsen au sujet de ce héros controversé.

Nous sommes au début des années 1980, mais le gamin fantasme cette conquête d'antan, qu'il voit comme l'œuvre de bricoleurs de génie. Il rêve de lancer sa propre fusée et y parvient, à l'âge de 15 ans. Tiré derrière son école, l'engin s'élève à 100 m dans le ciel. Ses profs de physique et de chimie, eux, se souviennent d'un élève "très insistant", impossible à raisonner, mais gentil et intelligent. Ses obsessions d'alors ? La propulsion ou la dynamique des fluides, loin des préoccupations de ses camarades.

Il "vole de l'hydrogène liquide" et se procure plus ou moins légalement du carburant pour ses fusées qu'il trimballe sur lui, inconscient du danger. Il se fait même virer du Danish Amateur Rocket Club quand il veut utiliser un carburant jugé trop risqué par les autres membres. Il crée alors son "Académie spatiale danoise", une micro-entreprise qui lui permet d'acheter des pièces détachées. Dans sa biographie, il se vante de causer science avec des ingénieurs qui sont loin de se douter "qu'il n'est qu'un jeune de 15 ans". Une précocité qui ne se reflète pas dans ses études : à 18 ans, à la mort de son père, il entame plusieurs parcours universitaires, sans jamais les achever.

Des dizaines de bénévoles dévoués

Son aventure publique démarre en 2002, quand il met à l'eau Freya, un sous-marin électrique de 7,50 m et 4,5 tonnes. Jour et nuit, il squatte un garage dans le port de Vallensbaek, au sud de Copenhague, et commence à rassembler une petite communauté de passionnés. Ensemble, ils construisent Kraka, un sous-marin hybride, diesel et électrique, long de 12,6 m et lourd de 6 tonnes, mis à l'eau en 2005. Cité par Le JDD, le réalisateur Robert Fox, qui lui consacre un documentaire en 2014, décrit un Peter Madsen magnétique : "A une fête, il suffisait qu'il croise un gars ayant un camion, et c'était parti ! Tous ces gens avec des jobs ennuyeux voulaient être de l'aventure." Tous travaillent sans compter leurs heures, bénévolement, suivant les consignes de Madsen, seul maître à bord.

Avec son équipe, il parvient en trois ans à construire "le plus grand sous-marin privé au monde". En mai 2008, une centaine de personnes assistent à la présentation du Nautilus UC3, un géant de 18 m et de 40 tonnes, pouvant contenir un équipage de six personnes. Le Danois, farfelu et charmeur, devient une curiosité locale. Il fréquente les artistes installés – comme lui – dans l'ancien quartier réhabilité des chantiers navals, Refshaleoen, et passe à l'étape suivante : la conquête de l'espace. 

Le "Nautilus UC3" est acheminé dans le port de Copenhague (Danemark), le 11 août 2017, après avoir coulé puis été renfloué par l'armée. (ANDERS VALDSTED / SCANPIX DENMARK / AFP)

Pour décrocher les étoiles, il rencontre la même année un ancien ingénieur danois de la Nasa, Kristian von Bengtson, avec qui il fonde Copenhagen Suborbitals, une entreprise d'exploration spatiale amateur. Un coup de foudre, raconte Von Bengtson dans un post de blog publié en 2011 sur le site du magazine Wired. 

En quelques minutes, nous avons uni nos forces et, dans le sous-marin de Peter, sous l’eau, nous avons dressé le plan qui nous permettrait de conquérir l’univers sans un sou en poche.

Kristian von Bengtson

dans un post de blog hébergé par Wired

Car Peter Madsen, qui vient de perdre un procès concernant un projet avorté, est fauché. Lui et son comparse optent pour le financement participatif, sollicitant les dons de passionnés d'aéronautique, ainsi que leur temps libre. Dans un ancien hangar autrefois dédié à la construction navale, une cinquantaine de personnes planchent à l'œil sur leur première fusée. En juin 2011, leur prototype s'élance d'une plateforme en mer Baltique et atteint les 2,8 km d'altitude. L'année suivante, une autre monte à 8 km, mais déjà les relations entre Peter Madsen et Kristian von Bengtson se dégradent. L'inventeur, qui vit toujours sur place pour bricoler au milieu de la nuit, ne comprend pas son collègue, qui arrive le matin et part le soir retrouver sa famille, raconte Kristian von Bengtson, cité par la chaîne TV2 (en danois). Il confie, enfin, que "ses enfants sont terrorisés par Madsen".

L'inventeur danois Peter Madsen, à Copenhague (Danemark), le 9 mai 2017. (SCANPIX DENMARK / REUTERS)

"Et si je t'injectais de l'acide dans les veines ?"

Des tensions qui aboutissent à la création par Peter Madsen, en 2014, de Rocket Madsen Space Lab, un laboratoire concurrent (et voisin) de Copenhagen Suborbitals. Peu avant le meurtre de Kim Wall, l'inventeur venait d'ailleurs de repousser un troisième lancement, qu'il avait justement calé pour contrarier ses rivaux, sur le point d'effectuer le leur. Il se brouille aussi avec une partie des constructeurs du Nautilus, qui finissent par quitter le navire. "Le Nautilus est maudit. Je suis la malédiction. Tant que j’existerai, le Nautilus ne connaîtra pas la paix", leur lance-t-il par SMS. Pour son biographe, Thomas Djursing, rien d'étonnant : "Le fil directeur de sa vie, ce sont les conflits. Il a du mal à se mettre d'accord avec les autres, il a de grandes ambitions et veut tout faire à sa manière."

Facilement frustré et colérique, hostile à la contradiction, Peter Madsen pique régulièrement des crises, mais ne s'en prend jamais physiquement à ses collègues. Il balance plutôt des objets dans le labo, s'enflamme, râle. Des sautes d'humeur qu'il attribue au génie, dans un billet de blog daté de 2015 et cité par Wired.

[Mes collaborateurs] savent tous qu’ils participent à un projet de Peter Madsen, comme on participerait au tournage d'un film de Lars Von Trier (...) En sachant au fond d’eux que les rêves fous de Madsen ont tendance à devenir réalité. C’est pour ça qu’ils investissent du temps et de l’argent.

Peter Madsen

dans un billet de blog

Son ami Jens Falkenberg, interrogé peu après l'identification du corps de Kim Wall, le 22 août, le confirme : "Peter est un personnage haut en couleur, mais en aucun cas méchant. Je ne crois pas qu’il soit capable d’être violent", plaide-t-il. Peter Madsen attribue son autoritarisme à son ambition : "Je suis auto-entrepreneur, c'est la force de la dictature." 

Après la découverte d'indices accablants – comme des vidéos de décapitations de femmes sur son ordinateur –, ses anciens collaborateurs révisent leur jugement sur leur mentor : interrogé pour Wired par la journaliste May Jeong, amie de Kim Wall, Jens Falkenberg se souvient : "Peter Madsen feignait de se comporter comme un nazi violent : 'Et si je te frappais dans les reins ? Et si je t’injectais de l’acide de batterie dans les veines ?' lançait-il pour plaisanter." Marié, mais en couple libre – il fréquente les milieux fétichistes –, Peter Madsen est adepte des scénarios violents, révèlent ses ex-conquêtes. Quelques jours avant le meurtre de Kim Wall, il envoie un SMS à une partenaire sexuelle dans lequel il décrit, sur le ton de la blague coquine, un meurtre dans son sous-marin.   

Une attitude glaçante face aux enquêteurs

Le Nautilus est repéré en train de couler, le 11 août 2017, dans la baie de Køge, tout près de Copenhague. Secouru, Peter Madsen raconte aux policiers avoir été victime d'une avarie après avoir débarqué la journaliste. A ceux qui, sur le quai, lui demandent comment il va, il répond par un pouce levé. Dix jours plus tard, alors que le submersible a été renfloué, mettant au jour des traces de sang, il change de version et assure que Kim Wall est morte accidentellement. Mais, le même jour, un cycliste retrouve un buste sans tête dans la baie. Confronté aux examens médico-légaux, Peter Madsen précise sa version des faits le 24 août : la jeune femme a reçu le panneau de l'écoutille sur la tête. Pourtant, l'autopsie ne révèle aucun traumatisme étayant ses déclarations. Cela n'ébranle guère le suspect. "Son visage changeait d'heure en heure", décrit au JDD le journaliste danois Frank Hvilsom, qui a assisté à une audition de Peter Madsen.

 [Il était] persuadé qu'on allait le croire, aveuglé par la toute-puissance. C'était glaçant.

Frank Hvilsom

Le JDD

Déplorant "la fin de Peter Madsen" et "d'un super projet", le suspect évoque à peine le sort de la journaliste, mais devient "très précis, plein d'affection pour décrire le sous-marin", raconte encore Frank Hvilsom. Ainsi, Peter Madsen déclare avoir pensé à se débarrasser du corps avant de se suicider : "En état de choc, j’ai pensé que c’était la meilleure chose à faire. Je ne voulais pas d’un cadavre dans mon sous-marin. J’ai attaché une corde à ses pieds pour la traîner dehors. J’ai pensé que ce serait une belle fin pour Peter Madsen que de finir à bord du Nautilus", lance-t-il en parlant de lui à la troisième personne, selon The Guardian (en anglais). 

Incarcéré dès le 11 août, il était accusé d'avoir prémédité son crime en emportant à bord scies, tournevis, sangles et couteaux. Des faits qui éclairent d'une lumière sinistre cette interview donnée en 2014, dans laquelle il "espérait faire l'objet de poursuites criminelles". "Je ne veux pas braquer une banque, non, confiait-il au journal Sondagsavisen (en danois). Je voudrais construire en secret un énorme ballon à hydrogène et survoler Copenhague, pendant qu'une mer de voitures de police tenterait de suivre ma trace au sol. Je poserais le ballon devant la cathédrale de Roskilde [où sont enterrés les monarques danois], prêt à me rendre. Je ne sais pas si c'est que je ferais. Mais je voudrais que ce soit une performance énorme." 

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