Elections en Allemagne : les quatre secrets d'Angela Merkel pour durer
La chancelière allemande semble bien partie pour exercer un quatrième mandat à la tête du pays, à l'issue des législatives du dimanche 24 septembre en Allemagne. Son parti, la CDU, est donné gagnant.
A la tête de l'Allemagne depuis 2005, la chancelière Angela Merkel a vu défiler quatre présidents de la République française, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. Tous s'en vont, elle demeure. Si son parti, l'Union chrétienne-démocrate (CDU), remporte comme prévu les législatives du 24 septembre, elle devrait, sauf coup de tonnerre, exercer un quatrième mandat à la tête de l'Etat fédéral. Mais comment fait-elle pour rester au pouvoir alors que tous les dirigeants européens valsent autour d'elle ? Quels sont les secrets de celle qui a choisi comme slogan de campagne "Une Allemagne où il fait bon vivre" ? Eléments de réponse.
1Elle joue de son image rassurante
Premier trait marquant : par son train de vie modeste, Angela Merkel est un gage de stabilité pour les Allemands. A Berlin, elle vit dans un appartement sans clinquant, au bord de la Spree, et non à la chancellerie. Et on ne lui connaît qu'un seul luxe : une petite datcha dans l'Uckermark, une région de forêts et de lacs très peu habitée, "au milieu de nulle part", souligne Amaury Guibert, le correspondant de France 2 à Berlin, joint par franceinfo.
Si cette austérité correspond à la réalité, c'est aussi un atout de communication dont elle use. A chaque campagne électorale, la chancelière exploite son image de ménagère économe pour cibler l'électorat féminin et renforcer son image de "Mutti" (maman). Fin août, elle livrait ainsi au populaire magazine Bunte sa recette de soupe de pommes de terre pour ne rien laisser perdre ("les écraser avec un pilon et non un presse-purée"). Il y a quatre ans, lors de la précédente campagne des législatives, elle avait déjà donné ses conseils "pour réaliser de succulentes rinderroulades, un plat typiquement allemand".
Dans une Allemagne prospère, première puissance économique d'Europe, Angela Merkel s'attache ainsi à montrer qu'elle ne gaspille pas l'argent du contribuable. Et offre à ses concitoyens l'image précieuse d'une dirigeante stable dans un monde instable.
2Elle écoute l'opinion publique
A l'étranger, on lui a parfois reproché une attitude jugée trop attentiste, notamment lors de la crise financière de 2008. Cette chancelière peu impulsive a pourtant su, à l'occasion, répondre très vite aux attentes des Allemands, quitte à changer d'avis. Ministre de l'Environnement en 1997, elle avait défendu avec ardeur le nucléaire lors des négociations sur le protocole de Kyoto. En 2011, après la catastrophe de Fukushima, elle bascule du côté des antinucléaires.
"L'opinion allemande a une peur très ancrée du nucléaire et Angela Merkel l'a écoutée", estime la journaliste Michaela Wiegel, correspondante à Paris du quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, contactée par franceinfo. Moins de trois jours après l'accident nucléaire au Japon, la chancelière annonce ainsi l'arrêt provisoire de plusieurs centrales. Deux mois plus tard, elle confirme que l'Allemagne sortira définitivement du nucléaire en 2022.
Elle se voit moins comme celle qui pousse les Allemands à changer que comme celle qui les incarne, les représente.
Michaela Wiegel, correspondante du "Frankfurter Allgemeine Zeitung"à franceinfo
Sur l'ouverture du mariage aux homosexuels, elle a tout autant surpris. S'agissait-il de couper l'herbe sous le pied de son rival du Parti social-démocrate (SPD) ? Sans doute. Comme le rappelle Amaury Guibert, son président, Martin Schulz, "en avait fait un argument de campagne" au printemps dernier. "Il avait déclaré qu’il n’accepterait aucune coalition qui ne mette pas en priorité la légalisation du mariage pour tous. Selon les sondages, les trois quarts des Allemands y étaient favorables", souligne le correspondant. Le sujet risquait de nuire aux conservateurs de la CDU, en pleine campagne électorale.
Opposée à titre personnel au mariage pour tous, Angela Merkel a finalement lâché du lest et annoncé qu'elle laissait les députés de son parti se prononcer librement, sans consigne de vote. Le 30 juin 2017, le texte est approuvé par une majorité de 393 élus sur 623. "En trois jours, retournement complet et c'était réglé", résume Amaury Guibert.
3Elle sait être fidèle à ses valeurs
"Nous y arriverons !" L'injonction d'Angela Merkel à l'été 2015 a marqué les mémoires. A ce moment-là, des centaines de milliers de Syriens fuient la guerre qui dévaste leur pays. Le 27 août, une information bouleverse l'Europe, alors que ses dirigeants participent à un sommet des Balkans de l'Ouest : 71 corps de migrants sont retrouvés dans un camion, au bord d'une autoroute autrichienne. "Nous sommes tous bouleversés par ces terribles nouvelles, réagit alors la chancelière allemande. C'est un avertissement pour que l'on se mette au travail, pour résoudre ce problème et faire preuve de solidarité." Le journaliste Amaury Guibert analyse : "Il ne s'agit pas d'un bateau qui coule au milieu de la Méditerranée. Là, ça se passe aux portes de la maison."
Et Angela Merkel se saisit de la question. Quatre jours plus tard, alors que la Hongrie annonce son intention de bloquer les migrants, la chancelière lance, lors de sa traditionnelle conférence de rentrée, son fameux slogan pro-migrants : "Wir schaffen das !" ("Nous y parviendrons").
"Dire qu'elle a ouvert les portes de l'Allemagne n'est pas tout à fait exact, poursuit Amaury Guibert, puisque les portes étaient ouvertes. En fait, elle a annoncé qu'elle n'appliquerait plus l'accord de Dublin" et qu'elle ne renverrait donc pas les migrants dans le pays d'Europe par lequel ils étaient entrés. Sous l'impulsion d'Angela Merkel, l'Allemagne accueille plus d'un million de réfugiés en quelques mois. Dans les gares allemandes, ils sont accueillis avec une incroyable chaleur, comme le montre ce reportage de France 2.
Certes, l'eldorado allemand n'a duré qu'un temps. Voyant sa cote de popularité s'effondrer, Angela Merkel s'est ensuite employée à durcir les conditions d'entrée pour les migrants. Mais l'opinion semble finalement créditer la fille de pasteur d'avoir été fidèle à ses convictions profondes. "Sa décision était d'abord humanitaire, mais elle avait aussi une portée européenne. La chancelière pensait que l'Allemagne, pays riche, pouvait y arriver. Et que si elle ne le faisait pas, des pays comme la Grèce et la Hongrie menaçaient de s'effondrer", décrypte Amaury Guibert.
Deux ans plus tard, l'épisode ne semble pas avoir nui à la chancelière, même si le parti Alternative pour l'Allemagne (Afd), nationaliste et anti-migrants, risque de grignoter l'électorat de la CDU. Selon les derniers sondages, il pourrait obtenir 10% des voix et faire son entrée à la chambre des députés. De son côté, Angela Merkel est donnée gagnante par K.-O. Sa force de caractère en campagne, alors qu'elle s'est fait siffler et insulter par des nationalistes lors de ses meetings, en impose en Allemagne, relève le journal suisse Le Temps. Au point que le magazine Der Spiegel l'a surnommée "Mère Courage".
4Elle est une redoutable stratège
Le tableau ne serait pas complet sans mentionner le profil de "killeuse" en politique de celle que l'on appelle aussi "Mutti". Un trait de personnalité dont ne s'est pas (assez) méfié son prédécesseur Helmut Kohl, chancelier de 1982 à 1998. A la tête de la CDU, il avait mis sur orbite la scientifique, deux ans après la chute du mur, en la nommant ministre des Femmes et de la Jeunesse. A ses yeux, Angela Merkel répondait aux trois critères voulus pour amener du sang neuf : "Femme, jeune et Ossie" (originaire d'Allemagne de l'Est), rapporte Marion Van Renterghem dans sa biographie, Angela Merkel, l'ovni politique (Les Arènes-Le Monde).
La jeune recrue fait rapidement ses preuves et devient secrétaire générale de la CDU en 1998. Autant dire qu'elle n'est pas encore perçue comme une menace par les poids lourds du parti. A 69 ans, Helmut Kohl ne verra pas venir le coup de dague de sa protégée, alors qu'il est affaibli par sa défaite contre le social-démocrate Gerhard Schröder et qu'il est mêlé à l'affaire des "caisses noires" de la CDU, un système de financement illégal du parti.
Dans une tribune publiée le 22 décembre 1999 dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, Angela Merkel va faire figure de Brutus. Elle somme le parti de "réapprendre à marcher (...) sans son vieux destrier [Helmut Kohl]", rapporte Marion Van Renterghem. Traduction : de s'en débarrasser. On connaît la suite. Angela Merkel est à la tête de la CDU depuis maintenant dix-sept ans. Et veille à neutraliser ses rivaux, d'autant plus aisément qu'"au sein de la CDU, il n’y a pas d’alternative crédible", résume Barbara Kunz, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (Ifri), citée par Le Temps. Une stratégie de l'élimination qui lui est reprochée par son adversaire Martin Schulz, lequel l'accuse de "menacer la démocratie".
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