Europe : où sont passés tes cerveaux ? Illustration au Royaume-Uni
Il est toujours difficile de comparer les chercheurs ou les pays. Mais la Grande-Bretagne figure toujours en bonne place dans les classements internationaux. Deuxième ou troisième en nombre d’articles publiés, en nombre de citations… Derrière les Etats-Unis, et au même niveau que la Chine. Les Britanniques sont aussi les deuxièmes récipiendaires de Prix Nobel, là encore après les Américains. Ils se distinguent notamment dans le domaine des sciences de la vie (biologie, médecine).
Pourtant, le Royaume-Uni est assez peu dépensier : les sommes investies en recherche-développement correspondent à 1,7% du PIB, contre 2,3% en France ou 2,6% aux Etats-Unis. L’objectif européen, loin d’être atteint, est de 3%. Le système britannique repose essentiellement sur les universités. C’est la principale différence avec la France, où de grands centres nationaux comme le CNRS ou l’Inserm absorbent une grande partie des fonds.
Arnaud Doucet est l’un des Français enseignants-chercheurs outre-Manche. Après des séjours à Cambridge, puis en Australie, au Canada, au Japon, il est revenu il y a trois ans en Angleterre, au département de statistiques d’Oxford : "La recherche est vraiment concentrée sur les universités en Grande-Bretagne. Ces universités sont plus ou moins prestigieuses. Et en gros, les budgets sont en adéquation avec le prestige."
L'élitisme à la britannique
En clair, mieux vaut être dans une grande université pour obtenir des financements. Les quatre meilleures, Oxford, Cambridge, Imperial College et University College London, obtiennent 25 à 30% des fonds, alloués sur appel à projets ou à partir d’un système d’évaluation régulier, tous les six ans environ, qui tend là encore à favoriser les meilleures universités. C’est ce qu’on appelle le Research Excellence Framework dont les résultats doivent être publiés cette année.
Eric Parent est lui aussi professeur de statistiques, à AgroParisTech. Il est depuis le début de l’année overseas fellow à Cambridge. Il y a découvert l’excellence, mais aussi un système très élitiste : "Je ne serais pas favorable à une transposition en France du système britannique de financement de la recherche. Cambridge offre un cadre exceptionnel de travail mais c’est un cas à part, comme un petit nombre d’universités britanniques. En France, il y a une certaine forme d’égalité, qui s’accompagne certes d’un nivellement des moyens, mais qui permet de valoriser la recherche dans tous les établissements. Ce sont des valeurs qu’il faut défendre, je pense."
Autre illustration de l’élitisme britannique : les universités britanniques coûtent cher. Souvent autour de 10.000 euros par an. Les frais ont été triplés dans la plupart des facultés par la coalition actuellement au pouvoir.
Fuite de cerveaux ?
Les grandes universités britanniques sont en tout cas très attractives. Elles accueillent environ 30% d’étrangers, beaucoup de post-doctorants. Pour un étudiant britannique parti en France, six Français partent en Grande-Bretagne.
Il n’y a pas pour autant de fuite de cerveaux français. Beaucoup reviennent au pays. On compte environ 2.500 chercheurs français en Grande-Bretagne, moins que les Allemands ou les Italiens.
"Les meilleures universités britanniques ont une excellente réputation internationale" , dit Arnaud Doucet. "Vous avez beaucoup de moyens et des charges d’enseignement raisonnables, ce qui est très appréciable, surtout pour un jeune chercheur. Et l’Anglais est aussi un atout. La langue permet d’attirer des gens du monde entier."
Les universités britanniques sont aussi proches du monde de l’entreprise. "Il y a beaucoup d’interactions" , affirme Sarah Main, du groupe de promotion de la recherche Campaign for Science and Engineering. "Le Royaume-Uni a fait de gros efforts là-dessus et les progrès sont très encourageants."
On trouve de nombreux exemples de ces échanges entre le monde académique et celui de l’entreprise. A Imperial College, Ben Kingsbury, chercheur en génie chimique, a pu profiter d’une structure d’aide à la création d’entreprise au sein de l’université. Il bénéficie du soutien d’une société indépendante, Imperial Innovations, cotée en Bourse, spécialisée dans le transfert de technologie. Ben Kingsbury a ainsi pu fonder une start-up, MicroTech Ceramics, pour développer un nouveau pot catalytique moins polluant : "L’avantage c’est la structure de soutien, du laboratoire à la création d’entreprise. Imperial college encourage activement la commercialisation. On est arrivé à lever des fonds grâce à la réputation de l’université et à Imperial Innovations qui a rendu le projet possible. On peut ainsi passer de la recherche fondamentale à la commercialisation d’une technologie."
"Il y a plusieurs étapes" , explique Lamia Baker, manager à Imperial Innovations. "D’abord la sélection des projets, puis la recherche et la sélection du partenaire qui permettra de développer l’invention, et enfin les négociations. Les Etats-Unis font ça très bien depuis longtemps, mais la Grande-Bretagne est en train de rattraper son retard. Il faut simplement avoir à l’esprit que le transfert de technologies prend du temps. »
Malgré tous les avantages que présente le système britannique, certains chercheurs partent à l’étranger, en particulier aux Etats-Unis qui offrent dans certains domaines des moyens et des salaires incomparables. Mais il n’y a pas d’hémorragie.
Le système britannique semble assez souple pour conserver ses meilleurs éléments. Les universités sont autonomes. On peut y négocier (un peu) son salaire. Et quand on parvient à intégrer un centre prestigieux comme Oxford ou Cambridge, difficile de trouver un meilleur environnement de travail.
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