Brexit : on vous explique le "backstop" irlandais, ce "filet de sécurité" au cœur du bras de fer entre Londres et Bruxelles
Les Brexiters les plus convaincus n'en veulent pas, l'Union européenne refuse de l'enterrer : en quoi consiste le "filet de sécurité", censé empêcher le retour d'une frontière physique en Irlande ?
Un dialogue de sourds. A deux mois du Brexit, les députés britanniques ont donné mandat à Theresa May, mardi 29 janvier, pour qu'elle renégocie le "backstop" irlandais. Par la voix de son président Donald Tusk, l'Union européenne a aussitôt refusé de rouvrir les discussions sur cette mesure, qui concerne la frontière entre le Royaume-Uni et l'Irlande. Pourquoi Londres s'oppose-t-elle à ce "filet de sécurité" ? Pourquoi Bruxelles refuse-t-elle de revenir sur ce point épineux ? On vous résume les enjeux de ce dispositif, au cœur des débats sur le Brexit.
A quoi sert ce "backstop" ?
L'un des points sensibles des négociations sur le Brexit est la frontière entre l'Irlande, Etat membre de l'UE, et l'Irlande du Nord, qui fait partie du Royaume-Uni. En théorie, le Brexit entraînerait le retour de postes-frontières sur cette ligne longue de 500 km, le rétablissement des contrôles douaniers et la fin de la libre circulation des biens et des marchandises entre les deux territoires.
Londres et Bruxelles veulent à tout prix éviter ce scénario. Cette frontière presque invisible est l'une des conditions-clés de l'accord du Vendredi saint, qui a mis un terme, en 1998, à trente ans de violences opposant nationalistes catholiques et unionistes protestants en Irlande du Nord. Quelque 30 000 personnes la traversent chaque jour et 31% des exportations nord-irlandaises étaient destinées au marché irlandais en 2016, selon Le Figaro.
Deux ans de négociations n'ont pas permis de trouver une solution à ce casse-tête. Le projet d'accord, rejeté par les députés britanniques en janvier, prévoyait donc de laisser jusqu'à fin juillet 2020 pour trancher la question de la frontière irlandaise. En cas d'échec, le "backstop" ("filet de sécurité" en français) entrerait alors en vigueur, précise Le Monde. Pour résumer, il s'agit d'une assurance au cas où Londres et Bruxelles seraient encore en désaccord à la fin de la période de transition prévue dans l'accord sur le Brexit trouvée entre l'UE et le gouvernement de Theresa May.
Le "backstop" créerait une union douanière regroupant le Royaume-Uni et l'Union européenne, résume Le Figaro. Les marchandises pourraient continuer à circuler librement entre le continent et l'archipel britannique, sans être soumises à des quotas ou des taxes. Par ailleurs, l'Irlande du Nord serait contrainte de respecter les règles du marché commun européen, dont la libre circulation des personnes, "ainsi que les décisions de la Commission et de la Cour de justice de l'UE", poursuit Le Monde. Résultat : il n'y aurait pas de frontière physique entre les deux Irlandes.
Pourquoi les Britanniques n'en veulent-ils pas ?
Les "Brexiters" les plus convaincus estiment que le "backstop" empêcherait un divorce total avec l'Union européenne. En appartenant à une union douanière avec l'UE, le Royaume-Uni n'aurait en effet pas le droit de négocier d'autres accords de libre échange. La raison ? Bruxelles ne veut pas que des produits provenant d'un pays tiers "bénéficient d’un accès privilégié, via l’Irlande du Nord, au marché européen", explique Le Monde.
Le parti unioniste nord-irlandais, le DUP, (dont Theresa May a besoin pour sa majorité parlementaire) refuse par ailleurs que le territoire ait un statut différent du reste du Royaume-Uni. Il estime que cela reviendrait, de facto, à déplacer la frontière en mer d'Irlande. En appliquant les règles du marché unique, contrairement au reste du pays, l'Irlande du Nord ne serait en quelque sorte plus vraiment britannique. "Ce serait une annexion permanente de l'Irlande du Nord, qui sortirait du Royaume-Uni, et nous laisserait pour toujours soumis à des règles écrites sans que nous ayons notre mot à dire", s'indigne ainsi la cheffe du DUP, Arlene Foster, dans une tribune publiée par le Belfast Telegraph.
Dernier point d'achoppement : la durée du "backstop". Le "filet de sécurité" est censé être une mesure temporaire, laissant le temps à Londres et Bruxelles de signer des accords réglant la question de la frontière irlandaise. Mais aucune limite de temps n'est inscrite dans le texte rejeté par les députés en janvier, note Le Figaro. Et l'UE a pour l'instant toujours refusé de céder sur ce point. Le négociateur en chef des européens, Michel Barnier, a ainsi redit jeudi 24 janvier que le "backstop" ne pouvait avoir de date butoir parce que cela contreviendrait à son objectif, précise Reuters. Le Parlement britannique s'inquiète donc de voir le Royaume-Uni éternellement rattaché à l'UE.
L'UE pourrait-elle accepter de renégocier le "filet de sécurité" ?
Pour l'instant, c'est mal parti. Un porte-parole de Donald Tusk a publié une réponse cinglante, mardi 29 janvier, quelques minutes seulement après le vote du Parlement britannique. "Le 'backstop' fait partie du traité de retrait, et le traité de retrait n'est pas ouvert à une renégociation. Les conclusions du Conseil européen de décembre sont très claires sur ce point", martèle le communiqué de la présidence de l'UE. Les 27 sont d'autant plus fermes que Londres est incapable, mercredi, de préciser quels pourraient être les "arrangements alternatifs" au "filet de sécurité". "Nous sommes déjà passés par là et je ne crois pas que de tels arrangements existent", estime le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar.
Theresa May espère toutefois que la crainte du "no deal" va pousser l'UE à accepter de revenir sur le "backstop", analyse le New York Times (en anglais). Un divorce sans accord aurait en effet pour conséquence le retour d'une frontière dure entre les deux Irlandes, soit précisément ce que le "filet de sécurité" est censé éviter. "L'élément-clé ici est que les deux parties veulent trouver un accord", affirme le ministre en charge du Brexit, Stephen Barclay, cité par Reuters.
"La dynamique a changé", ajoute le conservateur, pour qui le vote de mardi est "un mandat clair pour que la Première ministre retourne devant les Européens pour dire 'voici ce que le Parlement soutiendra'". L'amendement adopté prévoit en effet que les députés approuveront l'accord sur le Brexit si des modifications sont apportées au "backstop". Londres espère donc que la promesse d'éviter un divorce brutal poussera Bruxelles à faire des concessions sur la question de la frontière irlandaise. Reste à savoir si ce coup de poker va fonctionner.
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