Le Brexit ravive les tensions en Irlande du Nord
Depuis lundi, les députés britanniques examinent le projet de loi qui va permettre au gouvernement de lancer les négociations sur le Brexit. Une perspective qui réveille les tensions en Irlande du Nord.
A partir de lundi 6 février, les députés britanniques examinent le projet de loi qui va permettre au gouvernement de lancer les négociations sur le Brexit. Cette perspective réveille les tensions en Irlande du Nord, comme à Newry, ville à la frontière entre les deux Irlande. Une frontière totalement invisible, car le dernier poste de douane a été rasé il y a près de 10 ans. Une frontière qui pourrait retrouver son activité avec le Brexit et rouvrir des plaies entre unionistes protestants et nationalistes catholiques.
Une économie qui repose sur le libre-échange
A Newry (Irlande du Nord), les anciens bâtiments militaires ont été transformés en logements. Juste à côté, les supermarchés géants profitent de leur proximité avec Dublin et la zone euro. "Notre économie repose entièrement sur le libre-échange", explique Connor Patterson, responsable d’une pépinière d’entreprises qui regroupe 82 sociétés. "En 2006-2007, quand l’euro était fort par rapport à la livre sterling, ces magasins, comme Marks and Spencer, Sainsbury’s ou Tesco, attiraient des milliers d’acheteurs. Il y avait des files de voitures de six kilomètres de long, depuis le Sud jusqu’à Newry. Ces magasins anglais sont à Newry pour une seule raison : la localisation", poursuit-il. Alors pour lui, le Brexit changerait tout : "Tout cela ne peut fonctionner que s’il y a la liberté de mouvement."
Au-delà des blocages financiers, le retour des douaniers britanniques serait vu par les nationalistes comme une provocation. Même si les unionistes, qui soutiennent Londres et qui ont fait campagne pour le Brexit, promettent qu’il n’y aura pas de soldats, juste des caméras.
Rétablir des points de passage
Au total, il faudrait établir 300 points de passage entre les deux pays. Des fermes seraient coupées en deux. "Il y a un changement et il y a la peur", raconte Paul Porter, un professeur de français qui habite à la frontière et enseigne à Belfast. "Une frontière c’est une frontière, ça sépare les gens ! ajoute-t-il. Pour voir mes cousins, mes cousines qui habitent à 2,3 kilomètres de chez moi, si je ne peux pas avoir l’accès libre, c’est un pas en arrière. Et il faut peu de chose pour que le conflit reprenne", estime-t-il.
Quand on ne peut pas voyager, c’est comme des animaux, des rats
Paul Porter, professeur de français à Belfastà franceinfo
Une crise politique ouverte
L’exemple le plus récent, c’est ce policier blessé par des tirs il y a moins de trois semaines. Il a été pris pour cible par un groupe qui se fait appeler "La véritable armée républicaine irlandaise". Une référence à l’I-R-A, le groupe armé nationaliste qui s’est battu pendant plusieurs décennies contre l’armée britannique.
En parallèle, le pays a basculé dans une crise politique sans précédent. Les nationalistes du parti Sinn Féin, censés gouverner avec les unionistes du DUP dans le cadre de l’accord de paix, ont claqué la porte du gouvernement en janvier après plusieurs semaines de désaccords sur fond d’affaires de corruption. En attendant de nouvelles élections, tout est bloqué et le Brexit n’arrange rien.
Je crois qu’on est à bout de patience, 56% des gens ont voté pour rester dans l’UE et leur point de vue a été ignoré
John O'Dowd, du parti Sinn Féinà franceinfo
"C’est un problème majeur !" pour John O’Dowd, chargé du dossier au Sinn Féin. Il estime que Londres impose son point de vue. "Nous on propose aux gens une solution radicale, il faut que le Nord continue de faire partie de l’Union européenne avec un statut spécial, détaille-t-il. Il y a beaucoup d’engagements qui n’ont pas été tenus. C’est presque une tentative du gouvernement britannique de réécrire unilatéralement les accords de paix."
Les accords de 1998 ont été signés sous le patronage de l’Union et les institutions européennes doivent toujours garantir des enquêtes indépendantes pour favoriser la réconciliation.
Des plaies difficile à refermer
Robert McClenaghan est un ancien poseur de bombes de l’I-R-A. Il a passé douze ans en prison. En sortant, il a construit un mémorial le long de l’ancien mur qui coupait Belfast en deux. "Ici, c’est mon grand-père Philippe, montre l'homme de 58 ans. Tous ces gens, hommes, femmes et enfants, ont été tués par une escouade de loyalistes en 1971. Moi j’étais jeune, ça m’a rendu très en colère, je voulais tuer des gens dans le camp d’en face."
A présent, il attend le résultat d’une action en justice qu’il a lancée devant la Cour européenne des droits de l’homme. "Maintenant j’essaie d’être un ambassadeur de paix, sourit-il. Mais avec le Brexit, c’est plus difficile. Parce que s’il y a le Brexit, où est-ce-qu’on va aller pour trouver de la justice, pour trouver la vérité ?"
On ne fait pas confiance au gouvernement britannique
Robert McClenaghan, ancien membre de l'I-R-Aà franceinfo
La défiance vis-à-vis de Londres c’est aussi ce que met en avant le SDLP, l’autre parti nationaliste nord-irlandais qui, comme le Sinn Féin, garde comme objectif la scission avec le Royaume-Uni et l’indépendance.
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