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La Hongrie est-elle la première des «démocraties non libérales» en Europe?
Face aux pays occidentaux, un nouveau modèle de démocratie est-il en train de s’édifier en Europe ? En l'occurrence la «démocratie non libérale» (ou illibérale), concept notamment défendu par le Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Une affaire révélatrice à l’heure de la montée des populismes et de la crise migratoire sur le Vieux continent. Explications.
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Le 2 février 2015, Angela Merkel se trouve en Hongrie. Elle entend dénoncer sur place la «dérive autoritaire» de Viktor Orban. «Il est très important dans une démocratie, même quand on dispose d’une large majorité, de dialoguer avec l’opposition, la société civile et les médias. C’est un modèle important pour la Hongrie», déclare la chancelière allemande.
Histoire de répondre au chef du gouvernement hongrois qui, dans un discours le 26 juillet 2014, expliquait : il faut «comprendre des systèmes qui ne sont pas occidentaux, qui ne sont pas libéraux, qui ne sont pas des démocraties libérales, peut-être même pas des démocraties. Et qui pourtant font le succès de certaines nations.» A titre d’exemple, Viktor Orban citait «Singapour, la Chine, l’Inde, la Turquie, la Russie». Et d’ajouter : «Le nouvel Etat que nous sommes en train de construire est un Etat illibéral, un Etat non libéral. Il ne nie pas les valeurs fondamentales du libéralisme comme la liberté, etc. Mais il ne fait pas de l’idéologie un élément central de l’organisation de l’Etat. Il applique une approche spécifique et nationale.» En clair : une approche hongroise.
Commentaire d’Angela Merkel : «Honnêtement, “non libéral” (illeberal) et “démocratie” ne peuvent pas, selon moi, aller ensemble.» Et d’ajouter : «Les racines de la démocratie sont toujours, entre autres, dans le libéralisme.»
«Ne pas confondre démocratie et libéralisme»
Mais les responsables hongrois n’entendent pas se laisser morigéner facilement. «Il convient de ne pas confondre le concept de démocratie, qui est un système de gouvernement, et celui de libéralisme, qui est un système de valeurs», explique ainsi l’ambassadeur de Budapest à Paris, Georges Károlyi, sur la page Facebook de la représentation diplomatique le 7 mai 2016. Une page dont le lien a été diffusé par le service de presse de l’ambassade auprès des journalistes français s’intéressant à la question.
L’idée de «démocratie non libérale» a été théorisée dès 1997 dans un article du journaliste américain Fareed Zakaria pour la revue Foreign Affairs. Elle trouve évidemment un écho et une application pratique dans la politique mise en œuvre à Budapest. «En matière économique, le gouvernement (hongrois) s’attaque à la grande distribution, un secteur dominé par des sociétés étrangères en levant un impôt rétroactif. Il s’immisce dans des contrats de droit privé en imposant les taux de remboursement des crédits en devise étrangère», observe Le Monde.
Sur sa page Facebook, le diplomate répond au quotidien français et revient sur l’immixtion «dans des contrats de droit privé». «Il y a une dizaine d’années, à une époque où les taux d’intérêt du forint (la monnaie hongroise, NDLR) étaient encore très élevés, les emprunteurs hongrois ont été incités par le système bancaire à s’endetter en devises étrangères – en francs suisses principalement – pour l’acquisition de leur logement. (…) Or, sous l’effet de clauses très particulières contenues dans les contrats de prêt, plus le franc suisse s’appréciait, plus le taux d’intérêt facturé aux emprunteurs augmentait. Comme il était prévisible, le franc suisse a explosé par rapport au forint, et les infortunés emprunteurs, dont les faibles ressources étaient toutes en forints, se voyaient facturer des taux de 9% (sur le franc suisse !!) alors que le taux d’intérêt de la devise helvétique sur les marchés était proche de 0», rapporte Georges Károlyi.
«Ce phénomène touchait des centaines de milliers de ménages – plusieurs millions de Hongrois – dont les mensualités se trouvaient doublées, triplées du jour au lendemain. Le risque d’une faillite personnelle générale de la moitié des ménages hongrois était réel.» Conséquence : «Le gouvernement a imposé aux banques – dans le respect des recours judiciaires prescrits par l’Etat de droit – d’une part de rembourser aux emprunteurs les agios indûment prélevés, et d’autre part de convertir ces prêts en monnaie nationale, afin d’éliminer l’épée de Damoclès représentée par le risque de change», explique le diplomate.
Et de poursuivre : le gouvernement «s’est immiscé, et il a bien fait, parce que sans cela la société hongroise aurait explosé. Et il s’est immiscé pour mettre une limite à l’excès de libéralisme dont cette affaire est un exemple emblématique.» Autrement dit : «Trop de libéralisme tue le libéralisme. Si personne n’intervient, c’est la loi du plus fort qui s’imposera au nom du libéralisme.» On ne peut être plus clair…
«Ordre» et «contrôle»
La «démocratie alternative», chère à Viktor Orban, «reposerait sur l’ordre, le contrôle de la presse, la famille, la religion, le culte de la terre, la mythification d’un passé épuré, la mise au travail des allocataires sociaux, voire la peine de mort», explique Le Monde.
Sur Facebook, l’ambassadeur de Hongrie en France entend répondre point par point au quotidien français en niant que l’Etat non libéral soit «un reniement des grandes libertés publiques». Sur la religion : elle était «au cœur des préoccupations des fondateurs de la maison commune» qu’est censée représenter l’UE, explique-t-il. En oubliant que l’allusion aux «racines chrétiennes» de l’Europe avait été retoquée dans la Constitution européenne de 2005. Sur le «passé épuré» : «épuré, oui, de 45 ans de matraquage par l’internationalisme prolétarien». Sur la presse : Georges Károlyi estime que depuis l’arrivée au pouvoir, «l’action du gouvernement hongrois s’exerce depuis (2010) face à un vent contraire médiatique d’une incroyable ténacité». Pour autant, il est moins disert sur les «950 journalistes de l’audiovisuel public (…) licenciés» signalés par Le Monde…
Autre élément de la «démocratie illibérale» : la gestion de la crise des migrants. Budapest refuse l’accueil de quotas de demandeurs d’asile et a édifié une barrière le long de sa frontière avec la Croatie. Une attitude très ferme désormais imitée par l’Autriche. Laquelle pourrait porter, le 22 mai, à sa présidence le candidat d’un parti d’extrême droite, le FPÖ.
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