Les citoyens portugais votent le 5 juin pour renouveler les 230 membres du Parlement
Ce scrutin fait suite à la démission du gouvernement du premier ministre socialiste, José Socrates, après que l'Assemblée de la République (chambre unique du Parlement) eut rejeté un plan d'austérité et de réformes.
Ce plan, qui vise à réduire le déficit budgétaire du pays, a été négocié avec le FMI et l'UE en échange d'un prêt de 78 mds d'euros.
Le plan de José Socrates a été rejeté à la fois par l'opposition de droite et les anti-libéraux de gauche.
La majorité du Parti socialiste du premier ministre sortant est menacée par le Parti social-démocrate (PSD), formation de centre-droit dirigé par Pedro Passos Coehlo, grand rival de José Socrates. Dans les sondages, le PSD recueille entre 33,9 et 35,8 % des intentions de vote, devant le PS, qui obtiendrait entre 32,1 à 34,1 % des voix. Arrive en troisième position le CDS (droite), avec 11,3 à 13,4 %.
Une éventuelle alliance PSD-CDS n'est pas assurée de la majorité absolue. D'autant que les socialistes, donnés largement battus il y a deux mois, ne sont plus crédités que d'un léger retard sur les sociaux-démocrates.
Sur le fond, les trois principaux partis politiques portugais se sont engagés à appliquer le programme d'austérité et de réformes négocié par le gouvernement sortant avec l'UE et le FMI. Mais dans les faits, ils restent divisés sur les mesures à mettre en oeuvre pour concrétiser les objectifs de réduction du déficit, notamment sur le plan fiscal, mais aussi sur l'ampleur des privatisations, de la réforme du marché du travail ou du système de santé.
A quelques jours du scrutin, la campagne tourne à la dramatisation. Pedro Passos Colho a ainsi mis en garde contre le risque d'une "tragédie à la grecque" en cas de victoire du PS. Il a évoqué les Grecs "qui se sont sacrifiés et qui voient leur sacrifice remis en cause parce que leur gouvernement [socialiste, NDLR] n'a pas été capable de faire ce qu'il avait promis". De son côté, José Socrates a insisté sur le risque d'un éventuel "retour de la droite au pouvoir". Il a accusé son adversaire de vouloir "profiter du plan d'aide" pour "détruire l'Etat social" et "privatiser la santé et l'éducation".
Malgré ces vifs propos, il est difficile de prévoir la majorité qui sortira des urnes...
Aux dires des observateurs, il n'y a aucune coalition possible à gauche dans la mesure où la "gauche de la gauche" rejette le plan d'aide. En l'occurrence notamment le Parti communiste et les verts. D'où l'évocation fréquente d'une "grande coalition" entre les trois principaux partis (PS, PSD et CDS), loin d'être acquise...
Le Portugal a pourtant tout à craindre d'une période d'instabilité politique. La mise en oeuvre du programme d'austérité "pourrait être problématique si nous nous retrouvons à nouveau sans majorité au Parlement", explique un analyste de la Commerzbank. "Même si les mesures sont imposées de l'extérieur, leur application rapide requiert un gouvernement fort", ajoute-t-il.
Reste qu'un gouvernement, même considéré comme "fort", sera confronté à de multiples difficultés. Il sera ainsi coincé entre les exigences des milieux financiers internationaux et celles de sa propre population. Laquelle, minée par le chômage, se trouve confrontée à des mesures drastiques d'austérité et de baisse du pouvoir d'achat.
Les mesures du plan d'austérité
Le programme, signé avec l'Union européenne et le Fonds monétaire international, impose notamment un blocage (à 485 euros) du salaire minimal, une baisse de la rémunération des heures supplémentaires, une réduction de la durée et du montant des allocations chômage. Les retraites supérieures à 1500 euros devront baisser et les autres pensions, à l'exception des plus basses, seront gelées. Les salaires des fonctionnaires, déjà réduits de 5 % en 2011, seront eux aussi gelés. La TVA à 23 % est maintenue, tandis que certains taux réduits seront supprimés. Les impôts sur les salaires vont être augmentés.
Les dépenses de santé devront diminuer de 500 millions.
Dans le même temps sera mis en oeuvre un programme de privatisations qui touchera la Poste ainsi que les secteurs de l'énergie et des transports.
Générations précaires
Le Portugal compte 620.000 chômeurs officiellement recensés (pour une population de 10,7 millions de personnes), soit plus de 12 % des actifs. Parmi eux, près de 50 % ont moins de 35 ans et 10 % sont diplômés.
Il faut aussi tenir compte de 720.000 personnes travaillant sous le régime du contrat à durée déterminée. "A cela s'ajoutent un peu plus d'un million de travailleurs indépendants, dont l'immense majorité serait en réalité des employés illégalement privés d'un contrat de travail, selon les organisations de précaires", affirme Libération.
Fin 2010-début 2011, de très importantes grèves générales et manifestations ont réuni des centaines de milliers de personnes.
"Indignés" manifestant le 28 mai sur la place Rossio à Lisbonne (AFP - PATRICIA DE MELO MOREIRA)
Quand des Portugais doivent refaire leurs valises...
50 ans après leurs grands-parents, des milliers de jeunes Portugais, souvent diplômés, font à leur tour leurs valises, pour échapper à la crise, au chômage et à la précarité.
Marlene et Pedro Frazao Pinheiro ont 25 ans chacun. Jusqu'à février, ce couple d'infirmiers vivait à Entroncamento, dans le centre du Portugal. Elle travaillant en CDD pour un groupe privé, lui "dans le public", mais à temps partiel et sans contrat. Ils ont fini par partir en Grande-Bretagne, à Northampton (100 km au nord de Londres).
"On était des 'précaires' comme on dit", résume Marlene. "Notre situation n'était pas des pires mais on ne se voyait pas d'avenir. Nous, on avait envie de pouvoir avoir une maison un jour", explique-t-elle. "Quand on a décidé de partir, tout est allé très vite. On a mis nos CV sur internet et en une semaine, on était embauchés tous les deux dans un hôpital public et en CDI", poursuit l'infirmière.
Aujourd'hui, la jeune femme, diplômée depuis seulement trois ans, gagne 1900 livres (2200 euros) par mois. Soit le double de son salaire portugais.
Selon elle, les infirmiers portugais sont "des centaines en Angleterre". De plus, "on reçoit beaucoup de demandes d'anciens camarades d'école ou de collègues qui veulent savoir comment faire pour émigrer aussi. Nous, on a choisi l'Angleterre, parce qu'on parlait anglais. Mais on a des collègues qui sont partis pour la France, la Suisse..."
Sur l'internet, les sites et blogs consacrés à l'émigration se multiplient. S'y croisent demandes de conseils et témoignages: les auteurs des contributions sont infirmiers, mais aussi psychologues, architectes ou ingénieurs.
La plupart des candidats à l'émigration souhaitent partir dans un pays européen. Mais nombreux sont ceux qui se disent tentés par une expatriation en Angola, ancienne colonie portugaise en pleine reconstruction où vivent déjà plus de 90.000 de leurs compatriotes.
Faute de données officielles globales, l'ampleur de cette nouvelle vague d'émigration est difficile à mesurer, variant selon les sources entre 50.000 à 100.000 départs par an. "Il est difficile de faire le compte car rien n'oblige quelqu'un qui part travailler six mois ou un an dans un pays européen, à se recenser", explique le sociologue Antonio Barreto. Selon lui, "l'émigration est revenue au niveau des années 60".
Selon l'Observatoire de l'émigration, organisme public récemment créé, le Portugal compte actuellement 2,3 millions d'émigrés "nés au pays" et, donc vivant à l'étranger. Soit plus d'un cinquième de sa population.
"C'est une véritable hémorragie", tempête Cristina Blanco, candidate d'extrême gauche aux législatives du 5 juin. "Les Portugais sont expulsés de leur propre pays: pas seulement les jeunes diplômés, ce sont aussi des contingents de chômeurs, la plupart sans qualification, qui affluent chaque jour dans les gares des principales villes européennes", affirme cette économiste installée en France depuis 1975."Et ce n'est pas fini. Les mesures d'austérité que l'UE et le FMI veulent imposer au Portugal, vont inévitablement accentuer le phénomène en aggravant le chômage", prédit-elle.
Dans ce contexte, Marlene et Pedro n'envisagent "pas du tout" de rentrer au Portugal. "On est bien ici et les Anglais sont des gens très bien élevés", s'enthousiasme Marlene. Pourvu que cela dure...
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