Les élections législatives, test européen majeur pour l'Albanie
Lors des vingt dernières années, les élections, à l'exception d'une fois, n'ont jamais donné lieu à un consensus de tous les partis politiques. En cause, notamment, le rôle de la Commission gérant le processus électoral, qui doit être indépendante. Ce n'est pas la cas. Un fonctionnement erratique empêche son indépendance: actuellement, elle ne compte plus que quatre membres, ce qui est en-dessous du quorum nécessaire pour prendre toute décision importante.
Par ailleurs, la campagne pour les législatives nourrit les critiques de l’Union européenne et a fait l’objet des remontrances américaines. Elle a en effet démarré avant la date officielle du lancement, le 23 mai. De plus, les postulants recourent à des subventions de l’Etat auxquels ils n’ont pas droit pour leur campagne. Les quotas de femmes sont ignorés.
Pourtant, l’UE fait des efforts pour que Tirana s'aligne sur standards juridiques européens. L’UE a débloqué une aide de 95 millions d'euros en 2013 pour l’aide au renforcement des institutions et la coopération transfrontalière. Par précaution, les sommes sont gérées par la délégation européenne en Albanie...
Un homme porte les espoirs de Bruxelles. Bujar Nishani, nouveau président élu par le Parlement, qui dispose de pouvoirs élargis. Cet ancien ministre de la Justice et de l’Intérieur a affirmé : «La justice sera ma priorité. L’intégration dans l’Union européenne est un processus qui nous oblige à travailler tous très dur pour mériter » d’y adhérer.
Depuis, l’Albanie a adopté une nouvelle loi électorale avec l’aide de l’UE mais l’incertitude demeure dans bien des domaines.
Blocage au Parlement
Parmi les difficultés que rencontrent ce pays de 3,2 millions d’habitants, l'éternelle rivalité qui oppose les deux plus importants partis politiques depuis plus de deux décennies, empêchant toute évolution démocratique. Les frères ennemis se partagent le pouvoir à tour de rôle. Le parti démocratique albanais (PDSH), dirigé par Sali Berisha, le Premier ministre, longtemps composé de membres venus du Parti du travail d’Albanie (PTA, ex-Parti communiste), a viré libéral. Selon les observateurs, Berisha verrouille le parti en pratiquant un habile clientélisme.
Quant à son concurrent, Edi Rama, leader du PSSH, opposition socialiste, ancien maire de la capitale, il est lui accusé de violence envers un haut fonctionnaire. Si ses projets sont originaux dans l’arène politique albanaise, il a choisi pour combattre son adversaire, la politique de la chaise vide ou de la présence sans vote de ses troupes au Parlement.
La tentation du nationalisme
Cette paralysie du pouvoir politique va à l’encontre des souhaits de Bruxelles, inquiet devant l'absence de réformes. Pendant ce temps, la célébration du centenaire de l’indépendance des quelque six millions d’Albanais des Balkans (fin du joug ottoman le 28 novembre 1912 grâce à Ismail Qemali), a réveillé des accents nationalistes.
Lors des festivités, Sali Berisha a lancé devant 10.000 personnes exaltés à Skopje, capitale de la Macédoine: «Par l’intermédiaire de l’Union européenne nous allons réaliser notre projet d’union nationale ». La presse est partagée sur ces célébrations. Ainsi dans le journal albanais Panorama, l’essayiste Edmond Tupja s’est interrogé sur ces manifestations «dans un pays où d’autres libertés fondamentales -justice, liberté d’expression, science, éducation- sont en panne ».
Si un parti d'extrême-droite, l'Alliance rouge-noire (AKK) a été crée en mars 2012, l'autoritarisme de son leader a provoqué le départ des principaux dirigeants. Il est, de fait, affaibli.
D’autres pommes de discorde existent entre les autorités européennes et Tirana. La construction d’une mosquée de taille démesurée dans la capitale, la difficulté à promulguer une loi sur la limitation de l’immunité parlementaire ou les positions diamétralement opposées des deux principaux partis sur une refonte des impôts, irritent Bruxelles.
Incidences de la crise économique
Le pays était jusque-là épargné par la crise économique qui touche les pays occidentaux. Le PIB de l’Albanie, pays faisant partie du groupe des nations les plus pauvres du globe, a crû de 3 à 3,5% entre 2009 à 2012 lorsque l’activité était tirée par les communications et les industries extractives, dont la production de pétrole.
Mais les effets de la mauvaise conjoncture se font sentir: ralentissement des exportations avec notamment la baisse de la demande italienne. L’endettement, qui représente plus de 62% du PIB inquiète les observateurs, alors que Tirana voit la chute des transferts des Albanais expatriés.L'accroissement des investissements européens, hypotèse sur laquelle comptait le gouvernement turc pour redresser l’économie, paraît compromise.
De lourds handicaps
Parmi les maux les plus graves du pays figure, traditionnellement, le crime organisé. S'appuyant sur les clans, la mafia albanaise, passe des alliances avec d'autres consoeurs comme la n'drangheta et la camorra italiennes... et prolifère dans nombre de pays européens. Ses domaines de prédilection : les vols organisés, le trafic de drogue et la traite des êtres humains.
Le pays "s’illustre" également dans des domaines criminels comme le marché des déchets ou le trafic d’organes. Alors que les réformes politiques sont au point mort, Tirana aura du mal à convaincre Bruxelles de rejoindre l’Union. Dans une analyse de la documentation française, Zamir Meta, un artiste peintre, pense que le scrutin de juin sera plus «une comédie qu’un vote digne d’une démocratie européenne ». Le mauvais fonctionnement de la commission électorale est un mauvais présage pour la régularité des législatives. Donc pour une place au sein de l'Union européenne.
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