Guerre en Ukraine : à quoi pourraient servir les avions de chasse Mirage 2000 que Paris va céder à Kiev ?

Cet appareil, ancien mais robuste, correspond encore aux standards actuels, mais pas pour toutes les missions. Il apparaît plus adapté au combat aérien et à l'interception de missiles qu'à des frappes au sol.
Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié
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Des militaires de l'armée de l'air française au pied d'un avion de combat Mirage 2000-5 sur la base de Luxeuil-Saint-Sauveur (Haute-Saône), le 24 juin 2019. (SEBASTIEN BOZON / AFP)

Il devrait prochainement voler dans le ciel ukrainien. Le Mirage 2000, cet avion de chasse français conçu par la firme Dassault, va bientôt faire partie du matériel militaire que la France fournit à l'Ukraine pour l'aider dans sa défense contre la Russie. Emmanuel Macron a en effet annoncé, jeudi 6 juin, la "cession" de Mirage 2000-5 d'ici "la fin de l'année". Et ajouté que les pilotes ukrainiens seraient formés en France.

Si le nombre d'appareils qui prendront la direction de l'Ukraine n'a pas été dévoilé par le président de la République, cette annonce a toutefois été accueillie chaleureusement par son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, qui a remercié la France vendredi à Paris, lors d'un discours devant l'Assemblée nationale. Mais comment l'armée ukrainienne pourrait-elle utiliser ces appareils ? Que peuvent-ils changer dans un conflit qui vient d'entrer dans son 28e mois ?

Un avion conçu avant tout pour l'interception

Le Mirage 2000-5 (soit de cinquième génération) n'est pas de première jeunesse. "Mais il a encore du répondant", explique à franceinfo Yohann Michel, chercheur à l'Institut d'études de stratégie et de défense (IESD) de l'université Jean-Moulin Lyon 3. Mis en service en 1999, il est basé sur le modèle 2000-C, le seul avion de chasse de la flotte française à pouvoir dépasser Mach 2 (plus de 2 400 km/h), explique le site de l'armée de l'Air. Il est donc plus rapide que le Rafale, lancé en 2006 par Dassault, qui pointe à Mach 1,8 maximum.

"Le Mirage 2000-5 a été conçu pour être un intercepteur et pour exercer la supériorité aérienne, détaille Yohann Michel. Son but, c'est de combattre d'autres appareils, plutôt dans une configuration air-air". Selon le chercheur, cet avion pourrait par exemple servir à abattre des missiles lancés par la Russie. "On l'a vu très récemment en mer Rouge", où la France fait partie d'une coalition contre les attaques des rebelles houthis du Yémen. "Des Mirage 2000-5 ont participé à des missions d'interception de missiles, et peuvent tout à fait les reproduire ailleurs", fait-il valoir. Ces avions sont aussi souvent mobilisés lors de mouvements aériens suspects.

Couplé à des avions de détection Awacs, dont la Suède vient de promettre deux exemplaires à l'Ukraine, le Mirage 2000-5 peut donc venir renforcer le bouclier aérien contre un plus grand nombre de menaces. "Ces livraisons combinées augmentent la pertinence des Mirage", commente Yohann Michel.

Un effet incertain sur le champ de bataille

Les Mirage 2000-5 promis à Kiev ne devraient pas changer rapidement, ni à eux seuls, le cours du conflit. "D'abord parce qu'ils ne seront pas disponibles pour les opérations aériennes ukrainiennes avant un an ou un an et demi", a expliqué vendredi, au micro de franceinfo, Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Le temps de former des pilotes, de former des mécaniciens, d'intégrer ces nouvelles machines à l'armée de l'air ukrainienne."

"Il y a très peu d'armes qui créent un tournant. Sinon, vu le nombre de fois où ce terme est employé, ces guerres, ce serait un rond-point."

Léo Péria-Peigné, chercheur spécialiste des questions d’armement

à franceinfo

Moins sophistiqués que les Rafale, les F-35 américains ou encore les derniers Soukhoï Su-S7 de l'armée russe, le Mirage 2000-5 n'est pas le plus indiqué pour attaquer des cibles au sol. "Il est techniquement possible d'y monter des missiles Scalp [à longue portée], mais ce n'est pas là où ils sont les meilleurs, explique Yohann Michel. Dans l'armée française, on utiliserait d'autres avions pour ce genre de mission."

Le nombre d'avions livrés pourrait en outre être limité. "Ce qui est déterminant, c'est le nombre d'appareils livrés et s'ils le sont en même temps, rappelle le chercheur de l'IESD. L'arrivée de soixante avions d'un coup, ça n'a pas le même effet que des envois par paquets de cinq." Reste qu'avec leurs moyens limités, les forces ukrainiennes n'ont pas le luxe de bouder le Mirage 2000-5, qui "reste très capable" et "surclasse même dans plusieurs domaines" une partie des appareils russes, estime Yohann Michel, surtout si les pilotes "sont correctement formés". 

Une première étape avant la livraison d'avions Rafale ?

Face à l'Assemblée nationale vendredi, Volodymyr Zelensky a accompagné ses remerciements d'un appel à en "faire plus", adressé à l'ensemble des partenaires occidentaux de l'Ukraine. Pour Léo Péria-Peigné, "il lui faudrait surtout du matériel neuf, et peut-être arrêter de vendre ou de donner ce qui est dans les parcs de l'armée française". Après les Mirage, la livraison de Rafale plus récents est-elle envisageable ? Rien n'est moins sûr, selon le chercheur de l'Ifri, car cela impliquerait de relancer le moteur de l'industrie française de défense, actuellement grippé par un "financement [qui] reste assez limité", explique-t-il.

L'autre obstacle se situe dans les technologies de pointe qui équipent le Mirage ou le Rafale. "Ces appareils n'ont pas les mêmes caractéristiques, il n'y a pas non plus les mêmes secrets à l'intérieur", rappelle Yohann Michel. Modèles de radar, de missiles, systèmes de liaison... "Il y a des choses que l'on peut se permettre de donner, et d'autres pas forcément", recadre-t-il. Certaines armes aériennes que les Occidentaux n'ont pas choisi de livrer à l'Ukraine "sont capables d'intercepter des avions russes au-dessus de la Russie", explique le chercheur. De quoi "vraiment changer la donne, mais aussi accroître le risque d'escalade."

Sans citer les avions Mirage, le pouvoir russe a encore accusé la France, vendredi, de vouloir envenimer la situation en Ukraine. "Macron démontre son soutien absolu au régime de Kiev et se déclare prêt à une participation directe de la France au conflit militaire", a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, cité par le site The Moscow Times.

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