Guerre en Ukraine : trois questions sur la livraison de missiles à longue portée Scalp par la France
Il y voit un nouveau "message de soutien à l'Ukraine". Emmanuel Macron a annoncé, mardi 11 juillet, la livraison par la France de missiles de longue portée Scalp destinés à l'armée ukrainienne, "permettant des frappes dans la profondeur" des lignes russes. "Les premiers missiles ont été livrés en même temps que notre président l'annonçait", a précisé une source militaire française à l'AFP. Franceinfo décrypte les dessous de cette annonce, qui suscite des inquiétudes quant à l'utilisation de ces armes.
1Que sait-on de ces missiles ?
Ces missiles de croisière, appelés Scalp par l'armée française et Storm Shadow par l'armée britannique, sont développés conjointement par le Royaume-Uni et la France. Lancés par des avions depuis les airs, ils peuvent être tirés à plus grande distance que des bombes, ce qui permet un déclenchement depuis un espace aérien sûr. Difficilement détectables, ils ont une portée de plus de 250 km, soit plus que toutes les autres armes fournies à Kiev par les pays occidentaux. Ces missiles sont réputés pour leur grande précision et peuvent être utilisés contre des "objectifs durcis" de type bunkers et structures enterrées.
Habituellement tirés depuis des avions occidentaux tels que Rafale, Mirage, Eurofighter ou Tornado, les missiles Scalp peuvent être intégrés sur des avions d'ancienne génération de fabrication russe, comme ce sera le cas en Ukraine. La principale inconnue porte sur le nombre de munitions fournies par Paris. Les stocks de l'armée française sont estimés à quelques centaines, selon différentes sources, pour un prix unitaire de 850 000 euros, d'après l'Institut français des relations internationales. "Le nombre de missiles livrés est assez significatif, mais il préservera les stocks français très largement au-dessus des capacités dont on a besoin", a assuré à l'AFP une source militaire française.
2Quel effet ces livraisons peuvent-elles avoir sur le conflit ?
Difficile de parler de tournant, car le Royaume-Uni a déjà commencé, au printemps, à envoyer des missiles Storm Shadow à l'Ukraine. Les livraisons françaises viennent donc seulement renforcer les capacités ukrainiennes à atteindre des zones contrôlées par les forces russes dans l'Est. Dans cette guerre dont le front est resté globalement stable depuis l'hiver, les missiles à longue portée permettent d'atteindre des objectifs bien au-delà de la première ligne, là où l'artillerie – et notamment les canons Caesar français – ne suffit plus. "C'est essentiel aux forces ukrainiennes pour perturber la logistique ainsi que le commandement et le contrôle russes", explique Ivan Klyszcz, chercheur au Centre international pour la défense et la sécurité, en Estonie.
"Ce missile est réellement utile pour frapper une cible à très haute valeur ajoutée", défend sur franceinfo le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense nationale. "Il faut savoir que le front fait trois ou quatre kilomètres de large. Ce qui est important, c'est de pouvoir frapper ce qui est à l'arrière, par exemple un dépôt logistique qui sera à une centaine de kilomètres, des installations ou des sites militaires russes", estime l'expert.
"On donne les moyens aux Ukrainiens de pouvoir infliger des pertes conséquentes aux forces militaires russes pour obliger Moscou à ouvrir une discussion."
Jérôme Pellistrandi, généralà franceinfo
De son côté, la Russie clame que de telles livraisons "ne peuvent pas influer sur le cours des événements". "Elles ne peuvent qu'aggraver le sort du régime de Kiev", a déclaré, mardi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. "Cette décision est une erreur lourde de conséquences pour la partie ukrainienne, car, naturellement, cela va nous contraindre à prendre des contre-mesures", a-t-il promis, dans une rhétorique habituelle lors d'annonces de livraisons occidentales.
3Pourquoi ces livraisons sont-elles critiquées ?
Kiev réclamait ces missiles depuis longtemps, mais les Occidentaux ont beaucoup hésité. "Le refus occidental de fournir des missiles longue portée était fondé sur la crainte que l'Ukraine puisse frapper au-delà des territoires ukrainiens occupés, en Russie elle-même, faisant alors escalader le conflit de façon substantielle", rapportait le think tank américain Soufan Center, en mai, après l'annonce des livraisons britanniques. Avec ces missiles, le quartier général de la marine russe en mer Noire, installé à Sébastopol, en Crimée, est désormais à portée de feu des Ukrainiens, de même que plusieurs villes russes près de la frontière.
Ces réticences ont été relayées, mardi, à droite et à l'extrême droite de l'échiquier politique en France. "Livrer des missiles de longue portée me paraît participer à une escalade", a déclaré à franceinfo le président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, Olivier Marleix. Sur Twitter, le sénateur LR Alain Houpert y a vu un élément d'un "tournant dangereux pour le monde (…) sur la voie d'une guerre totale". "La France ne doit pas devenir un cobelligérant", a renchéri le député Rassemblement national Laurent Jacobelli.
"Ces cessions augmentent le risque de nous retrouver embarqués dans un conflit ouvert."
Laurent Jacobelli, député RN de Moselledans un communiqué
Tandis que les Etats-Unis continuent de refuser la demande ukrainienne de missiles tactiques ATACMS de longue portée, Emmanuel Macron affirme que ces livraisons doivent seulement "permettre à l'Ukraine de défendre son territoire", excluant ainsi implicitement toute utilisation pour frapper la Russie. L'Ukraine a apporté pour ces missiles, comme pour les autres armes occidentales livrées, des "garanties d'utilisation à l'intérieur de ses frontières internationalement reconnues", selon une source militaire française citée par l'AFP.
"Les Ukrainiens savent qu'ils doivent respecter ces lignes rouges", avance le général Jérôme Pellistrandi. "On voit que chaque fois qu'il se passe quelque chose en Russie, ce ne sont jamais des armes occidentales qui sont utilisées. Ce sont des drones ukrainiens, de fabrication ukrainienne. Cela fait partie de cette relation de confiance [avec les Occidentaux]."
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