Guerre en Ukraine : après avoir coupé le micro d'Echo de Moscou, le Kremlin veut s'approprier la radio indépendante, "symbole de la presse libre"
C'est une illustration de la façon dont le Kremlin termine d'achever la presse indépendante en Russie. La très emblématique radio "Ekho Moskvy" - Echo de Moscou, en français - créée aux débuts des années 1990, pourrait devenir une coquille vide, à la solde de l'État.
Sa rédaction, composée d'une centaine de journalistes, a été dissoute au lendemain du lancement de la guerre en Ukraine, il y a un an et demi. Mais le Kremlin a décidé d'aller plus loin. Moscou souhaite désormais, en août 2023, s'approprier la marque Echo de Moscou, via la chaîne de télévision Russia Today. Ce qui permettrait, selon le rédacteur en chef de la station, de réécrire l'histoire en jetant aux oubliettes plus de 30 années de travail.
Deux heures seulement après avoir annoncé le début de l'invasion en Ukraine sur son antenne, Alexei Venediktov est contacté par le porte-parole du gouvernement russe. "Tu es foutu", l'aurait-il menacé le 24 février 2022. C'est le genre d'appel téléphonique qui glacerait le sang de n'importe quel rédacteur en chef. Le ton est donné : les rédactions qui s'aventureront, à l'image de la radio Echo de Moscou, à médiatiser la guerre sans relecture du Kremlin, seront punies.
"Une petite radio face à une grande machine de propagande"
Pour Alexei Venediktov, perdre l'Echo de Moscou ne reviendrait pas seulement à perdre un travail. Si le Kremlin prend les manettes de sa radio, ses deux procès en cours - contre le procureur général russe et contre Evgueni Prigojine - s'arrêteront net. Et c'est justement le but visé par le Kremlin, selon le rédacteur en chef.
"Si on reprend la marque 'Echo de Moscou' - Le symbole de la presse libre, indépendante, très critique envers les forces politiques, de Poutine à Navalny - pour en faire une autre radio propagandiste et d'État, c'est pour la discréditer, puis la faire oublier."
Alexei Venediktov, rédacteur en chef de la radio Écho de Moscouà franceinfo
Echo de Moscou est en effet l'un des rares médias russes s'étant autorisé, depuis la chute du communisme, à écrire l'histoire du pays sans l'aval du Kremlin. "Celle des putschs, de la guerre avec la Tchétchénie, de celle avec la Géorgie", énumère le journaliste, qui se savait écouté au plus haut niveau de l'État. "Ce n'est pas contre la population que l'on a fermé Écho de Moscou : nous ne sommes qu'une petite radio face à une grande machine de propagande, reprend Alexei Venediktov. C'est parce que tous les ministres, tous les gouverneurs, tous les députés nous écoutaient : c'était à la mode."
Une chaîne YouTube très populaire
Pour l'heure, Echo de Moscou n'émet donc plus. La quasi-totalité des journalistes de la rédaction a déserté Moscou pour Berlin, où ils tentent de sauver le média à distance du peuple dont ils sont l'écho. À 67 ans, Alexei Venediktov, lui, est resté sur place, à Moscou. À ses équipes et aux autres journalistes internationaux souhaitant relayer son histoire, il promet de ne jamais rendre les armes.
Le Kremlin aura beau réécrire l'histoire des nouveaux manuels d'histoire russes ou menacer de museler sa radio, le rédacteur en chef se réinvente. Sa chaîne YouTube, créée dans la foulée de la dissolution de la rédaction, compte désormais près d'un million d'abonnés.
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