Guerre en Ukraine : ce que l'on sait du nouveau missile expérimental tiré par la Russie, que Vladimir Poutine dit vouloir produire en série

Vendredi, le président russe a affirmé que ce projectile, baptisé Orechnik, était sans égal dans l'arsenal de ses rivaux. Les renseignements ukrainiens soupçonnent qu'il puisse porter simultanément plusieurs charges nucléaires.
Article rédigé par Chloé Ferreux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le ciel de la ville de Dnipro (Ukraine) lors du tir d'un missile russe expérimental, le 21 novembre 2024, sur une capture d'écran d'une vidéo diffusée par l'ONG ukrainienne Come Back Alive. (AFP PHOTO / COME BACK ALIVE)

Une arme de plus dans l'arsenal de la Russie. Vladimir Poutine a revendiqué, jeudi 21 novembre, le tir d'un "nouveau missile de moyenne portée" contre une usine d'armement ukrainienne. Un modèle inconnu jusque-là, qualifié d'"expérimental", mais dont il a demandé vendredi de lancer la "production en série". Cet essai est présenté par Moscou comme une réponse au tir par l'Ukraine de missiles occidentaux à longue portée contre le territoire russe, tout juste autorisé par les Etats-Unis. Si le flou demeure sur certaines de ses caractéristiques et sur sa portée exacte, ce nouveau modèle pourrait transporter plusieurs ogives nucléaires et non une seule, estiment les renseignements ukrainiens. Franceinfo vous résume ce que l'on sait de ce missile expérimental.

Un missile sans doute développé à partir d'anciens modèles

Le président russe a baptisé ce missile Orechnik (noisetier en russe) et l'a décrit, jeudi, comme un "missile balistique à portée intermédiaire", utilisé "dans sa configuration hypersonique non nucléaire". Il n'est pas pour autant si nouveau, a affirmé une porte-parole du ministère de la Défense américain, Sabrina Singh, selon laquelle il est "basé sur le modèle russe de missile balistique intercontinental RS-26 Rubezh", dont le développement avait été arrêté en 2018, selon l'agence d'Etat russe Tass.

Fabian Hoffmann, chercheur spécialiste des missiles et du nucléaire à l'université d'Oslo (Norvège), a appuyé cette hypothèse sur X : "Je serais étonné que la Russie ait conçu un tel missile sans se baser à 90% sur des modèles existants, ou en réutilisant des pièces du RS-26 ou d'un autre missile", écrit-il. "C'est la première fois que nous le voyons être employé sur le champ de bataille, c'est pourquoi nous le considérons comme expérimental", a ajouté Sabrina Singh.

Vendredi, Vladimir Poutine a ordonné de "débuter une production en série" de ce nouveau missile et a affirmé que l'armée russe poursuivrait les essais, lors d'une réunion avec des responsables militaires diffusée à la télévision. Il a assuré que la Russie avait une "réserve" de ces missiles, "prêts à l'emploi", et que "personne d'autre dans le monde" ne disposait pour l'instant de ce type d'armement.

Un projectile soupçonné de pouvoir transporter plusieurs charges nucléaires

Contrairement à d'autres projectiles russes déjà utilisés contre l'Ukraine tels que l'Iskander et le Kh-101, qui ne peuvent porter qu'une seule ogive nucléaire, ce dernier missile serait capable d'en porter plusieurs, a soutenu Tom Karako, directeur du projet de défense antimissile au Center for Strategic and International Studies à Washington, auprès du New York TimesUne particularité qui rendrait ces ogives presque impossibles à intercepter, explique le quotidien américain.

Le renseignement ukrainien, cité par l'AFP, estime que le missile tiré jeudi "était équipé de six ogives, chacune dotée de six sous-munitions", se fondant sur une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montrant six puissants flashs successifs tombant du ciel au moment de l'attaque.

Selon Vladimir Poutine, le missile Orechnik tiré jeudi peut atteindre la vitesse de Mach 10, dix fois celle du son, "soit 2,5 à 3 kilomètres par seconde" (environ 12 350 km/h). "Il n'existe aujourd'hui aucun moyen de contrer de telles armes", a-t-il estimé. D'après le renseignement ukrainien, il a même atteint "sur la partie finale de la trajectoire" une vitesse "supérieure à 11 Mach" (environ 13 600 km/h).

Une portée encore incertaine

Contrairement à de premières affirmations de l'armée de l'air ukrainienne, soutenant alors que la Russie avait tiré un missile balistique intercontinental de longue portée, le Pentagone a qualifié le projectile de "missile balistique à portée intermédiaire", comme l'a fait Vladimir Poutine.

La distance entre la région russe d'Astrakhan, d'où le missile a été tiré jeudi selon Kiev, et l'usine de fabrication de satellites qu'il a touchée à Dnipro, dans le centre de l'Ukraine, est d'environ 1 000 km. Les missiles à portée intermédiaire ont une portée allant de 3 000 à 5 500 km, tandis qu'un projectile intercontinental peut aller au-delà de cette limite. Un missile à portée intermédiaire, selon le point du territoire russe d'où il est tiré, pourrait théoriquement atteindre la quasi-totalité de l'Europe et des cibles sur la côté ouest des Etats-Unis, relève Pavel Podvig, chercheur à l'Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement à Genève, dans un entretien au média russe Ostorozhno Novosti.

Une réponse aux tirs autorisés par les Etats-Unis contre la Russie

Ce tir s'inscrit dans une période de tensions depuis le 17 novembre, date à laquelle les Etats-Unis ont autorisé l'Ukraine à utiliser des missiles longue portée contre le territoire russe. L'armée ukrainienne a déjà procédé à des tirs de missiles américains ATACMS et britanniques Storm Shadow sur des cibles en Russie. Moscou avait promis une "réponse appropriée".

Dans son discours télévisé, jeudi, Vladimir Poutine a présenté le lancement de l'Oreshnik comme une réplique à deux tirs ukrainiens. "Le conflit régional en Ukraine, précédemment provoqué par l'Occident, a acquis des caractéristiques mondiales", a-t-il soutenu, affirmant qu'il n'excluait pas de frapper les pays dont les armes sont utilisées par l'Ukraine en Russie.

Vladimir Poutine a également annoncé que la Russie travaillait au développement de missiles nucléaires à courte et moyenne portée pour contrer les projets américains de produire et de déployer des missiles similaires en Europe et en Asie. "Je considère que les États-Unis ont commis une erreur en rompant unilatéralement le traité sur l'élimination des missiles à portée intermédiaire et courte en 2019, sous un prétexte farfelu", a-t-il déclaré. Les États-Unis s'étaient retirés de cet accord en 2019, sous le premier mandat de Donald Trump, accusant la Russie de ne pas le respecter.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a dénoncé sur X, jeudi, une "preuve supplémentaire que la Russie ne veut définitivement pas de paix", insistant sur le fait que Vladimir Poutine est le seul responsable de ce conflit qui dure depuis plus de mille jours. Vendredi, il a demandé de nouveaux systèmes de défense antiaérienne à ses alliés, "le genre de systèmes qui peuvent protéger des vies face à de nouveaux risques".

Des conséquences incertaines sur la suite du conflit

Ciblant probablement l'usine Pivdenmash, un site historique de production de missiles datant de la Guerre froide, le missile tiré par la Russie n'a fait que deux blessés et des dégâts mineurs, selon les autorités ukrainiennes. 

Pour Héloïse Fayet, experte de la dissuasion nucléaire à l'Institut français des relations internationales, l'usage de ce projectile "ne changera pas la donne de façon significative sur le plan opérationnel. Ils n'en ont à l'évidence que très peu et ils coûtent cher" a affirmé la chercheuse auprès de l'AFP. Cette analyse rejoint celle du Conseil national de sécurité des Etats-Unis, selon la BBC, qui estime que ces armes ne bouleverseront pas le cours du conflit.

Toutefois, Timothy Wright, de l'International Institute for Strategic Studies, souligne auprès du Guardian que ce développement pourrait influencer les stratégies des pays de l'Otan, notamment en matière d'acquisition de systèmes de défense aérienne et d'armement offensif.

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