Guerre en Ukraine : ce que change l'autorisation américaine d'utiliser ses missiles à longue portée pour frapper le sol russe
Voilà des mois qu'ils la réclamaient. Les Ukrainiens ont obtenu des Etats-Unis l'autorisation de frapper le territoire russe avec des missiles à longue portée fournis par Washington. Si la Maison Blanche ne l'a pas encore confirmé officiellement, ce feu vert constitue de fait une évolution majeure dans la politique américaine. Ces missiles ATACMS, d'une portée de 300 km, vont permettre à Kiev d'atteindre à distance des sites logistiques de l'armée russe. Franceinfo vous explique ce que pourrait changer cette décision stratégique décidée par Joe Biden, à quelques semaines du retour au pouvoir de Donald Trump.
Une aide qui va permettre d'élargir le champ de tir ukrainien
Jusque-là, Kiev pouvait utiliser les missiles à longue portée uniquement contre des cibles russes sur le territoire officiel ukrainien (en Crimée occupée, par exemple, avec plusieurs tirs de Storm Shadow britanniques) ou sur des batteries d'artillerie situées de l'autre côté de la frontière. Désormais, l'armée ukrainienne pourra donc attaquer, plus fort, des nœuds logistiques, des aérodromes d'où partent les bombardiers russes, et d'autres cibles d'intérêt militaire. "Les Ukrainiens réclamaient la possibilité, pour contrer les attaques russes, de pouvoir frapper sur le territoire russe les bases d'où sont envoyés les missiles qui ont dévasté une partie de leurs infrastructures", précise à franceinfo le lieutenant-colonel Guillaume Ancel.
Ces missiles ATACMS, pour "Army Tactical Missile System", devraient dans un premier temps être utilisés pour repousser la contre-attaque de Moscou dans la région frontalière russe de Koursk. Quelque 50 000 soldats, dont 10 000 Nord-Coréens, y sont actuellement déployés, selon le New York Times, qui cite des responsables américains s'exprimant sous couvert de l'anonymat. "Tirés depuis des avions de combats ukrainiens, les Sukhoï SU-24, ces missiles ont l'avantage de mieux résister que d’autres au brouillage", rappelle L'Express.
Fin août, l'Institut pour l'étude de la guerre (ISW), un centre de recherche basé aux Etats-Unis, avait publié une carte de près de 250 installations militaires russes à la portée des missiles livrés par les Occidentaux. Bases aériennes, équipements de communication, régiments, dépôts pétroliers... Nous avons représenté ces 245 points stratégiques sur la carte ci-dessous, ainsi que la zone concernée par la portée maximale des missiles ukrainiens.
Une aide qui arrive à un moment crucial
Ce "go" des Etats-Unis arrive au moment où les troupes ukrainiennes sont en difficulté sur le front. De plus, l'Ukraine a encore été la cible de frappes russes massives sur son sol le week-end du 16-17 novembre. Bilan : au moins 10 morts et une vingtaine de blessés à travers le pays, selon les autorités. Déjà très fragile, le réseau énergétique ukrainien a été particulièrement mis à mal, au point de contraindre le gestionnaire du réseau électrique, Ukrenergo, à mettre en place des "mesures de restriction" de consommation sur tout son territoire lundi.
Ce changement de pied de l'administration américaine intervient également quelques semaines avant le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Pendant sa campagne présidentielle, le républicain s'est montré peu avare de critiques contre les dizaines de milliards de dollars débloqués par Washington pour l'Ukraine depuis le début de l'invasion russe. Le président élu a régulièrement affirmé pouvoir mettre fin à la guerre "en un jour", avant même d'entrer en fonctions le 20 janvier prochain, sans jamais expliquer comment.
La Maison Blanche est donc engagée "dans une course contre la montre", résume Le Monde. Elle doit "faire parvenir à l'Ukraine plus de 7 milliards de dollars [6,6 milliards d’euros] d'équipements et de munitions déjà débloqués, pour ne laisser aucun fonds intact avant l’investiture de Donald Trump".
Une aide qui implique encore un peu plus les pays occidentaux
Washington se refusait jusque-là à donner son feu vert, de peur d'une escalade avec Moscou. Le retour prochain de Donald Trump au pouvoir a rebattu les cartes. Le recours aux missiles longue portée revêt aussi une forte dimension symbolique, car "c'était l'une des dernières lignes rouges qui avaient été fixées par la Maison Blanche", explique à franceinfo l'analyste géopolitique Ulrich Bounat.
Le Kremlin n'a pas tardé à réagir. Son porte-parole Dmitri Peskov accuse les Etats-Unis de "jeter de l'huile sur le feu". Cette autorisation conduit à "une situation fondamentalement nouvelle en termes d'implication des Etats-Unis dans ce conflit", a-t-il mis en garde.
Mi-septembre, Vladimir Poutine avait déjà prévenu : "Si cette décision est prise, cela ne signifiera rien de moins qu'une implication directe des pays de l'Otan dans la guerre en Ukraine. Cela changera la nature même du conflit. Cela signifiera que les pays de l'Otan sont en guerre contre la Russie."
"Au niveau rhétorique, les Russes vont probablement faire des déclarations tonitruantes, accuser l'Otan d'être belligérante une nouvelle fois. Mais il faut toujours faire une différence entre le déclaratoire et le terrain", tempère Ulrich Bounat.
Une aide qui ne devrait pas permettre de renverser le rapport de force
Cette levée des restrictions d'usage des missiles figurait dans le "plan de victoire" en cinq axes présenté en octobre par Volodymyr Zelensky. Ce feu vert ne devrait, toutefois, pas changer à lui seul le cours de la guerre. "La livraison de chars allemands Leopard n'avait pas permis aux Ukrainiens d'effectuer une véritable percée, resitue L'Express. Si les lance-roquettes multiples américains Himars ont fait des ravages, fin 2022, dans les dépôts et centres de commandement des Russes, ceux-ci ont su s'adapter en repoussant leurs centres logistiques au-delà de leur portée."
Surtout, ce feu vert arrive peut-être un peu trop tard. L'armée russe semble avoir déjà (en partie) anticipé la levée de cette restriction. "On a vu qu'une partie des bases aériennes russes situées à portée de ces missiles ont été vidées de leurs principaux bombardiers stratégiques qui ont été déplacés plus loin", recadre le géopolitologue Ulrich Bounat.
Certains responsables politiques à Kiev ont aussi des doutes sur l'efficacité de ces missiles, à l'image de la députée Maria Ionova, qui siège à la commission des affaires étrangères du Parlement ukrainien. "Nous apprécions" ce feu vert, dit-elle, "mais cela n'apportera pas la victoire", a-t-elle déclaré, selon The Guardian. Avant d'ajouter : "Les missiles ne sont pas la solution miracle contre nos ennemis communs, et c'est pourquoi nous demandons à tous nos amis de changer de stratégie, car nos ennemis sont unis et nous devons également rester unis."
Volodymyr Zelensky lui-même attend de voir. "Aujourd'hui, de nombreux médias rapportent que nous avons reçu l'autorisation de prendre des mesures appropriées. Mais les frappes ne se conduisent pas à l’aide de mots. Les choses comme cela ne s’annoncent pas. Les missiles parleront d'eux-mêmes", a-t-il prévenu dans son point quotidien publié sur Telegram, dimanche soir.
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