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Guerre en Ukraine : le viol, "une volonté d'humilier", dénonce la fondatrice de We Are NOT Weapons Of War

"C'est une arme qui est de plus en plus utilisée" lors des conflits, alerte l'ONG qui demande une étude internationale pour en quantifier le recours.

Article rédigé par franceinfo
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Une manifestante s'est baillonnée pour protester contre la guerre en Ukraine, devant le Conseil européen à Bruxelles, le 6 avril 2022. (JONAS ROOSENS / MAXPPP)

"Le viol est une arme d'humiliation et de terreur", explique la juriste et enquêtrice criminelle internationale Céline Bardet mercredi 6 avril sur franceinfo, au sujet des cas de viols recensés pendant la guerre en Ukraine. La fondatrice de l'ONG We Are NOT Weapons Of War, qui lutte contre les violences sexuelles dans les conflits, demande une étude internationale pour quantifier l'utilisation du viol comme arme de guerre.

>> Guerre en Ukraine : les associations recueillent de plus en plus de témoignages accusant les Russes de viols

franceinfo : Le viol est-il une arme de plus en plus utilisée pendant les guerres ?

Céline Bardet  : Ce qu'on voit depuis de nombreuses années, c'est qu'aucun conflit n'y échappe. Je ne suis pas du tout étonnée de ce qui se passe en Ukraine, d'autant plus que là, on est dans un crime d'agression, dans une volonté d'humilier cette population. Les Russes ont des difficultés donc ce sentiment de vouloir humilier, à mon avis, doit être encore plus fort. Le viol est une arme d'humiliation et de terreur. C'est dans ce cadre-là qu'elle est utilisée. Mais comme dans beaucoup de conflits, bien évidemment.

"Il y a eu une sorte de tournant assez important dans les années 1990. Par exemple, dans le conflit des Balkans. En Bosnie-Herzégovine, il y a eu des camps de viols." 

Céline Bardet, juriste et enquêtrice criminelle internationale

à franceinfo

C'était du jamais vu - d'ailleurs, je ne l'ai jamais vu ailleurs. On parquait les femmes pour les violer, avec un objectif de purification ethnique, pour "purifier" les femmes musulmanes. Il y a des viols au Rwanda et en Syrie plus récemment. On a documenté énormément de viols dans tous les conflits. C'est une arme qui est de plus en plus utilisée. On n'a pas d'étude mondiale, c'est un peu le problème. Nous, on voudrait conduire cette étude mais on n'a pas les moyens. Nous, on déploie un outil digital sécurisé qui s'appelle Backup [https://www.notaweaponofwar.org] parce que l'un des problèmes, c'est qu'il y a plein de zones en Ukraine qui ne sont pas libérées, où des gens sont captifs ou on ne peut pas aller, donc il faut donner des moyens aux victimes pour pouvoir se signaler et alerter.

Craignez-vous que ce soit un phénomène de masse dans ce conflit en Ukraine ?

Il faut toujours faire attention avec les termes de "phénomène de masse" parce qu'on n'en sait rien. C'est aussi toute la spécificité de ce qui se passe en ce moment en Ukraine, parce que c'est un conflit qui a commencé il y a une trentaine de jours. On est en plein conflit. Donc pour l'instant, il y a un travail de documentation qui est fait par des organisations, par des ONG, et il faut que ce travail soit fait de manière professionnelle. Donc on ne pourra savoir si c'est un phénomène de masse, malheureusement, que dans un certain temps. On ne peut pas le dire aujourd'hui.

Ces viols sont-ils effectués sur ordre de la Russie ou est-ce que ce sont les soldats qui décident tout seuls ?

C'est une très bonne question parce que, dans les contextes de conflit comme dans les contextes de crise, il y a toujours des violences sexuelles et toute violence sexuelle n'est pas forcément un crime international.

"En Ukraine, on a un conflit armé international donc tout crime à l'encontre d'un civil, d'un non-combattant peut être qualifié de crime de guerre."

Céline Bardet

à franceinfo

Après, la question va être de savoir qui viole. Pour moi, c'est la question essentielle. Et il faut savoir si c'est ordonné. On sait déjà ce qui s'est passé au Donbass et à Maïdan en Ukraine en 2014 et 2015. On sait aussi que sur le territoire de l'Ukraine, il y a les milices tchétchènes et les milices Wagner, qui sont des indicateurs. On sait qu'elles commettent ce genre d'atrocités ailleurs, notamment en République centrafricaine et au Mali. On sait que ce sont des "pratiques" utilisées par ces unités qui répondent aussi en termes hiérarchiques aux forces russes.

On sait la difficulté qu'il y a pour les victimes de dénoncer les viols qu'elles ont subis. Pensez-vous que les victimes ukrainiennes de viol pendant cette guerre réussiront à en parler ?

Déjà, en tant de paix, il y a une stigmatisation et une honte à dire qu'on a été violée. En cas de conflit, c'est d'autant plus compliqué, d'une part parce que ce sont des viols avec extrême violence. J'ai lu des rapports sur des femmes violées à qui on a cassé les dents. C'est très symbolique, parce que c'est comme fermer leur bouche. Ce sont des viols avec extrême violence. Il faut être conscient de ça. Et puis, il y a le contexte dans lequel elles sont, certaines sont encore captives. On parle beaucoup de violences sexuelles dans les conflits aujourd'hui, et c'est tant mieux parce que ça permet de prendre conscience. Pour l'Ukraine, je suis assez certaine que les victimes vont beaucoup plus parler parce qu'elles sont beaucoup plus sensibilisées. Maintenant, il faut une étude mondiale pour comprendre le modus operandi, comment ça s'opère, où, de quelle manière, etc. Et il faut travailler à la prévention. Cela passe par le plaidoyer, par la prise en charge et par évidemment la non-impunité, c'est-à-dire le jugement, la condamnation des personnes qui font ça et des personnes qui ordonnent parce qu'il y a une responsabilité de commandement.

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