Guerre en Ukraine : "Les victimes de violences sexuelles qui ont osé parler, c'est la partie émergée de l'iceberg"
Selon les chiffres du parquet général d’Ukraine, depuis le début de l’invasion russe, 208 victimes de violences sexuelles liées à la guerre ont été identifiées et ce sont, pour l’immense majorité, des femmes. Depuis le début de cette guerre en février 2022, les morts se comptent par dizaines de millers, Ukrainiens et Russes, militaires et civils et chaque pays communique a minima sur ses pertes. Il y a beaucoup de non-dits dans cette guerre, à commencer donc, par le nombre de femmes qui sont victimes de violences sexuelles causées par le conflit et l’occupation russe.
Peu de victimes osent encore en parler, elles doivent affronter seules leur propre traumatisme au cœur d’un pays lui-même traumatisé. "Ces victimes qui ont osé parler, déposer plainte, c’est la partie émergée de l’iceberg, explique Inna Mikhailova, une psychologue qui travaille pour une plateforme d’écoute et de soutien à ces femmes, à Kiev. Les femmes qui s’adressent à nous ne se sentent pas suffisamment protégées pour aller voir la police. Je pense que le nombre de plaignantes va augmenter quand notre pays aura été complètement libéré des occupants et que les femmes se sentiront enfin en sécurité à l’intérieur de nos frontières."
En attendant, selon Inna Mikhailova, "les principaux obstacles, ce sont la honte et le sentiment de culpabilté", et ces questions auxquelles aucune victime n’échappe : "Pourquoi c’est arrivé, et pourquoi ça m’est arrivé à moi ?"
"Il est essentiel de faire comprendre à ces femmes que ce ne sont pas elles qui sont coupables mais que le viol est une arme de guerre"
Inna Mikhailova, psychologue à Kievà franceinfo
C'est "un crime commis avant tout contre leur pays et pas contre elles individuellement", souligne-t-elle. Halyna Skipalska, la directrice de la fondation pour laquelle travaille Inna, insiste sur le lien entre ces violences sexuelles et les situations d’occupation qui se poursuivent dans le sud et l’est de l’Ukraine. "Ce qui se passe là-bas est pire que tout, assure Halyna Skipalska. Ça se passe sur les check-points, mais aussi dans les villes : les femmes sont forcées à avoir des relations sexuelles en échange de nourriture, ou juste pour avoir la vie sauve. Tout ça, ce sont des choses qui restent très stigmatisantes pour leurs victimes dans la société, dans leur famille, et c’est pour ça qu’elles n’arrivent pas à en parler".
Les victimes ne donnent ni leur nom, ni le lieu où elles se trouvent
La Fondation ukrainienne pour la santé publique accompagne pour le moment 90 femmes, dont très peu sont prêtes à témoigner, et ne donnent aux psychologues ni leur nom ni l’endroit où elles se trouvent. "Beaucoup de femmes jusqu’à aujourd’hui n’arrivent pas à assurer leurs besoins élémentaires. Alors comment est-ce qu’elles pourraient s’occuper de leur santé mentale, se demander comment elles peuvent punir leur violeur, témoigner ou non ?", s'interroge sa directrice.
Halyna Skipalska rappelle qu’en Bosnie-Herzégovine par exemple, il a fallu cinq ou dix ans pour que les femmes se sentent suffisamment en sécurité pour témoigner, sans risquer de se retrouver mises au ban de la société.
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