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Reportage A Paris, les réfugiés ukrainiens s'arment de patience en attendant une aide précieuse et un brin de stabilité

Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une famille est en entretien avec des membres de l'ONG France Terre d'asile dans le "hub" du parc des expositions, à Paris, le 18 mars 2022. (ELOISE BARTOLI / FRANCEINFO)

Pour organiser l'arrivée des réfugiés ukrainiens en France, un "hub" a été installé dans l'un des halls du parc des expositions de la porte de Versailles. L'immense bâtiment devrait également permettre d'héberger environ 500 personnes. Franceinfo s'est rendu sur place.

Une épaisse couverture grise entoure Nina Senyk, toute de noir vêtue. La quadragénaire patiente depuis trois heures à la porte de Versailles, dans le 15e arrondissement de Paris, par 4 °C, en compagnie de sa sœur. Depuis jeudi 17 mars, le parc des expositions a réservé l'un de ses halls à l'accueil des réfugiés ukrainiens poussés à l'exil par l'invasion russe.

Les enfants de Nina, eux, sont restés au chaud. "Il faut leur éviter de tomber malades", explique sa sœur Svitlana, installée en France depuis plusieurs années. La jeune femme l'accompagne dans les démarches afin d'obtenir le statut européen de protection temporaire qui lui ouvrira l'accès aux soins, à l'allocation pour demandeur d'asile et à l'exercice d'une activité professionnelle.

Dès 8h30, de nombreux Ukrainiens patientent devant le hall 2 du parc des expositions de la porte de Versailles, à Paris, le 18 mars 2022. (ELOISE BARTOLI / FRANCEINFO)

"Elle ne dort pas bien, elle n'a pas le moral", souffle Svitlana, qui héberge sa sœur et ses neveux de 17 et 13 ans depuis une semaine. "Elle est fatiguée de tout ça, juste fatiguée." A 9 heures, les portes du "hub" du parc des expositions commencent à s'ouvrir. Nina, qui se trouve au début de la file d'attente, va pouvoir passer aujourd'hui devant les services de la préfecture de Paris. Ce n'est pas le cas de tout le monde.

"Ça fait quatre jours qu'on se représente"

Les capacités du nouveau point d'accueil sont limitées et la file d'attente trop longue. Anna Strebkova, 19 ans, et Katya Stepanova, 20 ans, ne pourront pas rentrer. Elles se voient remettre une convocation les invitant à revenir à une date ultérieure. "C'est le quatrième jour que l'on se représente à un point d'accueil. Parfois, on est sous la pluie durant des heures... Il fait froid", raconte la cadette. La jeune fille aux cheveux impeccablement lissés était étudiante en microbiologie à Kharkiv, avant que la guerre n'éclate. "Je ne voulais pas partir sans ma famille, mais mes proches m'ont demandé de me mettre à l'abri." C'est sur la route de l'exil qu'Anna a croisé le chemin de Katya. Un coup de foudre amical. Depuis, les étudiantes ne se quittent plus et aimeraient se voir attribuer un logement ensemble. "On est comme des âmes-sœurs", souligne Anna.

Katya et Anna à Paris, le 18 mars 2022. Elles se sont rencontrées sur la route de l'exil. Devenues amies, elles espèrent pouvoir être hébergées ensemble en France.  (ELOISE BARTOLI / FRANCEINFO)

Cette sororité retrouvée dans la guerre, c'est ce qui manque à Yuliia Zhaha, 25 ans, qui ne connaît à Paris que son petit ami. "Il me soutient beaucoup dans cette épreuve, assure-t-elle. Mais voilà, maintenant, je suis coincée ici, je ne peux plus rentrer en Ukraine." Il y a bien les amis de son copain, mais la barrière de la langue se fait vite sentir dans les échanges.

La jeune Ukrainienne se considère tout de même "privilégiée". En résidant en France depuis le mois de janvier, Yuliia n'a pas entendu les bombardements, ni assisté à des scènes de guerre. Avant l'invasion de l'armée russe, la jeune femme travaillait pour l'organisation citoyenne VoxUkraine, dans l'espoir de combattre la désinformation. Alors, depuis le 24 février, devant son ordinateur, pendant que son conjoint est au travail, Yuliia tente de vérifier les informations qui circulent sur le conflit. "C'est comme une habitude pour moi. Et puis, j'ai besoin de m'occuper l'esprit." Elle reconnaît que l'exercice n'est pas idéal pour sa santé mentale. "Mais je fais des pauses. Parfois, je vais à la boulangerie acheter une tarte au citron, et ça va mieux."

Comme la centaine d'autres Ukrainiens qui attendent porte de Versailles, elle a besoin de régulariser sa situation avec l'administration. Présente sur le territoire depuis trois mois, elle ne peut plus rentrer chez elle à cause de la guerre et espère obtenir, elle aussi, le statut européen de protection temporaire.

"Certains enfants sont stressés"

Cet arbitrage est réalisé par la préfecture, qui occupe un quart du "hub" parisien. L'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) y délivre aussi la carte ADA, permettant d'accéder aux allocations destinées aux demandeurs d'asile. Le reste du bâtiment est géré par l'ONG France Terre d'asile et par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), avec le travail conjoint de plusieurs associations, institutions et de la Ville de Paris.

Dans cet immense espace cloisonné par des parois amovibles, les réfugiés sont accueillis avec une collation sucrée et des boissons chaudes. Des entretiens sont organisés par la vingtaine de salariés de France Terre d'asile, en compagnie d'une dizaine de traducteurs bénévoles, pour attribuer des solutions de logement. Le "hub" propose aussi d'héberger sur place environ 500 personnes sur des lits de camp, mais seules quelques dizaines de places ont été pourvues dans la nuit de jeudi à vendredi.

Dans un coin du "hub", des dessins colorés s'affichent sur les murs. "Ce sont juste ceux accumulés depuis hier", s'émerveille Aurélie, 39 ans. Animatrice pour la mairie de Paris, elle s'est portée volontaire pour s'occuper des plus jeunes pendant que leurs familles tentent de trouver une solution à leur situation précaire. "Certains enfants sont stressés, reconnaît-elle. Hier, l'un d'eux, assis sur une chaise, pleurait. Il devait avoir 12-13 ans. Les plus grands ont vu des choses, ils comprennent ce qu'il se passe."

Les dessins d'enfants ukrainiens s'affichent sur les murs du "hub" de la porte de Versailles, le 18 mars 2022. (ELOISE BARTOLI / FRANCEINFO)

L'explosion de trop

A côté d'eux, les réfugiés attendent les affectations. France Terre d'asile, qui travaille avec les préfectures, propose six destinations, partout dans l'Hexagone. Essentiellement des hôtels. Marisa, professeure de français en Ukraine, aurait aimé se rapprocher de Toulouse, où sa fille aînée réside depuis le 21 février. "Elle savait que la guerre arrivait et ne voulait pas rester plus longtemps", explique la quinquagénaire. Mais il n'est pas possible de choisir.

Sophie (19 ans) et Anastasie (16 ans) attendent une affectation de logement dans le hall du parc des expositions de la porte de Versailles, le 18 mars 2022. (ELOISE BARTOLI / FRANCEINFO)

Après "la nuit de trop", Marisa a elle aussi décidé de prendre la route la semaine dernière, accompagnée de ses deux autres enfants : Anastasie, 16 ans, et Sophie, 19 ans. Alors que les deux sœurs se trouvaient dans le couloir de leur appartement situé au cœur de Kiev, un bombardement est survenu en pleine nuit. "Il y a eu une explosion, on a sursauté. La petite a hurlé. Elle m'a crié de venir me cacher dans le couloir, loin des vitres. Elle tremblait de partout", raconte Marisa.

"Avant l'explosion, Anastasie ne voulait pas quitter Kiev, mais ça, ça a été la nuit de trop. On s'est cachées dans un parking à côté de la maison parce qu'on n'avait pas de cave. Mais on ne peut pas passer toutes nos nuits dans un parking. Alors on est parties."

Marisa, réfugiée ukrainienne

à franceinfo

Il a fallu traverser l'Ukraine, la Pologne, puis l'Allemagne, avant d'arriver en France. "On n'a pas dormi pendant deux jours", raconte Sophie, qui tient la laisse de Nika, une petite chienne de 11 ans, sur les routes à cause de la guerre, elle aussi. La jeune fille attend avec impatience leur affectation de logement, pour pouvoir demander de l'aide médicale. Son diabète a aussi motivé leur départ. "A Kiev, il n'y avait plus d'insuline pour moi." A 11 heures, le verdict tombe : les trois femmes vont prendre un bus le jour même, direction la banlieue de Caen, en Normandie. "C'est super, vous verrez, il y a la plage", s'exclame l'une des bénévoles. Le trio ne répond pas. L'heure n'est pas vraiment à la bronzette.

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