Reportage "L’État s'en fout" : quand l'Ukraine n'arrive pas à prendre en charge ses soldats devenus handicapés après une blessure de guerre

En Ukraine, les combats au front s'éternisent depuis plus de deux ans, alors que des soldats continuent de rentrer chez eux, parfois avec des blessures pour la vie.
Article rédigé par Agathe Mahuet - Yashar Fazylov
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Oleksandr Popyk, blessé en 2022 à Bakhmout, et sa femme Katia. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

En Ukraine, on croise partout dans les rues du pays d’anciens soldats amputés, portant des prothèses, ou bien se déplaçant en fauteuil roulant. Mais le pays ne semble pas prêt à faire face à tant de personnes handicapées de guerre. En tout cas, pas d'après Oleksandr Popyk. Il a toujours ses deux jambes, mais elles ne répondent plus, depuis un an et demi.

Dans son fauteuil roulant, chez lui, il raconte son arrivée à Bakhmout, dès le début de la guerre. Blessé une première fois, il est hospitalisé pour trois mois, mais au bout de cinq jours, Oleksandr coupe lui-même son plâtre et retourne au front. En octobre 2022, en plein assaut, il est atteint par le tir d'un char.

La moto comme exutoire

"Ça m’a fait un trou de 17 centimètres dans la colonne vertébrale, la moelle épinière était touchée." Pris en charge à Dnipro, puis à Kiev, et jusqu’en Pologne, les médecins retirent une partie des éclats de son corps, mais le diagnostic est clair : "On m’a dit que je ne marcherai plus jamais."

Oleksandr se tord soudain de douleur, en silence. Il enfonce très fort sa main dans sa cuisse. La souffrance lui déforme le visage. "C’est normal, dit-il, c’est tout le temps comme ça. J’ai des spasmes, des crampes, en permanence. Tous les jours, depuis un an et demi. Je ne dors plus jamais correctement, ni la nuit, ni le jour, malgré les somnifères." Il prend plein de médicaments, mais ce qui l’aide vraiment, c’est la moto. "Je continue d’en faire, même dans cet état. Ma femme me scotche les jambes sur la moto, et c’est parti, je fonce."

"L’État a besoin de toi quand tu es au front, mais si tu en sors handicapé, plus personne ne s’occupe de toi."

Oleksandr Popyk

à franceinfo

Pour calmer ses souffrances, il lui faudrait un neuro-stimulateur, mais cela coûte 17 000 euros "et l’État s’en fout. Je dois trouver cette somme moi-même", se désole Oleksandr. Il bataille déjà pour toucher sa pension d’invalidité et réaménager sa maison, y installer une rampe d’accès, pour son fauteuil. La salle de bain a été refaite par son épouse et ses amis, qui ont supprimé le bac de douche, surélevé le lavabo. "On a payé tout ça de notre poche", explique Oleksandr.

Oleksandr Popyk dans sa salle de bain, refaite par sa femme et des amis pour s'adapter à son fauteuil. (AGATHE MAHUET)

Des soldats en fauteuil, comme lui, Oleksandr en connaît beaucoup. Pour lui, l’Ukraine n’est pas prête, face à ce défi-là. Mais si c’était à refaire, il y retournerait, assure-t-il, alors que sa femme, Katia, garantit qu'elle ne le laisserait pas repartir : "C’est assez comme ça. Il a déjà trop souffert." Oleksandr, pourtant, insiste, sa place est au front. "Mettez-moi des chenilles sur mon fauteuil, dit-il et je repars à l’assaut", promet-il.

Quand l'Ukraine n'arrive pas à prendre en charge ses soldats devenus handicapés. Reportage d'Agathe Mahuet

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