: Reportage "On a fait une croix sur la moitié du potager" : au nord de Kiev, les terres inondées pour éviter l'arrivée des Russes sont devenues incultivables
Des deux côtés de la route, il y a de l'eau, comme un lac. La carte sur l'écran GPS ne montre pourtant aucune étendue d'eau. Des poteaux électriques dépassent de la surface et rappellent qu'ici, avant la guerre, il y avait des terres, des champs, des animaux. Il y a bientôt deux ans, l'armée ukrainienne a inondé volontairement ces terres au nord de Kiev pour stopper l'arrivée des colonnes russes. Elle a dynamité les barrages pour protéger la capitale.
L'utilisation de la nature comme arme de guerre n'est pas nouvelle et est utilisée des deux côtés de cette guerre. Depuis le début de l'invasion russe, les destructions de l'environnement en Ukraine sont une "tragédie" d'une ampleur rare qui affectera "plusieurs générations" selon les Nations unies.
"Tout était inondé"
Demydiv est un petit village, quelques milliers de personnes. Autrefois, derrière la digue au bout du chemin aujourd'hui gelé, il y avait des champs. Les maisons dans ce village sont simples. Comme celle de ce vieil homme qui nous fait signe de le suivre, jusque dans sa cour. Il s'appelle Gricha. "Il y avait de l'eau partout, se souvient l'Ukrainien. Elle est arrivée peu à peu jusqu'à chez nous. Tout était inondé."
Dans la grange de Gricha, l'odeur prend à la gorge, malgré le froid. Sous la glace, on devine de la moisissure sur les carottes, les pommes de terre. La rupture du barrage a permis de protéger Kiev, mais pas Demydiv. Il faudra probablement plus de dix ans pour que des pompes parviennent à assécher le sol. L'eau qui affleure couvre de glace le sol des maisons.
Des conséquences environnementales incalculables
Le coût du préjudice environnemental de la guerre en Ukraine est phénoménal, près de 56 milliards de dollars. Près de 30% des zones forestières ukrainiennes et environ 20% des parcs naturels nationaux ont été affectés. Devant une autre maison de Demydiv, il y a Nina. Un foulard noué sous le menton, des dents en or, les mains rugueuses de celle qui travaille la terre. À cause des eaux stagnantes, Nina ne peut plus cultiver. "L'eau stagne au bout de notre potager. On souffre parce qu'on est des villageois, on travaille la terre. Avec quoi il survit, le village ? Avec ce qu'on fait pousser : des patates, des carottes, des choux, tout ça ! On a fait une croix sur la moitié du potager car il y a trop d'eau."
"On espérait cet hiver pouvoir stocker dans les caves ce qu’on avait récolté. Mais elles sont pleines d’eau. Les voilà, les conséquences !"
Nina, habitante de Demydivà franceinfo
Pour Sofia Sadogurska de l'ONG Eco action, les conséquences environnementales des guerres sont en fait incalculable : "Toutes les hostilités militaires, toutes les explosions ont un impact sur l'environnement, à cause des substances explosives, des métaux lourds et autres matériaux qui terminent dans le sol et dans l'eau. Et il y a des endroits où on ne pourra plus avoir d'activité agricole."
La catastrophe écologique est partout. La poursuite de la guerre à haute intensité interdit l'accès à de nombreuses zones. Et personne ne mesure encore l'immensité de ses conséquences. Des conséquences qui dureront des décennies, bien après la fin des dernières hostilités.
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