Reportage "Partir, ce serait montrer à la Russie qu'on a peur d'elle" : à Kharkiv, la jeunesse décide de rester malgré tout

Article rédigé par Agathe Mahuet, Jérémy Tuil - Yashar Fazylov
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Kharkiv, en avril 2024. (AGATHE MAHUET / RADIOFRANCE)
La deuxième ville d'Ukraine est bombardée en continu par la Russie, depuis un mois. Malgré la menace, la jeune génération fait le choix de rester.

À Kharkiv, deuxième ville d'Ukraine, le quotidien est rythmé par les coupures de courant et les alertes aux bombardements. La ville subit toujours la menace russe, en continu depuis un mois. La frontière est à moins de 30 kilomètres de cette grande ville, qui comptait un million et demi d’habitants avant l’invasion du pays en 2022. Mais la jeunesse ukrainienne est toujours là ! Souvent fière, et en quête de lumière.

Un grand parc, à la nuit tombée et comme partout dans le monde, en ce début de week-end, des enfants chahutent et se courent après. Mais ces petits Ukrainiens-là jouent dans l’obscurité. La seule lumière vient de la cabane à côté, qui vend du café à emporter, branchée sur générateur. Car on a ressorti, ici, les groupes électrogènes de l’hiver 2022.

"On essaie de mettre un peu de joie dans nos vies"

Taras a 24 ans, il est barman. Son générateur, il l’a rebranché dès le retour des frappes, il y a un mois : "À cause de ces bombardements, les nouveaux bars de Kharkiv s’ouvrent directement dans des sous-sols. Au moins, comme ça, on sait que ce sera sécurisé." Il y a du monde dans ces établissements souterrains et jusque sur les trottoirs. Ce soir, Taras profite avec ses amies Tanya et Marina. "Notre vie est ici ! Partir, ce serait montrer à la Russie qu’on a peur d’elle, assure Taras. Alors on essaie de se détendre même si c’est dans l'obscurité. Tous les jours, on cherche la lumière… On essaie de mettre un peu de joie dans nos vies."

Quand un nouveau bar ouvre à Kharkiv ces temps-ci, c'est en sous-sol qu'il s'installe. (AGATHE MAHUET / RADIOFRANCE)

Franceinfo a rencontré Ilya dans une boutique de vêtements de seconde main, vendus au poids : 350 rhyvnias le kilo, soit un peu plus de 8 euros. Comme tout le monde, quand la dernière alerte aux drones ou aux missiles a retenti, Ilya a fait ce que chacun fait ici : il l’a coupée et a poursuivi ses activités. "Franchement, je ne connais personne qui réagit encore aux alertes, raconte Ilya. Parce que c’est en permanence, ici ! Le plus souvent, on entend une explosion, et 10 ou 15 secondes après, l’alerte se déclenche. Donc c’est assez inutile…"

"Cette semaine, je n'ai quasiment pas pu travailler"

Il faut dire que la Russie est si proche que certains projectiles mettent moins d’une minute à atteindre Kharkiv. Ilya raconte qu’il y a peu de temps, un missile est tombé à moins d’un kilomètre de lui. Un vieux monsieur, à ses côtés, était en train de fumer : "Il y a eu cette explosion massive… C’était très fort ! Mais lui, il a juste tourné la tête, comme s’il ne s’était rien passé. Pour certains, c’est devenu la vie normale." Lui, enseigne l’anglais en ligne et avec les coupures d’électricité à Kharkiv, c’est très compliqué : "Cette semaine, je n’ai quasiment pas pu travailler. Le réseau mobile est très mauvais et ma box à la maison ne marche pas. La semaine dernière, on a été privés de courant pendant 16 heures par jour ! Donc oui, c’est très dur."

Embouteillage de chargeurs. Les jeunes travailleurs de Kharkiv comme les autres habitants sont parfois privés de courant 16 heures par jour; (AGATHE MAHUET / RADIOFRANCE)

Kharkiv, ville étudiante, et très active culturellement. Vlada et Glib, même pas 20 ans, sortent d’une exposition de tableaux. Elle est peintre, et lui cuisinier. Il porte une chemise bohème, une longue queue-de-cheval, et malgré les missiles ne voit aucune raison de s’en aller : "Si nous, on part, qui restera ici ? Nous, les jeunes, nous sommes l'avenir de Kharkiv ! Nous devons faire en sorte qu’elle se développe et fonctionne. Je suis né ici… J'aime cette ville."

Les skateurs passent et repassent sur la grande place. L’énergie de Kharkiv saute aux yeux et déboussole complètement Tolik. Dans son uniforme militaire, sac sur le dos, devant le concert de rue, le soldat en permission a l’air hagard : "Je ne sais pas… C’est comme un autre monde. C’est dur de passer de l’un à l’autre…" Tolik était au combat dans la zone d’Avdiivka, la ligne de front la plus disputée, à 200 kilomètres de là. "C’est sympa, de rester là debout, écouter la musique, observer les gens… Ça permet de se souvenir de ce qu’est la vie paisible et normale." Car là-bas, dit Tolik, sur le front, "c’est une autre musique."

"Kharkiv, rester malgré tout", le reportage d'Agathe Mahuet

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