Témoignage "Je ne parle à personne de cet argent" : en Ukraine, le regard pesant de la société sur les veuves des militaires tués au combat

Une partie de la société ukrainienne critique les compensations financières accordées aux femmes des soldats tués dans le conflit contre la Russie. Franceinfo a rencontré l'une de ces veuves.
Article rédigé par Vanessa Descouraux, Gilles Gallinaro - avec Yachar Fazylov
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Une femme marche seule dans une rue de la grande banlieue de Kiev, en février 2024. (SERGEI SUPINSKY / AFP)

C'était le 8 septembre 2023. Durant cette soirée-là, le mari d’Olena a été tué par un tir de mortier. Volodymir, un soldat ukrainien engagé dans la guerre contre la Russie, allait avoir 40 ans le mois suivant. Depuis le début de l’invasion russe, le 24 février 2022, plus de 70 000 militaires ukrainiens ont été tués au front selon les estimations américaines, alors que Kiev n’a jamais donné de chiffres officiels. Pour les veuves de ces soldats, au-delà du deuil, il leur faut affronter une partie de la société ukrainienne qui trouve que les compensations financières qu’elles reçoivent sont trop élevées. Franceinfo a rencontré l'une d'entre elles. 

Quelques heures avant la mort de Volodymir, le couple échangeait encore des messages. "Je lui ai écrit : 'pourquoi tu ne réponds pas ?' Il me répond : tout va bien. Je lui demande : 'tu es où ?' Je lui ai écrit : 'Je peux t’appeler une minute pour entendre ta voix ? Je n'ai pas eu le temps de te dire je t'aime.' Puis il m'écrit : 'Moi aussi je t'aime'", raconte Olena. Volodymir part ensuite au combat, puis c’est le silence. Le couple s'était marié au printemps dernier.

Olena et Volodymir se sont mariés au printemps dernier. Il est mort en septembre. (DR / RADIOFRANCE)

"J'ai vu son cadavre, sinon je ne le croirais toujours pas"

C'est le choc deux jours plus tard, quand un officier vient chez Olena pour lire mécaniquement un document officiel. Puis, il y a l’attente à la morgue, le corps devant elle et les obsèques de celui qui a partagé sa vie pendant neuf ans. "Je suis très reconnaissante envers l’unité, ils ont ramené son corps. Je lis des histoires de femmes qui n’ont pas pu enterrer leur mari. Moi, j’ai vu son cadavre, sinon je ne le croirais toujours pas", confie-t-elle.

"Rien ne me le ramènera."

Olena, une veuve ukrainienne

à franceinfo

Aux obsèques, elle apprend que les veuves de guerre touchent une compensation financière. Elle percevra environ 370 000 euros, une fortune dans un pays où le revenu moyen est de 365 euros.

"Je n’ai rien reçu pour le moment. Je le jure devant Dieu, ça m’est égal. Tout ce que je veux, c’est faire construire un beau monument sur sa tombe", assure-t-elle. "Je ne parle à personne de cet argent, seules ma belle-mère et ma sœur sont au courant. Je n’ai besoin de rien, ils feraient mieux d’aider les blessés qui reviennent mutilés du front", poursuit-elle.

Volodymir, un soldat ukrainien, est mort en septembre 2023. (DR / RADIOFRANCE)

Olena veut également faire des dons conséquents à l’armée avec cette somme. Car pour elle, l’issue militaire est la seule option : "Si c’est pour que les Russes restent là où ils sont, pourquoi les gars continueraient-ils à mourir ? Pourquoi mon amour aurait-il sacrifié sa vie ?", demande-t-elle.

Le montant très élevé de ces compensations financières suscite des polémiques. Pour les soldats morts sur le front avant 2022, leurs veuves ont reçu 25 fois moins d’argent.

En Ukraine, le regard pesant de la société sur les veuves des militaires tués au combat. Le reportage de Vanessa Descouraux

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