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Migrants : ce que cache le nouveau "rideau de fer" hongrois

Dans trois jours, la clôture sur la frontière entre la Hongrie et la Serbie sera achevée. Le premier ministre nationaliste hongrois Viktor Orban espère qu'elle suffira à endiguer l'afflux de migrants qui arrivent en Europe via son pays. Nos reporters se sont rendus le long de cette frontière pour mieux cerner les enjeux de ce nouveau "rideau de fer".
Article rédigé par Jérôme Jadot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Franceinfo (Franceinfo)

Elle sera longue de 175 kilomètres, épousant le tracé de la frontière entre la Serbie et la Hongrie, au sud du pays. Comme l'a voulu le Premier ministre nationaliste hongrois Viktor Orban. La clôture qui doit faire barrage aux migrants qui tentent de passer en Europe devrait être achevée dans trois jours. Environ 2.000 personnes franchissent tous les jours cette frontière balkanique.

Le coup d'oeil à ce nouveau "rideau de fer" européen est impressionnant. La clôture est double : il y a d'abord une barrière de rouleaux de barbelés d'environ 1m30 de haut, puis un grillage plus élevé à 3 mètres. Le tout sépare donc en deux une vaste plaine, faite de bois et de champs de maïs. Les travaux ne sont pas encore tout à fait finis mais le gouvernement a bon espoir que ce le soit pour le 31 août, au moins pour la partie avec les barbelés.

"Cette barrière ne change rien "

Dans le village frontière d'Ashotthalom, le garde champêtre Vince Solma patrouille au volant de sa Lada 4x4 au milieu des bois, s'approchant de la frontière : "C'est sur ce chemin qu'il y a un grand nombre de personnes qui arrivent. On voit les traces de pas. Et ici à ce coin-là, que les passeurs les récupèrent ".

"Si on avait rétabli l'armée à la frontière, ça aurait été plus efficace "

Matraque et pistolet à gaz à la ceinture, le quinquagénaire a été embauché il y a un an par la municipalité d'extrême droite pour faire face à l'afflux de migrants. Afflux non endigué, regrette-t-il, par la construction de la clôture métallique cet été : "Les premières semaines, on a constaté une petite baisse, mais aujourd'hui ça a doublé. Je suis déçu. Nous avons mis beaucoup d'argent là-dedans. Si on avait rétabli l'armée à la frontière, ça aurait été plus efficace ".

"La clôture, ça n'était pas si difficile. On a simplement sauté "

Car cette clôture n'est pas infranchissable, loin de là. Certains sectionnent la partie grillagée, explique le garde champêtre. D'autres utilisent des escabeaux pour l'escalader. La partie en barbelés n'a pas posé plus de problème Muhammad, jeune Afghan, passé ici en début de semaine : "La clôture, ça n'était pas si difficile. On a simplement sauté. Pour nous c'était facile. Et puis si qqn un a du mal à passer, on peut soulever les barbelés et passer dessous. Cette barrière ne change rien ".

Saturation des villageois

Et c'est bien ce que déplore cet habitant d'Ashotthalom, qui fait signe au garde champêtre d'arrêter sa voiture. Il veut lui signaler la présence de migrants : "C'est là qu'ils se cachent ", lui dit-il. "Ils sont là-bas, huit ou dix ". "Ok ", enregistre Vince. "On va aller les voir plus tard ". Propriétaire d'une ferme, ce villageois dit ressentir comme une saturation face aux migrants qui traversent la commune : "Ils arrivent sans arrêt. Pas par dizaines, mais par centaines. Ils mangent le raisin. Ca va, je ne râle pas parce qu'ils viennent avec des enfants, des vieux. Ce qui me dérange, c'est quand ils sont couchés par terre devant ma maison. Cette barrière, elle n'a rien résolu ".

Même tonalité au café du village où le patron devise en servant des vins blancs coupé à l'eau pétillante : "Ce qu'il faut faire c'est agir dans les pays d'où ces migrants partent",  estime-t-il. "Tout le reste ne sert à rien ".

Une annonce par jour

Mais pour le gouvernement, pas question d'évoquer un quelconque échec du projet porté par le Premier ministre. Le droitier et populiste Viktor Orban. Même si chaque jour ou presque est annoncée une mesure pour compléter le dispositif. Jeudi a été évoqué la construction d'un troisième élément de clôture. La veille, c'était la promesse d'envoyer des renforts policiers. Il est aussi question de déployer l'armée.

Et puis le porte-parole du gouvernement, Zoltan Kovatch, insiste également sur ce que certains appellent la "clôture juridique" : "C'est vraiment inacceptable que les gens entrent sur le territoire simplement parce qu'ils le veulent. Cela semble être institutionnalisé dans l'Union européenne que les gens viennent sans papiers, sans possibilité d'établir leur identité. C'est complètement intolérable. C'est pourquoi, nous allons durcir les sanctions contre le fait de passer illégalement la frontière ".

Bruxelles en accusation

Si le gouvernement durcit sa position sur l'immigration, c'est qu'il a flairé un thème qui parle à son électorat, dit la gauche. L'arrivée de migrants venus de loin est un phénomène totalement nouveau en Hongrie. Il y a par exemple eu plus d'arrivées en un jour cette semaine que sur toute l'année 2012 et le gouvernement surfe sur le sujet, dénonce Julia Ivan du comité Helsinki qui défend les droits de l'Homme. 

Autre avantage à rester très mobilisé sur ce thème pour ce gouvernement plutôt anti-européen : même s'il ne parvient pas à endiguer le nombre d'entrées, cela lui permet de rejeter la responsabilité sur Bruxelles.

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