A Paris, l'errance sans fin des migrants dans le quartier de la Chapelle
Après l'évacuation, le 2 juin, du camp situé au niveau du métro La Chapelle, les migrants peinent à trouver un lieu viable où s'installer.
On l'a appelé vers 1 heure du matin. "Des adhérents m'ont dit que les migrants étaient terrorisés et fatigués, qu'ils cherchaient un endroit où dormir", explique Thomas Augeais, président de l'association du Bois Dormoy. Alors, le jeune homme, aux faux airs d'Edward Snowden, a accepté d'ouvrir la porte de ce jardin partagé du 18e arrondissement de Paris. Mardi 9 juin, environ 80 migrants, originaires pour la plupart de la Corne de l'Afrique, une région marquée par la guerre et la dictature, se réveillent sous les arbres. Ils ont passé la nuit sur des matelas et des cartons. Ce sont majoritairement des anciens du camp du métro La Chapelle, évacués le 2 juin.
Malgré les promesses d'hébergement de l'Etat et de la mairie de Paris, ces hommes sont toujours à la rue, une semaine après l'évacuation. Ali, un Erythréen de 26 ans, enchaîne les expulsions, entrecoupées d'une nuit à l'hôtel : la Chapelle, l'église Saint-Bernard et celle, violente, de la halle Pajol. "J'étais posé sur mon matelas, comme là, ils ont jeté du gaz lacrymogène et un policier m'a donné un coup de botte dans la tête", raconte-t-il, via un camarade qui fait l'interprète. A son bras, le bracelet nominatif qu'il a reçu à l'hôpital. Sous son manteau rouge et son gros pull, un polo déchiré dans la bagarre. "Il n'y a pas les droits de l'homme en France", regrette-t-il, avant de faire non de la tête lorsque l'on évoque "l'humanité" dont a fait preuve la police lors de cette intervention, selon le ministre de l'Intérieur.
"J'ai pris un coup de matraque dans la poitrine"
A ses côtés, Aboubacar, un Soudanais de 20 ans, fait le même récit. "J'ai reçu des gaz lacrymogènes, je n'arrivais plus à parler et j'ai pris un coup de matraque dans la poitrine", explique-t-il, brosse à dents à la bouche. Lui aussi a fini à l'hôpital, comme six camarades. Et lui aussi estime que la police les traite de "manière inhumaine". Il glisse en arabe quelques "mots pas très gentils" à leur propos que notre interprète préfère ne pas traduire.
Au-delà des violences, ces expulsions à répétition harassent les migrants, qui repartent de zéro, ou presque, à chaque fois. "A la Chapelle, c'était mieux, on pouvait laisser nos couvertures et on savait qu'on allait dormir là le soir", explique Mamadou, 21 ans, de Guinée-Conakry, l'un des rares à parler français. Un café et un pain au lait à la main, il raconte ce quotidien où "l'on va de déplacement en déplacement" et où "la police est partout". Avec l'expulsion de la halle Pajol, ce demandeur d'asile a perdu pour la énième fois sa couverture. Il vient de passer la nuit sur de petits cartons. "Je n'ai pas les mots pour expliquer combien c'est dur", résume-t-il.
Les riverains s'inquiètent
"Elle est où la solution ?", s'agace Amine, un Soudanais de 30 ans, en France depuis "plusieurs années". Dans un français parfait, il remarque que l'évacuation du camp de la Chapelle s'est faite le même jour que celle d'un camp de Calais (Pas-de-Calais). "C'est pour casser l'espoir des gens qui veulent aller là-bas, estime-t-il. Personne ne peut rester ici, personne ne peut partir [à Calais puis en Grande-Bretagne] et nous n'avons pas d'endroit où dormir."
Le Bois Dormoy n'est qu'un abri provisoire. "L'idée, c'est que ce soit temporaire, il n'y a pas de toilettes et nous commençons à avoir des problèmes avec les riverains", explique Thomas Augeais, avant de replacer un piquet victime de l'affluence inhabituelle du jour. A l'entrée du jardin, Eugénie, qui habite juste à côté, s'agace. "Ça peut pas rester là, on va pas avoir toute la misère du monde dans le quartier", lance-t-elle. Elle s'inquiète d'un éventuel problème de sécurité - "vous imaginez, rentrer seule le soir avec tous ces hommes ?" - et regrette que l'on "pousse la misère de droite à gauche". Originaire du quartier, elle demande à l'Etat de leur trouver un toit, "une caserne désaffectée", par exemple.
Voici quelques photos du campement et de son unique point d'eau #migrants pic.twitter.com/CFFgDBPTuJ
— Thomas Baïetto (@ThomasBaietto) 9 Juin 2015
"La mairie et l'Etat sont absents"
Sous les arbres du Bois Dormoy, l'Etat n'est pas là, pour le moment. "Nos politiques versent des larmes sur les morts en Méditerranée, mais quand ces naufragés échouent sur les trottoirs parisiens, ils sortent les matraques", regrette Pascal Julien, élu Europe Ecologie-Les Verts à la mairie du 18e. Il constate qu'au Bois Dormoy, "les associations et les riverains sont là, mais la mairie et l'Etat sont absents". Ce mardi matin, une dizaine de bénévoles, dont de nombreux jeunes militants du Parti communiste, s'affairent pour distribuer du pain, des viennoiseries, des cafés, des brosses à dents et quelques vêtements. "Je suis en vacances, je n'allais pas rester chez moi à rien faire alors que des gens ont besoin d'aide", explique Léa, 22 ans, venue de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis).
Comme Pascal Julien, quelques élus écologistes et communistes du quartier sont venus sur place, dont Gérald Briant, l'adjoint au maire du 18e chargé des affaires sociales, de l’hébergement d’urgence et de la lutte contre les exclusions. "Pour les trois quarts des migrants de la Chapelle, l'expulsion s'est bien passée [accueil en centre de demandeurs d'asile notamment], mais on a été dépassé par le nombre", explique-t-il. L'élu est "en colère" contre la préfecture qui a "ajouté de la crise à la crise" en dispersant systématiquement tout rassemblement depuis l'évacuation.
Dans le jardin, riverains et associations distribuent nourriture et brosses à dents #migrants pic.twitter.com/zy0VQBMAWj
— Thomas Baïetto (@ThomasBaietto) 9 Juin 2015
Avec Pascal Julien et d'autres élus du 18e, il a formulé un "vœu" à la mairie de Paris pour l'ouverture d'un centre d'accueil. L'idée est de créer des structures à petite échelle, un peu partout dans la capitale, pour accueillir ces migrants, souvent en transit, sans "reproduire Sangatte" [un camp de Calais évacué en 2002]. Gérald Briant espère qu'Anne Hidalgo, la maire de la ville, acceptera. "Les camps se reforment automatiquement, observe-t-il. Ces gens ne vont pas disparaître". Selon L'Obs, la mairie de Paris envisage bien d'ouvrir un tel lieu dans "quelques semaines".
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