"C'est pire que la prison" : témoignages au cœur du plus grand centre de rétention administrative de France
Alors que le projet de loi asile et immigration est présenté mercredi en conseil des ministres, franceinfo a visité le plus grand centre de rétention administrative de France, en Seine-et-Marne, où les conditions de placement sont extrêmement dégradées.
Le projet de loi sur l'asile et l'immigration est présenté mercredi 21 février en conseil des ministres, avant une discussion en commission en mars. Le texte suscite des craintes au sein du monde associatif qui le juge trop dur, mais aussi dans les propres rangs de la majorité à l'Assemblée nationale. L'un des points les plus controversés du projet de loi, c'est l'augmentation de la durée maximale de la rétention administrative.
La semaine dernière, une trentaine de députés, surtout LREM-Modem, ont visité des centres de rétention administrative (CRA) un peu partout en France pour se rendre compte de la réalité des conditions d'accueil, comme celui du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne qui peut accueillir 240 étrangers en situation irrégulière pour une durée de 45 jours, aujourd'hui, avant leur expulsion hors de France.
Ce n'est pas une prison, mais ça y ressemble beaucoup. Pour entrer dans l'imposant bâtiment du CRA du Mesnil-Amelot - le plus grand centre français de ce type en France - il faut d'abord passer par plusieurs sas de sécurité. La députée La République en marche des Yvelines et présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, est accompagnée de Naïma Moutchou, députée LREM du Val-d'Oise et cheffe de file des députés de la majorité dans cette commission, mais aussi du député communiste de Seine-Saint-Denis, Stéphane Preu.
Les étrangers en situation irrégulière, eux, doivent ensuite se plier à la fouille : "des palpations" réalisées "dans de petits boxes", détaille le commandant Françoise Ciron, cheffe du CRA du Mesnil-Amelot. Ici, on ne peut pas entrer avec ce que l'on veut. Ces "retenus" doivent ensuite laisser quasiment tous leurs biens "à l'intérieur de ce local-là", montre le commandant.
Arrêtée à la sortie de la préfecture de police
Une jeune Ivoirienne est en train de donner son téléphone. Jasmine raconte qu'elle a été interpellée pour "absence de titre de séjour" à la sortie d'un rendez-vous à la préfecture de police de Paris, où elle était justement venue faire une demande de titre de séjour. La jeune femme de 20 ans a ensuite été emmenée ici, avec son nourrisson de 13 mois, né en France.
Cette "pratique" questionne les députés : "Donc, au centre d'accueil, on vous donne un papier pour aller en préfecture. Et quand vous arrivez en préfecture, vous vous faites arrêter ?, s'étonne Stéphane Preu. "D'accord", lâche ensuite le député, attentif à chaque problème rencontré. Après avoir écouté le récit de Jasmine, Yaël Braun-Pivet lui souhaite "bonne chance, bonne chance à toutes les deux". La France a déjà été condamnée plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dans des cas similaires à celui de Jasmine, pour "traitements inhumains ou dégradants", comme en 2015 après une arrestation musclée dans le RER. Pourtant, la pratique perdure.
Des murs et des matelas sales
Si ces élus utilisent leur droit de visite des lieux de privation de liberté, c'est pour "recueillir des éléments d'information et des éclairages concrets" sur ces CRA, avait souligné, quelques jours plus tôt, la commission des lois dans un communiqué. La suite de leur visite, dans les unités de vie, n'est pas plus encourageante. Dans la salle de télévision, aux murs jaunis, deux matelas sales sont posés à même le sol. À côté, dans une chambre, les murs sont maculés de boue et de tags. C'est ici que dort un Angolais. "Je suis arrivé hier soir, donc je ne trouve pas cela bien, confie-t-il. C'est sale, vous voyez." Sans papiers, mais "sans casier judiciaire", précise-t-il, il a été arrêté lors d'un contrôle d'identité. Désespéré, l'homme raconte que cela fait "quasiment six ans" qu'il vit en France.
67 hommes, 16 femmes et un nourrisson se trouvent actuellement derrière les grillages et les barbelés du centre de rétention de Mesnil-Amelot. Certes, ils ne vivent pas les uns sur les autres et ils peuvent circuler librement, mais l'inconfort est permanent. "C'est pire que la prison", lance Zakaria, un Algérien de 30 ans, arrêté à Bayonne alors qu'il arrivait d'Espagne, puis transféré ici, il y a 30 jours. "On ne mange pas bien, la nourriture est dégueulasse, assure-t-il. On ne dort pas bien. Les douches aussi sont dégueulasses. Il y a de l'eau chaude, mais il n'y a pas d'eau froide pour boire. Même les machines ne vendent pas d'eau ici."
On est en train de galérer, de souffrir, ici.
Zakaria, Algérienà franceinfo
Les règles ont été durcies après l'attentat de Marseille, le 1er octobre 2017 : un Tunisien en situation irrégulière, mais passé sous les radars de l'administration, avait tué deux femmes sur le parvis de la gare Saint-Charles. Depuis, sur demande expresse du ministère de l'Intérieur, le nombre d'étrangers placés en rétention est en très forte hausse.
Des allers-retours en centre de rétention
Abderrahmane trompe son ennui en écoutant du rap. Cet Algérien était venu passer le Nouvel An dans la cité phocéenne lorsqu'il a été interpellé. "Le 1er [janvier] en garde à vue et le 2 ici, raconte-t-il, assurant qu'il était "venu juste pour passer le réveillon et rentrer". Il a quasiment atteint la durée maximale de 45 jours. Il doit encore tenir six jours. "J'ai fêté mes 28 ans ici", lâche-t-il, désabusé. Jasmine, Zakaria, Abderrahmane... Ces parcours ne laissent pas insensible la députée LREM Naïma Moutchou.
Quand on voit l'état des centres de rétention, on a du mal à en croire ses yeux.
Naïma Moutchou, députée LREMà franceinfo
D'autant que les situations sont parfois kafkaïennes, comme pour Oudja. Cette Marocaine d'une trentaine d'année, qui a longuement conversé avec la députée, est là depuis un mois. Elle a été arrêtée sur la voie publique. Elle est persuadée que son pays ne délivrera pas de laisser passer consulaire, donc qu'elle ne fera pas l'objet de procédure d'éloignement. Elle attend donc sa sortie au bout de 45 jours. "Ce qui est atypique, c'est que cette dame savait exactement ce qui allait se passer, raconte Naïma Moutchou. Elle nous a dit : 'Dans 45 jours, je suis dehors et je vais retourner à ma vie, à faire mes ménages et je vais reprendre mon quotidien.'"
"S'interroger sur la nécessité d'une prolongation"
La rétention est l'un des points les plus sensibles du projet de loi sur l'asile et l'immigration. Le texte prévoit notamment une augmentation de la durée maximale de la rétention administrative, de 45 à 90 jours, avec prolongation possible de 15 jours si l'étranger fait obstacle à son éloignement. Or, après cette visite du centre de rétention administrative, la mesure a du mal à passer. "C'est complètement démago", juge, sans surprise, le député communiste Stéphane Preu. Mais, même du côté de La République en marche, le compte-rendu n'est pas très positif : "On peut s'interroger sur la nécessité d'une telle prolongation, indique, en termes plus diplomatiques, Yaël Braun-Pivet, et, en tout état de cause, sur l'adéquation des bâtiments tels que nous les voyons aujourd'hui avec des rétentions deux fois plus longues."
Ces mesures de privation de liberté sont non seulement difficiles, mais en plus leur efficacité réelle est contestée : en moyenne, 60% des personnes "retenues" passées dans ces centres restent ensuite sur le territoire français.
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